Montaigne: Les Essais (Fiche de lecture)
Publié le 22/02/2012
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1 • LE CONTEXTE
Né en 1533, Montaigne a vécu sous le règne de François Ier et a connu les guerres de Religion, le massacre de la Saint-Barthélemy, ainsi que l'avènementd'Henri III.
Six années de magistrature lui ont permis de faire la connaissance de La Boétie, son collègue au Parlement.
De ce dernier Montaigne garde unidéal stoïcien, par l'exemple de la fermeté sublime dont son ami a fait preuve devant la mort, et un solide sens de l'amitié.
En 1571, l'auteur se retire sur sesterres bordelaises pour se consacrer à l'étude et à la réflexion, et compose les Essais I et II, publiés en 1580.
Il publie un troisième volume et plus de sixcents additions aux deux premiers en 1588.
Enfin, une édition posthume, en 1595 (trois ans après le décès de l'écrivain), reproduit le texte précédentenrichi de nombreuses notes que Montaigne avait portées dans les marges et les interlignes.La riche expérience de l'auteur, tour à tour magistrat, maire: chargé de mission par l'armée royale du duc de Montpensier et grand voyageur, alliée à uneprodigieuse érudition, donne une valeur inestimable à ses observations psychologiques et morales.
Le projet égotiste s'y justifie en prenant la dimensionphilosophique de l'idéal humaniste : « tout homme porte en lui la forme entière de l'humaine condition ».
2 • LE TEXTEMontaigne envisageait lui-même son oeuvre comme une exploration et une expérimentation de ses facultés naturelles : « Toute cette fricassée que jebarbouille ici n'est qu'un registre des essais [ou expériences] de ma vie.
» Au pluriel et à la polysémie du titre (essai = test, exercice, tentative, et plus tardforme littéraire libre) répondent la richesse du projet et la liberté de la forme, qui récuse toute analyse de structure.
L'oeuvre, invitation à la recherche de lasagesse, s'efforce de connaître « l'homme », ce sujet « merveilleusement vain, divers et ondoyant ».
L'auteur s'y « essaie » au débat sur plusieurs thèmesqui nous touchent de près : la tristesse, l'oisiveté, le mensonge, la mort, l'imagination, l'éducation des enfants, l'amitié, la torture, le colonialisme, la vertu,les noms, les prières, l'âge, les livres, la gloire, la ressemblance des enfants avec les pères, etc.
Les cent sept chapitres, de longueur variable, répartis dansles trois livres portent tous un titre, mais multiplient les ajouts, les digressions, les anecdotes, les références et citations dans un vertige baroque, qui n'anéanmoins rien d'artificiel.
Mouvement et méthode sont en effet tributaires de l'objet même de la réflexion : peindre un être changeant dans un mondeinconstant.
3 • LES THÈMES MAJEURS
Le moi profondAu-delà du tumulte de la vie, Montaigne accorde à la vie intérieure la prééminence sur l'extérieur.
Pour lui l'essentiel n'est pas tant les événements quijalonnent l'existence que ce qu'il appelle « l'arrière-boutique », c'est-à-dire, par-delà les apparences et les « vacations farcesques » de l'être social, « lemoi profond ».
Par cette expression, il faut entendre ce qui demeure inaltérable en nous quel que soit notre vécu « extérieur ».
Mais cette unité qui « secache » derrière la diversité de nos expériences est insaisissable.
L'auteur lui-même aurait souhaité se peindre « tout entier et tout nu ».
Le lecteur esttémoin de tout, de son caractère, de ses vertus, de ses défauts, aussi bien physiques que moraux.
Seulement ce moi est contradictoire : « Nous ne sommesjamais chez nous, nous sommes toujours au-delà » (I, III).
Cette échappée de notre propre esprit en faveur de nos affaires quotidiennes ne nous laissepercevoir qu'une « identité » morcelée.
C'est en quoi l'auteur cherche, à travers l'écriture, à évoquer l'énergie du moi en mouvement pour en toucher quelquechose : « Je ne peins pas l'être, je peins le passage.
»
• La maîtrise de soiSi la richesse de la vie et l'ampleur de l'expérience de l'auteur ont nourri son ouvrage, le courage avec lequel il a dû supporter la douleur que lui a causée la« maladie de la pierre » (calculs rénaux), ainsi que l'exemple qu'a été pour lui La Boétie, stoïcien en pensée et en actes, ont cultivé chez l'écrivain un idéalde la maîtrise de soi.
Pour parvenir à cette maîtrise et à ce courage, il tente tout d'abord d'apprivoiser l'idée de la mort, puis de supporter la douleur.
Cestoïcisme nous exhorte à nous rendre supérieurs aux maux humains : « Il est incertain où la mort nous attende, attendons-la partout » (« Que philosopher,c'est apprendre à mourir », I, XX).
En allant sans cesse au-devant de la mort — pour éviter qu'elle ne nous surprenne —, nous la domestiquons et ne la «subissons » donc plus.
L'esprit disponible et rendus maîtres de nos vies, nous retrouvons notre dignité.
• Une sagesse à notre mesureSi Montaigne retient du stoïcisme l'impérieux devoir de maîtriser ses passions, il ne prêche pas pour autant le renoncement au plaisir et le mépris des biensde l'existence.
Bien au contraire, il emprunte aux épicuriens l'idée qu'il ne faut pas hésiter à prendre ce que la nature nous offre, et que le plaisir, à conditionqu'il demeure modéré et conscient de lui-même, nous rend la vie plus douce et nous console des maux que la nature nous fait par ailleurs endurer.
Ainsi,apprivoiser la mort, c'est non seulement se libérer de la peur qu'elle provoque en nous, mais c'est surtout nous rendre aptes à jouir pleinement, c'est-à-diresereinement, de la vie.
« Pour moi donc, écrit l'auteur, j'aime la vie et la cultive telle qu'il a plu à Dieu de nous l'octroyer.
» Montaigne, sous couvert derapporter les principes d'après lesquels il règle sa propre vie, nous suggère un authentique art de vivre, tout en mesure et proportion, à la portée de chacun.
• Scepticisme et toléranceLa curiosité intellectuelle ouvre l'esprit sur la relativité des valeurs et des moeurs, des « coutumes » ; elle fait comprendre les limites de la pensée, de laconnaissance, fondée sur la fragilité de la perception, et de la raison (« J'appelle raison cette apparence de discours que chacun forge en soi »).
Montaigneen tire des conséquences intellectuelles : un scepticisme vigilant, dont la devise n'est pas « Je ne sais rien », mais « Que sais-je ? » ; et des conséquencesmorales : l'acceptation des différences, la tolérance dont son époque, engagée dans les guerres de Religion et l'exploitation coloniale, est si cruellementdépourvue.
4 • L'ÉCRITURE
• Un ton intimiste« C'est ici un livre de bonne foi, lecteur », affirme Montaigne autout début de ses Essais.
Enjoignant au lecteur de s'en remettre non pas à un quelconque dogmatisme, mais à la justesse de ses observations, l'auteur leprend souvent à partie : « La mort ne vous concerne ni mort ni vif.
V if, parce que vous êtes, mort, parce que vous n'êtes plus » (I, XX).
Ces formulesconcises et très directes servent une sagesse que Montaigne veut nous faire partager ou approcher.
Ce ton est sans précédent dans l'histoire de lalittérature : jamais aucun auteur n'a parlé de soi avec cette totale absence de gêne, sans verser dans l'excès de sévérité ni dans la complaisanceindulgente (cf.
Rousseau).
Montaigne échappe à l'exaltation pure et simple du moi, au profit de la recherche de la sagesse.
• Une plume vagabondeLa personnalité riche et diverse de l'écrivain s'exprime à travers une écriture qui relève de « l'addition » : citations, bifurcations, vagabondages au sein durécit, réflexions désordonnées jalonnent le texte.
Au lieu d'opposer une opinion à une autre, Montaigne paraît se laisser mener par le sujet traité, n'hésitantpas à revenir en arrière s'il le faut : « Je prends de la fortune le premier argument.
Ils me sont également bons.
(...) Semant ici un mot, ici un autre,échantillons d'esprits de leur pièce, écartés, sans dessein et sans promesse, je ne suis pas tenu d'en faire bon...
» (I, L).
Montaigne préfère se laisser guiderpar le thème qui le préoccupe plutôt que de cerner des principes et de figer le raisonnement : ce vagabondage intellectuel, en même temps qu'il reflète lesinquiétudes de l'âge baroque, traduit le tempérament de l'auteur (son allure « à sauts et à gambades ») et sa volonté d'ébranler nos idées reçues..
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