Messieurs les ronds-de-cuir, de G. Courteline
Publié le 26/01/2019
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Messieurs les ronds-de-cuir, récit de G. Courteline publié en 1893. La mise en forme pseudo-romanesque de chroniques données à l'Écho de Paris dès 1891 permit à l'auteur d'affûter sa verve satirique. Lui-même expéditionnaire au ministère de l'intérieur, il pouvait épancher un fiel ironique sur l'éclatante « non-vie de trente ronds-de-cuir » au sein d'une imaginaire « direction des Dons et Legs ». Dans cette « boîte absurde » se dessinent les pittoresques silhouettes de loques humaines comme le gâteux Soupe, le dément Letondu, ou d'êtres dégradés par de dérisoires ambitions comme Chavarax ou Sainthomme. Le délirant naufrage du dossier Quibolle et l'assassinat du chef des bureaux pimentent la description de l'univers bureaucratique, dont seuls les « goûts de flâne » et les amours du jeune Lahrier — alter ego de M. Badin — dissipent quelque peu les miasmes.
«
EXTRAITS
« ...
ils feuilletaient le lointain de la
pièce où se dandinait, saluant les murs de droite
et de gauche, un
petit monsieur au
crâne nu,
au visage
mangé de barbe
grise.»
Un homme cruellement éprouvé
-J'ai perdu mon beau-frère.
Le chef, du coup, leva le
nez:
-Encore! ...
Et l'employé, la main sur le sein gauche,
protestant bruyamment de sa sincérité :
- Non, pardon, voulez-vous
me permettre, s'exclama
M.
de La Hourmerie.
Rageur, il avait déposé près
de lui la
plume d'oie qui,
tout à l'heure, lui barrait les
dents comme un mors.
Il y
eut un moment de silence, la
brusque accalmie, grosse
d'angoisse, préludant à
l'exercice périlleux d'un
gymnaste.
Tout à coup :
-Alors, monsieur, c'est une
affaire entendue?
Un parti
pris de ne plus mettre les
pieds ici ? A cette heure vous
avez perdu votre beau-frère,
comme déjà,
il y a huit jours,
vous aviez perdu votre tante,
comme vous aviez perdu votre oncle le mois
dernier, votre père à la Trinité, votre mère à
Pâques!
...
sans préjudice, naturellement, de
tous les cousins, cousines et autres parents
éloignés que vous n'avez cessé de mettre en
terre à raison d'un au moins la semaine !
» Quel massacre ! non, mais quel massa
cre ! A-t-on idée d'une famille pareille ? ...
Et je ne parle ici, notez bien, ni de la petite
sœur qui se marie deux
fois l'an, ni de la
grande qui accouche tous les trois mois !
Et
bien, monsieur, en voilà assez ; que vous
vous moquiez du monde,
soit! mais il y a des
limites à tout, et si vous supposez que /'ad
ministration vous donne deux mille quatre
cents francs pour que vous passiez votre vie
à enterrer les uns, à marier les autres ou à
tenir sur les fonts baptismaux, vous vous mé
prenez ,j'ose le dire.
La subtilité assassine de Chavarax
De l'un il disait :
- Chaudavoine ?
Bien intelligent, ce
gaillard-là, et étonnant pour tourner le vers.
Sa chanson sur le Directeur, qu'il a compo
sée l'autre jour, est un chef-d'œuvre de mo
querie fine
et de drôlerie malicieuse.
De l'autre:
-
Ce n'est pas la faute à de /'Ampérière si
son père doit tout à l'Empire.
Et l'on vient
lui reprocher, à
lui, de faire de
/'opposition ?
Est-ce
bête! ...
Ce
n'est pas de l'op
position ça, c'est
de la reconnais-
-----·-------
sance.
D'un troisième :
- Mousseret
est
animé d'un zèle
non douteux
et
son intelligence
hors ligne le dé
signe
pour un
poste élevé.
Il est
fâcheux que sa
pauvre santé le
tienne absent de
son travail les
trois quarts du
temps
...
au moins.
De celui- ci :
- Hennecourt a
derrière lui dix
ans de services méconnus.
Si on lui eût
rendu justice avec plus d'impartialité, il n'en
serait pas venu à chercher dans l'alcool la
consolation de ses déboires.
De celui-là :
- Bêtise n'est pas vice.
Ce n'est pas une rai
son parce que Tabourieux est hors d'état de
faire
jamais autre chose pour le laisser ex
péditionnaire jusqu'à
/afin de ses jours.
«La faïence
azurée de ses yeux
avait pris
l'insoutenable
éclat d'une lame
d'acier
au soleil.
Le doigt tendu :
- Sortez
! fit-il.
»
NOTES DE L'ÉDITEUR La Curieuse Vie de Georges Courteline,
éditions Pierre Horay, 1958.
« Avec prudence, Georges Courteline sait
jusqu'où aller trop loin.
Il décrit des
employés farfelus entièrement voués à leur
inertie, prompts à échapper à la triste
atmosphère des bureaux, prêts à s'inventer
mille et un petits maux pour s'absentèr et
toujours aptes à compliquer des questions
simples jusqu'à les rendre insolubles, mais
avec soin
il éradique de son propos toute
allusion aux problèmes réels et complexes
qui agitent le monde des ministères.
»
Emmanuel Haymann, Courteline,
Flammarion, 1990.
« Roman, non pas, l'intrigue est fort mince,
pour ne point dire inexistante, mais
peinture admirable et définitive de la vie de
bureau, avec ses divers représentants,
depuis M.
Nègre, le directeur,
en passant
par le
chef La Hourmerie, le sous-chef V an
der Hogen, le vénérable Soupe et le fou
Letondu.
Si Courteline allait rarement au
ministère, il n'y perdait pas son temps, car
il
sut réaliser une synthèse magistrale de
l'administration.
» Albert Dubeux,
« Cet ouvrage est une charge énorme qui
provoque irrésistiblement le rire.
Une
philosophie assez pessimiste ne laisse
pourtant pas de s'en dégager.
On se concilie
difficilement avec ces existences larvaires,
qu'on voit consumées par d'absurdes
appétits et dont la drôlerie s'accompagne
souvent de beaucoup de bassesse.
»
Dictionnaire des œuvres, Laffont, 1954.
1 coll.
Viollet 2, 3, 4, 5 dessins de J.
Hémard, éd.
Gründ, 1948, B.N.
/ Sipa-Icono COURTELINE 02.
»
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