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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE (Première partie). de Chateaubriand (analyse détaillée)

Publié le 19/10/2018

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chateaubriand

Mais les Mémoires ne sont pas des confessions. Chateaubriand, comme il l'a répété, n’a pas voulu tout dire. Il s’est refusé à « entretenir la postérité du détail de ses faiblesses » ; il les a tues ou il n’y a fait que des allusions. C’était son droit moral et c'était son droit littéraire ; bon nombre de ces faiblesses n’ont rien à voir avec son rôle d’écrivain ou d’homme politique. Mais il a voulu, « pour la défense de sa mémoire, laisser un monument par lequel on puisse le juger» ; entendons juger ce qu’il a été pour les hommes, non pour sa conscience qui ne relève que de Dieu. Enfin (et peut-être surtout) il a écrit ses Mémoires comme un repos et une consolation. Il a souffert de la fortune et des hommes ; mais il a, principalement, souffert de lui-même. Il a voulu la gloire, le bonheur et peut-être la vertu. S’il a conquis la gloire, il n’a pas eu le bonheur et il a bronché dans le chemin de la vertu. Ce fut par sa faute, non par celle de son destin. Il a donc voulu « rendre compte de soi-même à soi-même », « expliquer son inexplicable coeur ».

 

La véracité de Chateaubriand, — Ses intentions et la morale même de tous les Mémoires et Souvenirs l’autorisaient à ne pas tout dire ; elles ne l’autorisaient pas à travestir la vérité. Il a dit, à maintes reprises, qu’il ne nous trompait pas. Il avait une excellente mémoire : « Ma mémoire voit l’objet comme s’il était sous mes yeux. » L’inventaire attentif de ce qui reste du château de Combourg a, d’ailleurs, prouvé la fidélité de ce te mémoire. Il sera donc, affirme-t-il, « sincère et véridique ». Or on a pris Chateaubriand en flagrant délit de mensonge calculé. Nous connaissons, par exemple, l’humble vérité sur deux épisodes de sa jeunesse : le voyage en Amérique et le séjour en Angleterre ; elle contredit gravement le récit des Mémoires, si gravement qu’on ne peut s’en prendre à sa mémoire et qu’il faut accuser sa sincérité.

 

Selon Chateaubriand, il visite en Amérique les chutes du Niagara, le cours de l’Ohio, le haut cours du Mississipi, pousse jusqu’à la Floride et de là revient à Philadelphie s’embarquer pour la France. Or, nous connaissons la date exacte de son départ d’Amérique. Il est resté aux États-Unis rigoureusement cinq mois, jour pour jour, du 10 juillet au 10 décembre 1791. On a donc calcule ses étapes, vérifie minutieusement, contradictoirement, d’après des témoignages contemporains très précis, la durée nécessaire des trajets. On a consenti que dans ses

Pour son séjour en Angleterre, il n’a copié personne, car il a réellement vécu là où il raconte avoir vécu. Mais il a passé soigneusement sous silence quelques détails qui pouvaient ternir cette généalogie des Chateaubriand qui termine ses Mémoires, ou la splendeur de M. de Chateaubriand qui s’en allait en ambassade à Londres avec une garde d'honneur, \"au ronflement du canon, dans une légère voiture qu’emportent quatre beaux chevaux menés au grand trot par deux élégants jockeys\". Il est très exact qu’il a été reçu à Bungay, chez le révérend M. Ives, et qu’il y fut bien reçu. Il est exact qu’il y fut aimé de Mlle Ives. Mais il est non moins exact, ce qu'il ne dit pas, qu’il n’y fut pas appelé pour déchiffrer de vieux manuscrits. Il y partit pour enseigner le français dans un collège de Beeclés à de jeunes écoliers peu respectueux. A Bungay (comme il l’avoue), il abusa quelque peu de la confiance de ses hôtes en laissant miss Ives l'aimer, en l’aimant (d’ailleurs fort honnêtement) sans prévenir, sinon un peu tard, qu’il ne pouvait l’épouser, puisqu'il était marié.

 

Faut-il dire \"mensonges\" ? On peut excuser Chateaubriand en montrant qu’il ment parfois, que plus souvent il laisse croire, et qu’il est entraîné dans son mensonge plutôt qu’il n’y persévère froidement. Mais il est assuré qu’il manque fort souvent de franchise. Et c’est le trait caché d’un caractère dont les Mémoires restent, par ailleurs, la peinture profonde et pathétique.

Enfin, l'on peut croire qu’il a retrouvé, après l’avoir perdue, la consolation de la foi. On n’est pas tout à fait obligé de le croire. Chateaubriand n’a pas toujours été sincère. Il nous a raconté comment il était revenu à la foi de son enfance à la nouvel e de la mort de sa mère et de sa sœur. Mais ce récit même ne s’accorde pas strictement avec les faits. Les assurances qu’il nous donne de sa conviction religieuse souffriront donc toujours des mensonges des Mémoires. Par surcroît, professant hautement qu’il croyait, il a passé sa vie à contrevenir à l’une des exigences les plus strictes de sa foi : il a aimé bien des femmes qui n’étaient pas sa femme. Mais, à tout prendre, son incrédulité, sa conversion, sa persévérance ont un accent de vérité. Quand on en suit les étapes, on en comprend les raisons. Elles sont conformes à la vraisemblance psychologique. Il a été jeune, il a subi l’influence de philosophes incrédules, il a écrit un Essai sur les Révolutions qui est fort impie. Mais, dans ses souffrances et surtout dans le désarroi d’une âme malade, il a cherché un point fixe, une espérance, une foi. Il avait eu une éducation profondément pieuse. A la mort de sa mère, il n’y a peut-être pas eu le miracle un peu soudain qu’il nous a conté: a J’ai pleuré et j’ai cru. » Mais un lent travail intérieur s’est achevé. Il est revenu aux croyances de son enfance, à la religion de sa mère ; et il a commencé le Génie du christianisme.

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