MÉMOIRES de Commynes (analyse détaillée)
Publié le 21/10/2018
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MÉMOIRES. Récit en prose de Philippe de Commynes (1447-1511), publié en 1524. Transmis par cinq manuscrits et plus de vingt éditions anciennes, il relate le règne de Louis XI à partir de 1364 (livres I à VI), puis celui de Charles VIII - essentiellement son expédition en Italie (livres VII et VIII).
Cet ouvrage propose au lecteur une vision décapante de la société aristocratique de la seconde moitié du xve siècle. Commynes rompt avec la chronique curiale (Froissart, Monstre-let, Mathieu d'Escouchy, Chastelain), et ne voit dans le monde qui l'entoure ni beau spectacle ni héros exemplaire.
Dès le Prologue, l'auteur marque l'originalité de sa démarche Alors que la plupart des chroniqueurs présentent leur œuvre comme un monument érigé à la mémoire de faits et de personnages remarquables, Commynes prétend n'écrire que pour fournir à Angelo Cato, archevêque de Vienne, un matériau brut - ce qu'il a « sceu et congneu des faictz du roy Loys unziesme », espérant que celui qui fut médecin et astrologue de Louis XI le lui demande « pour le mectre en quelque œuvre que [il a] intention de faire en langue latine, dont [il est] bien usité ».
Destructeur des mythes de son temps, Commynes ne s’intéresse ni aux spectacles ni au cérémonial dans lesquels se complaît la société aristocratique, et le culte de l'héroïsme n'est pour lui qu'une dangereuse illusion, qui mena Charles le Téméraire à sa perte. Les princes ne sont plus
«
des êtres d'élite, dont la grandeur morale est à l'image de la place qu'ils occupent dans la société,
i ls sont « homm es comme nous », et comme tout être humain, faillibles : « Les princes si sages soient-ils se tromp ent parfo is.
et sow ent s' ils ont longue vie.
»
Placé dans une situation privilégiée
comme observateur , puisqu'il a été le
conseille r intime de Charles le
Témé
raire avant de devenir celui de son pire
ennemi, Louis Xl, Commynes nous
présente
un portrait de ces deux prin
ces.
Le duc de Bourgogne, dépouillé de
l'auréole chevaleresque
dont l'avaient
doté les chroniqueurs bourguignons,
apparaît
sous les traits d'un tyran de
plus
en plus cruel, et qui sombre dans
une mégal omanie qui le conduit
à sa
perte.
L'image que Commy nes nous
l ègue de Louis
XI est moins sévère,
quoiqu'il n'omette pas de mentionner
certaines faiblesses
du roi, comme sa
méfiance maladive
ou sa cruauté sadi
que, perceptible dans sa façon de trai ter ses prison niers - cages de fer ou
"fillettes,.
(chaînes et boulets de fer
extrao rdinaireme nt lo urds) .
Mais
Commynes célèbre l'art de gouverne r
d'un roi qui, pour asseoir sa puissance,
préfère user de son intelli gence - diplo
mati e, intrigues, discret travail de
sape - et de son argent que de la force
des armes.
Ainsi, le mémorialiste pré
sente à travers Louis Xl un nouveau
type de politique où la recherche de
l'effi cacité
se substitue au code de
l '
honn eur et de la morale, et qui n'est
pas sans rap
por t avec la pensée de
Machiavel
(il ne semble pas que
Commynes l'ait connu, mais
ses hau
tes fonctions l'ont souvent mis en rap
port avec des ambassadeurs italien s,
comme le souligne jean Dufournet).
Commynes prend aussi
ses distances
avec le mythe de Fortune, largement
sollicité par les auteurs médiévaux et
par les chro niqueur s désireux de
pro poser, sans trop s'engager, une explica- tion
à certains
événements.
Racontant
la disgrâce
du comte de Saint-Po l, il comme nce par dire que Fortu ne l'avait
re gardé d
'un mauvais œil, puis il se
reprend et ajoute « mais pour mieulx
dire,
il fault respondre que telz grandz
misteres
ne viennent point de Fortune,
qu e Fortune n'est riens, fors seulement
une fiction poetique
et qu'il fallait que
Dieu l'eust habandonné
•· Car chez
Commynes, et sur ce point
il demeure
très médiéval, on retrouve en dernière
explica tio n
et ana lyse la volonté
divine.
Mais Dieu qui, dans l es Grandes
Chroniques, avec Primat, était un Dieu
souve nt bienveillant et protecteur, est
surtout ici
un Dieu vengeu r, reflet ou
projection du pessimisme du
mémo
rialiste, pessimisme qu 'il partage avec
so n époque, cette
• génération de
Louis XI ,.
qui se caractérise aussi par
son goût de la ruse, de l'ambiguïté, des
voies obliques.
Car l'œuvre de Commynes
n'est pas
seulement ce qu'elle prétend être, le
té m oignage
d'un familie r des princ es
sur leurs actions, elle est aussi le plai doyer d'un homme qui a trahi son pre
mier maitre (Charles le Téméraire) en
passant au service de son plus implaca
ble ennemi (autre exemple de la politi
que de Louis XI que le mémorialiste se
garde bien d'exploiter !).
Ce plaidoyer
est mené avec intellige n ce et art.
L'a uteur , qui ne revend ique aucu ne
qualité littéraire et déclare narrer
" grassement ,.
ce qu 'il a vu et appris,
sait remarquab lement construire
et
raconte r.
En témoigne notamment la
fin du livre
VI où, après avoir retr acé la
mo rt du roi de France,
il rappelle la fin
réce
nte de qu atre autres souverains,
pour tirer de
ces règ n es une leçon
comm
un e.
Les Mémoires de Commynes so nt
aussi remarquables par le ur concision,
l'emploi
du détail juste et une gra nd e
ha bileté à jo uer d es ressources du lan gage pour présenter de façon ambiguë.
»
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