Maupassant : Maison Tellier (Fiche de lecture)
Publié le 19/11/2010
Extrait du document
«Des deux côtés de la route la campagne verte se déroulait. Les colzas en fleur mettaient de place en place une grande nappe jaune ondulante d'où s'élevait une saine et puissante odeur, une odeur pénétrante et douce, portée très loin par le vent 1...] et au milieu de ces plaines colorées aussi par les fleurs de la terre, la carriole, qui paraissait porter elle-même un bouquet de fleurs aux teintes plus ardentes, passait au trot du cheval blanc, disparaissait derrière les grands arbres d'une ferme, pour reparaître au bout du feuillage, et promener de nouveau à travers les récoltes jaunes et vertes, piquées de rouge ou de bleu, cette éclatante charretée de femmes qui fuyaient sous le soleil.«
«
disparaissait derrière les grands arbres d'une ferme, pour reparaître au bout du feuillage, et promener denouveau à travers les récoltes jaunes et vertes, piquées de rouge ou de bleu, cette éclatante charretée defemmes qui fuyaient sous le soleil.»
La nature avec ses couleurs, ses parfums, les effets de lumière, est appréhendée par tous les sens dans cettedescription dynamique de l'excursion champêtre d'un groupe de femmes.
L'ART DE L'ÉPHÉMÈRE
Cette «charretée de femmes» est le groupe de prostituées que dirige Mme Tellier, patronne d'une maison closede Fécamp.
Invitée à assister à la première communion de sa nièce, elle abandonne pour deux jours sonétablissement et emmène avec elle ses filles.
C'est l'occasion pour le lecteur, après avoir visité la maison deFécamp (son salon du haut réservé aux habitués bourgeois, et la salle du bas où l'on accueille les matelots etle tout-venant), de faire un voyage en train en seconde classe où l'on rencontre un plaisant commis-voyageurqui fait essayer des jarretières aux femmes, sous les yeux ahuris d'un couple de paysans ; de filer à traverschamps, en carriole, dans la campagne normande, pour assister enfin à une messe de première communion.
Les prostituées en grande toilette font honneur, par leur nombre et leur éclat, à la famille paysanne.
Pendantla messe, «les paroles mystérieuses et suprêmes du prêtre», la sensualité du culte catholique, les souvenirsd'enfance, la nostalgie de la pureté perdue, submergent ces femmes qui, portées par une grande émotion,donnent tous les signes d'une édifiante piété.
Le curé les complimente :
«Vous êtes l'édification de ma paroisse ; votre émotion a échauffé les cœurs ; sans vous, peut-être, ce grandjour n'aurait pas eu ce caractère vraiment divin.»
Maupassant, qui méprise toute forme de religion, présente cette scène d' émotion collective non comme unmiracle, mais comme un moment fugitif de bonheur, de liberté et de réhabilitation pour le personnage de laprostituée qu'il met en scène une nouvelle fois.
Décrivant à travers Fernande, Raphaèle, Rosa la Rosse, Louise,dite Cocotte, et Flora «dite Balançoire parce qu'elle boitait», tous les types de filles, Maupassant offre aussiune caricaturale galerie de portraits de leurs clients, les médiocres bourgeois de Fécamp.
2.
L'ILLUSION DU VRAI 3.
Maupassant a pris ses distances avec le naturalisme et le réalisme : «les réalistes de talent devraient s'appelerplutôt des illusionnistes», dit-il dans la préface de Pierre et Jean.
Son écriture s'apparente à l'impressionnisme, procédant par petites touches, privilégiant l'instantané de la vision et de l'émotion, dans un désir d'immobiliser parl'écriture des instants fugitifs, comme les effets de lumière sur les paysages, un moment de grâce dans la vie mornedes prostituées, un jour de ferveur pour la communion d'une petite paysanne.
Ce sont des qualités de peintre queMaupassant apporte à l'écriture.
L'exactitude «réaliste» de la peinture s'accompagne d'un choix judicieux des détails qui donne un effet de réel ;
«Faire vrai consiste donc à donner l'illusion complète du vrai, suivant la logiqueordinaire des faits, et non à les transcrire servilement dans le pêle-mêle de leur
succession.»
(«Le Roman», préface de Pierre et Jean)
En choisissant des objets révélateurs (le panneau affiché sur la porte de la maison Tellier : «Fermé pour cause depremière communion», ou bien les jarretières aux
couleurs chatoyantes), Maupassant cerne au plus juste la vérité des personnages Ainsi le simple gested'une prostituée qui console la communiante effrayée de dormir dans sa soupente, prend une valeursymbolique :
«Rosa, ravie, se leva, et doucement, pour ne réveiller personne, alla chercher l'enfant.
[...] Et jusqu'au jour lacommuniante reposa son front sur le sein nu de la prostituée.».
»
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