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Mademoiselle de Maupin. Double amour (résumé)

Publié le 13/12/2018

Extrait du document

amour

Mademoiselle de Maupin. Double amour

 

Ce roman parut à la fin de 1835 et au début de 1836, après une gestation relativement douloureuse : le jeune romancier s’était lié par contrat avec l’éditeur Renduel dès 1833. Il s’était mis à l’œuvre avec un enthousiasme qui ne se maintint guère, et aurait abandonné la rédaction de l’ouvrage sans le soutien — parfois autoritaire — de son père.

 

Le roman est précédé de sa célèbre Préface — qui a fait l’objet de plusieurs études critiques —, déclaration de guerre à l’hypocrisie du moralisme bourgeois triomphant au début de la monarchie de Juillet, et plaidoyer brillant et provocant pour la morale du plaisir. Cette Préface reprend les principes affirmés dès les premières poésies de 1830, dès Albertus, et qui continueront à être ceux de Gautier jusqu’à la fin de sa vie : « Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien » [voir Romantisme].

 

Synopsis. — Le roman se présente sous forme de lettres que le héros et l'héroïne échangent avec leur ami(e) intime : le flou psychologique et social dans lequel se tient le correspondant convient à son rôle de simple utilité permettant l'épanchement et l'introspection de celui qui écrit. La compositicn est apparemment assez lâche mais suit une logique que l'on peut reconstituer : longues confidences de D'Albert, le héros du livre, jusqu'au moment où il rencontre l’héroïne Madelaine de Maupin, récit de la vie de Madelaine de Maupin, idylle de D'Albert et de Madelaine de Maupin. Notons cependant un déséquilibre à l’avantage du héros, dort l'auteur analyse méticuleusement la psychologie.

 

D'Albert est une excellente illustration du mal du siècle, et, par là, il est très proche du René de Chateaubriand. d'Adolphe de Benjamin Constant et d'Octave de la Confession d'un enfant du siècle de Musset, son contemporain immédiat. Il s'englue dans la monotonie de la vie quotidienne à laquelle il désire échapper, sans savoir quel but il désire réellement atteindre: «Je ne désire rien, car je désire tout. » I attend d'une « attente frémissante » d'impatience, mais p eine d'inquiétude également, car il sait déjà, malgré son peu d'expérience de la vie, que toute attente comblée est porteuse de désespoir. Ses rêves se cristallisent progress vement sur la femme. Il est conscient qu’il est beaucoup plus amoureux de l'amour que des femmes réelles, car la femme qu'il rêve doit se parer de toutes les perfections fcrmelles: elle doit être aussi belle que les œuvres d'art la lui ont montrée, et vivre dans un luxe qui mettra sa beauté en valeur, étant bien entendu que la passion se nouera et se déroulera dans un contexte romanesque qui rompra avec la banalité du quotidien. Bien qu'il soit très lucide quant au caractère démesuré de ses exigences et qu'il conna sse des moments de découragement, d'Albert attend avec confiance.

 

Il se décide pourtant à sortir de son inaction pour forcer la main du destin : il joue le jeu social de la coquetterie et fixe son choix sur Rosette, à laquelle il se lie d'un amour plus intellectuel et plus sensuel que réellement sentimental : toujours à l’écoute de lui-même, il sait qu'il n'a pas « reconnu » Rosette et qu'elle n'est pas l'incarnation de son idéal. La liaison se prolonge, jalonnée des jeux érotiques auxquels se plaît le héros, traversée d'éclairs de bonheur, mais laissant cependant au héros l'impression d’une insatisfaction : «Je n'ai pas jeté sur [la] beauté [de Rosette] ce voile de perfection dont l'amour enveloppe la personne aimée; — le voile d'Isis est un voile transparent à côté de celui-là (...). Je n'aime pas Rosette (...)». Au bout de cinq mois, il peut s'écrier : « Ce bonheur me laisse froid; je le sens à peine, je ne le sens pas (...)». Cette prise de conscience est souvent douloureuse, parfois accompagnée de remords, mais l'oblige à cerner son mal et à mettre en lumière ses propres contradictions : la lassitude, la satiété — malgré sa jeunesse —, et pourtant un désir si puissant qu'il souhaite l'impossible : «Je suis attaqué de cette maladie qui prend aux peuples et aux puissants dans leur vieillesse : — l'impossible. Tout ce que je peux faire n'a pas le moindre attrait pour moi (...). Pourquoi donc ne suis-je pas Dieu, puisque je ne puis être homme? » C'est dans ce contexte psychologique qu'il rencontre « un jeune

amour

« repris sa vie d'aventures.

mais la connaissance qu'il/elle acquiert sur les hommes le/la ramène toujours à la même conclusion : « C om me leurs traits sont grossiers, ignoble s.

sans finesse.

sans élégance! » S'interrogeant sur sa propre conception de l'amour.

Madelaine prend conscience de son désir d'absolu : l'amour est pour elle rêve d'unité totale, de fusion dans l'être aimé : «N'être qu'un en deux corps, fondre et mêler ses âmes de façon à ne plus savoir si vous êtes vous ou l'autre», rejoignant par là le vieu x mythe platonicien de l'androgyne -ou de l'hermaphrodite -.

qui hante pareillement l'esprit de D'Albert.

Jusque-là elle a été déç ue par la réalité, car son cœur n'a jamais vibré - sauf pour Rosette.

inaccessible par sa nature même.

C'est pourquoi elle rêve d'être un homme.

ayant c o ns cien ce de participer ég aleme nt de la nature féminine et de la nature masculine : «Je suis d'un troisième sexe à part.

qui n'a pa s encore de nom [ ...

).

j'a i le corps et l'âme d'une femme.

l'esprit et la force d'un homme.

, A la fin du chapitre x1v.

les deux temps du récit se rejoi­ gnent.

quand Madelaine en arrive à sa rencontre avec d'Al­ bert.

qui lui plaît et l'attire.

bien qu'elle ne l'aime pas dans le sens plein qu'elle donne à ce mot.

Après une longue réflexion, dans laquelle elle envisage tous les aspects et toutes les con séq uen ce s de la conduite à te nir , elle décide de se donner à d'Albert.

La nuit d'amo ur de d'Albert et de Madelaine est un moment de perfection qui satisfait en d'Albert autan t l'ar­ tiste que l'amant.

et qui révèle la nature sensuelle de Made­ laine, une Madelaine qui, au sortir de la chambre de d'Al­ bert, fait un m ys térie ux détour par la chambre de Rosette.

Le chapitre XVII am èn e une conclusion assez in atte n due .

par la lettre de rupture que Madelaine écrit à d'A lber t - rupture qu'elle justifie par les raisons philosophiques les plus hautes : si elle reste, le ur passion s'effritera dans le quotidien; en partant, elle sauv ega rd e toutes les illusions de d'Albert.

lui permettant toutes les évasions hors du réel («Vous croirez avoir fait un beau rêve»), donnant finale­ ment à leur amour une vie et une durée que la réalité vécue lui aurait refusées.

Cette œuvre est complexe par les nuances, souvent très raffinées, de l'analyse psychologique et par la lente maturation des conceptions philosophiques (amour, réa­ lité, art), mais aussi par la technique de la narration : le récit épistolaire (qui est d'abord échange avec un tiers et finit par confronter les héros l'un à l'autre) est coupé par des dialogues dignes d'une pièce de théâtre, faisant entrer ainsi dans le roman la dimension de la théâtralité, qui attirait tant Gautier.

Ajoutons que cette technique laisse une place importante à la description du réel - objets, décors, personnages -, ancrant ainsi solidement les personnages dans la réalité à laquelle ils essaient d'échapper, et à la démultiplication (donc à la falsifica­ tion) du réel par ses représentations (tableaux ou tapisse­ ries), doublant le réel de leur ombre ou de leurs projec­ tions et gommant la netteté des contours et des limites : où commence et où finit le réel, où commence et où finit l'idée que l'homme se fait du réel, idée ou rêve? Enfin, doublant la voix des personnages romanesques pour s'identifier à eux ou, au contraire, pour prendre ses distances par rapport à eux en les traitant comme des marionnettes dont le montreur est maître, résonne, tout au long du roman, la voix du narrateur; cette dernière est sans doute l'élément le plus troublant, parce qu'elle introduit une dimension assez inhabituelle dans les ana­ lyses du mal du siècle : celle de l'ironie, une ironie qui varie, allant du sourire indulgent et bon enfant au grince­ ment dramatique, mais ironie qui désacralise.

Le lecteur attentif sera forcé de s'interroger constamment; ces variations sur le sourire sont-elles le masque derrière lequel se cache la pudeur d'une confidence trop person­ nelle et trop directe, ou, au contraire, une perpétuelle remise en cause satirique des valeurs sentimentales reconnues par le romantisme triomphant? Ainsi l'ambi­ guïté du titre autour du terme ((double » et de ses inter­ prétations différentes se retrouve-t-elle au niveau de la signification de l'œuvre : confidence ou satire? Certaine­ ment les deux à la fois.

Gautier a mis en scène un personnage historique dont le souvenir était encore vivant à son époque, mais il est bien évident qu'il n'a gardé que quelques traits - somme toute secondaires -de son modèle pour en faire une création très originale, porteuse de tous ses rêves : rêve de perfection formelle de la beauté féminine, rêve de l'impossible unité de l'homme, partagé entre son corps et son âme, de l'impossible unité du couple, fait d'un élément masculin et d'un élément féminin.

D'Al­ bert et Madelaine sont tous deux hantés par la perfection de l'androgyne -ou de l'hermaphrodite.

Madelaine aime à la fois Rosette et d'Albert parce qu'elle est à la fois homme et femme, tout comme d'Albert, homme, rêve d'être femme: les harmoniques du mot «double» n'en finissent pas de résonner dans la mémoire du lecteur.

Malgré la légèreté du ton, 1 'ouvrage est pessimiste : c'est le roman de l'échec, ou du moins de la fuite, fuite devant le bonheur si ardemment poursuivi; devant le réel, parce qu'à la perfection que l'homme peut atteindre il manquera toujours un élément éssentiel : la pérennité.

La perfection dans les rapports humains ne peut être que ponctuelle, le temps est usure et dégradation.. »

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