Ludwig Tieck: Les Contes fantastiques
Publié le 06/04/2013
Extrait du document
Ludwig Tieck (1773-1853) est né à Berlin. Très jeune, il écrit des romans « noirs « et des écrits satiriques en collaboration avec d'autres auteurs. Au cours d'un voyage en Franconie, ce citadin découvre la nature ; celle-ci fait sur lui une profonde impression, dont on retrouve l'empreinte dans son oeuvre. Au début du XIXe siècle, Tieckjouit d'une grande notoriété en France où il est considéré comme Je chef de l'école romantique allemande. Il a joué un rôle de précurseur en développant dans ses contes
une connaissance de la vie inconsciente par
l'image et Je rêve.
«
,.
EXTRAITS -------~
Réflexion du narrateur au début
du récit
Il y a des heures où l'homme est pris d'an
goisse, lorsqu'il doit tenir secrète à l'égard
de son
ami une chose qu'il a souvent dis
simulée avec beaucoup de soin jusque
là; l'âme se sent alors irrésistible
ment poussée à se communiquer tout
entière, à ouvrir même ses profon
deurs les plus intimes
à l'ami, afin
que son amitié pour nous s'en
accroisse d'autant.
C'est dans
ces instants que les âmes déli
cates se
font reconnaître l'une
par l'autre, et parfois il peut
bien arriver aussi que l'un des
deux soit effrayé
lorsqu'ilfait la
connaissance de l'autre.
Après quelque temps passé chez
la vieille femme, Bertha décide de s'en
aller découvrir
le monde
Je ne savais que faire de moi-même , le chien
sautillait sans arrêt contre moi, la lumière
du soleil
s'épandait gaiement sur la cam
pagne, les verts bouleaux étincelaient:
j'eus
l'impression d'avoir une tâche très urgente
à accomplir,
je saisis donc le petit
chien, je l'attachai dans une salle, et
je pris ensuite sous le bras la cage
avec l'oiseau.
Traité de cette ma
nière insolite, le chien se
mit à
se contorsionner et à gémir, il
me regardait avec des yeux
suppliants, mais
j'avais
peur de l'emmener avec
moi .
Je pris encore un
des vases, qui était rempli de pierreries ,
et
je le mis dans mes affaires ; je laissai les
autres.
Bertha, après avoir quitté la chaumière
de la vieille femme en emportant
l'oiseau, s'installe dans une
nouvelle ville
Depuis longtemp s déjà, l'oiseau n 'avait
plus chanté ; aussi mon effroi ne fut pas
~ mince lorsqu 'il recommença subitement une
nuit, et avec des paroles modifiées.
Il chan
tait :
« Solitude au milieu des forêts,
Comme tu es loin !
Ô tu te repentiras
un
jour avec le temps.
Hélas , unique joie,
Solitude au milieu des forêts!
»
Je ne pus dormir de la nuit, tout me revint
à l 'esprit, et
je sentis plus que jamais que
j'avais mal agi.
Lorsque je me levai, la
vue de l'oiseau m'inspira un véri-
table
sentiment de répul
sion ;
il regardait toujours
dans
ma direction, et sa
présence m'angoissait.
Maintenant, il n'arrêtait
pas de chanter sa chan
son,
et il la chantait
plus fort et avec une
voix plus sonore que
d 'habitude.
Plus je
l'examinais , et plus il me
remplissait d' angoisse; je
finis par ouvrir la cage , y introduisis la
main,
et lui saisis le cou, je serrai hardiment
les doigts, il
me lança un regard suppliant,
je lâchai prise, mais il était déjà mort.
Je
l'enterrai dans le jardin.
Traduction de R.
Guignard
NOTES DE L'ÉDITEUR
« Il n'est guère d'œuvre romantique où le
songe nocturne et la sensation du rêve
éveillé forment un thème aussi constant que
dans les écrits, multiples et multiformes, de
Tieck.
C'est l u i qui, bien plus que Novalis
o u Jean-Paul, a créé ce type du héros
romantique, hésitant
à reconnaître la réalité
du monde extérieur, tenté de n
'y voir sans
cesse qu'une fugitive projection de son
âme, enclin à se réfugier et à se blottir dans
" le vert paradis des amours enfantines ".
C'est que la théorie de Tieck correspond à
la même nostalgie qui habite tous ses vivre
le lecteur ou le spectateur dans
l'illusion, tel est l'idéal de ceux qui
rejoignent malaisément le réel, ou qui
souffrent trop à son contact.
Homme et
poète, Tieck reste impuissant à s'enfermer
dans le monde magique.
Le rêve apparaît,
enchanteur ou tragique, mais bientôt le
rêveur sent en lui-même un singulier désir
de retrouver le plan terrestre, désir aussi
lancinant que celui qui naguère lui faisait
souhaiter de s'enfuir dans le songe.
Par sa
nature, mal faite pour affronter le réel et ses
obstacles, Tieck est prédisposé au rêve ; mais
il n'aime point le prolonger et, sur quelque
rivage qu'il se trouve, il voudrait franchir le
fleuve Styx qui sépare les deux mondes.
( .
..
) Tieck
a légué au romantisme de la
génération suivante ( ...
) une certaine
ambiance lunaire, un art du paysage
extraordinairement fluide et comme
musical.
Les démons
qu'il avait évoqués, et
qu'il s'efforça ensuite de faire rentrer dans
l 'ombre, continuèrent à hanter ceux en qui
il ne voulut jamais reconnaître ses disciples.
Le sentiment
du" peu de réalité ", le goût
du nocturne, le regard tourné vers cette
nappe d'images qui surgissent tout à coup
de la profondeur et révèlent leur efficacité,
autant de découvertes et d'attitudes où
Tieck fut l'initiateur.
»Albert Béguin,
L 'Ame romantique et le rêve , Corti, 1939.
héros : vivre entièrement dans le rêve, faire
1 co ll.
V io llet 2, 3, 4, 5, 6 dess ins et lettri nes de Mo riz Melze r, M orawe & Scheffe lt Verlag, Berlin, 19 11 TIECK02.
»
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