LOTI: Pêcheur d'Islande
Publié le 05/04/2013
Extrait du document
Yann part chaque été pêcher en Islande ; à l'un de ses retours, il épouse enfin Gaud, qu'il aime depuis longtemps. Il reprend la mer pour ne jamais revenir.
Pierre Loti (1850-1923) publie Pêcheur d'Islande, best-seller de l'époque, en 1886. Dès cette date, il partage son existence entre sa carrière d'officier de marine, grâce à laquelle il voyage beaucoup, et son activité littéraire.
«
«Notre petit cortège
de matelots était bien
modeste,
le cercueil
toujours recouvert du
pavillon de France.
,.
- -------EXTRAITS ----- --~
La mer, omniprésente ...
La, Marie projetait sur l'étendue une ombre
qui était très longue comme
le soir, et qui
paraissait verte, au milieu
de ces surfaces
polies reflétant les blancheurs du ciel ;
alors, dans toute cette partie ombrée qui
ne miroitait pas, on
pouvait distinguer par
transparence ce qui se
passait sous l'eau :
des poissons innom
brables, des myria
des et des myriades,
tous pareils,
gltssant
doucement dans la
même direction, com
me ayant
un but dans
leur perpétuel voyage.
C'étaient les morues
qui exécutaient leurs
évolutions d' ensem
ble, toutes en long
dans le même sens,
bien parallèles, fai
sant un effet de ha
chures grises, et sans
cesse agitées d'un
tremblement rapide,
qui donnait
un air de fluidité à cet amas de
vies silencieuses.
Quelquefois, avec un coup de queue
brusque, toutes se retournaient en même
temps, montrant le brillant
de leur ventre
argenté; et puis le même coup
de queue, le
même retournement, se propageait dans le
banc entier par ondulations lentes, comme
si des milliers de lames de métal eussent
jeté, entre deux eaux, chacune un petit
éclair.
·
Le soleil, déjà bas, s'abaissait encore ;
donc c'était
le soir décidément.
A mesure
·qu'il descendait dans les zones couleur de
plomb qui avoisinaient la mer, il devenait
jaune, et son cercle se dessinait plus net,
plus réel.
On pouvait le fixer avec les yeux, comme
on fait pour la lune.
Il éclairait
pourtant ; mais on eût dit qu'il n'était pas
du tout loin dans l'espace ;
il semblait
qu'en allant, avec un navire, seulement
jusqu'au bout de l'horizon, on eût ren
contré là ce gros ballon triste, flottant
dans l'air à quelques mètres au-dessus
des eaux.
Les noces avec la mer
Une nuit d'août, là-bas, au large de la
sombre Islande, au milieu d'un grand bruit
de fureur, avaient été célébrées ses noces
avec
la mer.
Avec la mer , qui autrefois avait été aussi
sa nourrice ; c'était elle qui l'avait bercé,
qui l'avait fait adolescent large et fort
- et ensuite elle l'avait
repris, dans sa
viri
lité superbe, pour elle
seule.
Un profond
mystère avait enve
loppé ces noces mons
trueuses.
Tout
le temps,
des voiles obscurs
s'étaient agités au-des
sus, des rideaux mou
vants et tourmentés,
tendus pour cacher la
fête ; et
la fiancée don
nait de la voix, faisait
toujours son plus
grand bruit horrible
pour étouffer les cris.
Lui, se souvenant de
Gaud, sa femme de
chair, s'était défendu,
dans une lutte
de géant,
contre cette épousée
de
tombeau.Jusqu'au moment où ils' était
abandonné, les bras ouverts pour
la rece
voir, avec un grand cri profond comme un
taureau qui râle, la bouche déjà emplie
d'eau ; les bras ouverts, étendus et raidis
pour jamais.
« ••.
quand on vit le père Gaos se lever
en découvrant sa
tête blanche,
il se fit du silence
partout ••.
»
NOTES DE L'ÉDITEUR
« Pêcheur d'Islande est parfaitement
démodé,
ce qui veut dire qu'il échappe à la
mode, qu'il la récuse pour s'établir dans la
durée.
Rien de conventionnel ni d'insipide
dans cette aventure humaine.
Aucun appel
à
la morale non plus, ni à la civilité puérile et
honnête telle qu'elle est vulgairement
comprise.
La force des caractères, la
violence retenue, la simplicité même de
l'action fait échapper au mélodrame
pour
veillées des chaumières.
Et le rôle de la mer
est tellement énorme qu'il atteint au
tragique
et s'y maintient jusque dans les
scènes les plus familières.
» Pierre Jakez
Hélias, Presses Pocket, 1986.
et des civilisations lointaines traduit son
perpétuel besoin
d'évasion; mais sa pensée
reste obsédée
par l'idée de la mort et la
conviction que toute agitation humaine est
illusion et vanité.
» Lagarde et Michard,
Bordas.
« Il aime les personnages primitifs et
frustes, animés de fortes passions qui
presque toujours aboutissent à
l'échec, à la
souffrance.
C'est qu'au fond de lui-même
ce romantique attardé porte une incurable
mélancolie.
Son goût des idylles exotiques
l Pierre Loti par L.
Lévy-Dhurmer, musée Basque , Bayonne I Lauros-Giraudon 2, 3, 4, 5 aquarelles de M.
Méheut, éd.
Calmann-Lévy , Paris, 1936 / D. R.
«Toujours à l'extrême pointe de
la sensation ( ...
) il ne séparait jamais
l'expression des choses du subtil faisceau
de sentiments qu'il éprouvait.
»Frédéric
Mallet.
LOTI02.
»
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