LISBONNE (Poème sur le désastre de)

« Dans son exaltation, il soutient la thèse que face à ce carnage, on ne peut décemment dire, tel Pangloss, que toutva pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Voltaire utilise l'emphase à souhait, toujours pour appuyer la dimension effroyable de la catastrophe « amas devictimes », « assemblage effroyable », « Terminant sans secours dans l'horreur des tourments leurs lamentablesjours ! »N'en jetons plus, nous avons compris que le sentiment personnel de l'auteur est l'affectation sublimée.

En effet, plusil se montrera touché, plus il en rajoutera dans la déclamation et plus l'optimisme grotesque du « Tout est bien »semblera pour le moins absurde.A l'emphase, nous ajouterons l'indignation bien à-propos de Voltaire ainsi qu'une interrogation « Direz-vous » qui n'enest pas une car elle ne souffre aucune réponse.

Son « Direz-vous » ressemble à celui d'Auguste César au Sénatromain à la mort de Jules César : « Direz-vous à la foule en furie, qui pleure César dont le corps a été poignardé 27fois par des hommes qu'il appelait ses amis, qu'il ne s'agit pas d'un meurtre ? »Ce « direz-vous », on y revient, est une thèse-antithèse.

Cette façon de « dialoguer » avec les philosophes, de semettre à leur place, permet à Voltaire de mieux les contrer par la suite.

Les guillemets lui permettent d'attribuer cespropos à ses adversaires.

Il montre pourtant que ces interrogations ne souffrent aucune réponse rationnelle.Les Optimistes disent que tout est juste, que tout est bien et que chaque châtiment est mérité ? « Dieu s'estvengé, leur mort est le prix de leur crime ».

Soit.

A cela, Voltaire leur oppose la candeur des enfants : « Quel crime,quelle faute ont commis ces enfants ? » Lisbonne a été punie comme le furent jadis Sodome et Gomorrhe ? Soit.Mais Lisbonne « eut-elle plus de vices que Londres et Paris » ?Face à ces arguments, que peuvent répondre les déistes ? Selon Voltaire, Dieu, qui est censé être bon, ne sauraitêtre responsable de tant de cruauté.

Il ne peut s'agir d'un châtiment divin.

Il ne peut y avoir de fatalité nécessaire.Voltaire leur montre aussi qu'il est facile de tout attribuer à la Providence lorsque le mal qui frappe ne frappe que lesautres.

« Vous recherchez en paix les causes des orages ».

Il sous-entend que s'ils étaient à leur tour frappée parla main de Dieu, leur thèse et leur raisonnement seraient certainement mis à mal.

« Mais du sort ennemi quand voussentez les coups, devenus plus humains, vous pleurez comme nous ».Il est intéressant de voir comment, après avoir fustigé à tout va les optimistes et s'être mis à la place des victimes(« aux cris demi-formés de leurs voix expirantes »), Voltaire prétend ensuite qu'il n'attaque personne (« ma plainteest innocente ») et qu'il crie pour ceux qui n'ont pu le faire (« et mes cris légitimes »).Dans ce passage, il s'adresse autant aux philosophes qu'au simple lecteur.

Sa plainte est légitime car qui ne crieraitpas devant ce spectacle ? N'importe quel être humain agirait de même.

Et si les optimistes ne le font pas, c'estqu'ils ont perdu cette dimension humaine (« redevenus humains »). Voltaire utilise un style assez inhabituel, surtout pour lui.

La poésie, certes lyrique, mais à forte valeurargumentative.

Si on peut être en droit de se demander si la volonté de Voltaire n'était pas plus d'apostropher lesoptimistes que de pleurer sur le sort des victimes, on doit avouer que l'emploi d'alexandrins revête au texte toutel'émotion et la crédibilité nécessaires à la cause de l'auteur.

Ce poème a surtout le mérite de mettre encontradiction les événements tragiques et la pensée optimiste qui veut que tout va bien même lorsque lacatastrophe surgit – ils y voient là l'œuvre de Dieu.On notera que ce texte passionné s'il en fut suscita un débat d'idées qui alla jusqu'à la réaction de Rousseau, qui futassez hostile car lui jugeait les hommes coupables du fait qu'il y eut tant de morts (« Convenez, par exemple, que lanature n'avait pas assemblé là vingt mille maisons de six ou sept étages »).Au-delà de la dispute Voltaire-Rousseau, apparaîtra aussi le débat sur l'existence ou non de Dieu.

Ce qui inspirerades années plus tard ces vers à Alfred de Musset :« Dors-tu content, Voltaire, et ton hideux sourireVoltige-t-il encor sur tes os décharnés ?Ton siècle était, dit-on, trop jeune pour te lire ;Le nôtre doit te plaire, et tes hommes sont nés ».Cependant, Musset tancera également les optimistes dans son poème « L'espoir en Dieu » en parlant de ces «sophistes impuissants qui de tant de façons avez tout démontré ».Pour finir, on précisera c'est la dispute Rousseau-Voltaire (« Si Dieu existe, il est parfait.

S'il est parfait, il est sage,puissant et juste.

S'il est sage et puissant, tout est bien) ainsi que la place du mal dans la création divine quiinspireront à Voltaire son ouvrage le plus fameux : Candide où tout est pour le mieux dans le meilleur des mondespossibles.. »