L'île des esclaves de Marivaux (Résumé & Analyse)
Publié le 22/02/2012
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Clés de lecture ORIGINES
L'Île des esclaves de Marivaux
30
u Marivaux et du Wat
teau!/Du pastel et des
mousselines! 1 Sur un
air de pizzicato/Des crincrins
et des mandolines! » Ces vers
du poète Stuart Merrill (1863-
1915) illustrent bien l'image
stéréotypée à laquelle on a
souvent réduit Pierre Carlet
de Chamblain de Marivaux
(1688-1763): celle d'un auteur
léger
et brillant, créateur de
fêtes galantes aussi subtiles
que superficielles.
Sa pensée
a ainsi été mésestimée dès le
xviiie siècle.
Pour beaucoup
d'entre eux, ses contemporains
ont en effet vu dans ses comé
dies de continuelles variations
autour du thème de la surprise
de l'amour.
Et un Voltaire (cf.
p.
70) ou un d'Alembert* ont
émis à son propos des juge
ments traduisant une profonde
incompréhension.
q:olfldlt!ons
Il est vrai que Marivaux n'a pas
directement participé
à la lutte
philosophique.
Même s'il
appartient à la génération de
Voltaire ou de Montesquieu
(cf.
p.
60), il écrit en effet ses
œuvres les plus marquantes
dans les années 1710, 1720 et
1730.11 est vrai également que
sa renommée, aujourd'hui
comme hier, s'explique d'abord
par le succès de comédies où
le sentiment amoureux occupe
une place centrale.
Mais, dans
ses pièces, comme dans le
reste de
son œuvre, la critique
sociale
est en réalité omnipré
sente.
Il est même l'auteur de
trois comédies utopiques qui,
dans le cadre fantaisiste d'une
île imaginaire, renversent pour
Marivaux (1688·1763).
un temps les hiérarchies tra
ditionnelles.
De ces trois pièces
-L'lie des esclaves (1725), L'lie
de la raison (1727) et La Colo
nie (1750) -,seule la première
a connu le succès.
Elle fut sou
vent jouée au xviiie siècle et
nous surprend toujours
aujourd'hui par son extraordi
naire modernité.
Marivaux y
imagine, dans
une Antiquité
de convention, le naufrage
d'Athéniens sur une île que
dirigent des esclaves fugitifs.
Sur ordre du gouverneur (Tri
velin), les maîtres (lphicrate
et Euphrosine) sont privés de
leur liberté alors que leurs
esclaves (Arlequin et Cléan
this) sont affranchis.
Le pro
cédé de l'inversion des condi
tions
est ici utilisé de manière
particulièrement subversive,
puisqu'il révèle le
caractère
arbitraire de l'ordre social éta
bli.
Marivaux laisse entendre
en effet que le pouvoir des
maîtres ne puise sa légitimité
que dans l'usage de la force
(lphicrate signifie d'ailleurs
« qui règne par la violence »)
et au final dans la négation de
l'humanité de l'autre.
Les textes fondamentaux Hors-série no 26 Le Point
Au siècle suivant, le critique
Charles-Augustin Sainte-Beuve
(1804-1869) énoncera néan
moins un jugement ana
chronique en assimilant cette
comédie à une « bergerie révo
lutionnaire >>.
Cette formule ne
tient nul compte en effet du
dénouement de la pièce : au
terme d'une série d'épreuves,
Arlequin
et Cléanthis pardon
nent à leurs anciens maîtres
et acceptent que l'ordre origi
nel soit rétabli.
Il est donc tout
aussi absurde
de voir en Mari
vaux un révolutionnaire avant
l'heure que de le présenter
comme l'auteur de comédies
frivoles
et dépourvues d'am
bition.
Son projet est en réalité
Marivaux ialisse
entendre que
le pouvoir
des maîtres
ne puise sa légitimité
que
dans la force.
bien moins politique que
moral.
Dans ses pièces, comme
dans
ses romans et ses pério
diques, il ne cesse d'inviter au
repentir,
à la tolérance, à la
compréhension de l'autre.
Ainsi, il ne propose pas de
transformation radicale de la
société comme le feront
d'autres auteurs des Lumières;
mais
son œuvre tout entière
traduit la volonté
de réformer
le
cœur des hommes.
A.L..
»
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