LIAISONS DANGEREUSES (Les ) de Pierre-Ambroise-François Choderlos de Laclos
Publié le 03/09/2015
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LIAISONS DANGEREUSES (Les ).
De tous les chefs-d’œuvre du roman français, il n’en est point qui nous cause autant de malaise que cet ouvrage de Pierre-Ambroise-François Choderlos de Laclos (1741-1803), publié à Paris en 1782. Écrit tout entier sous forme de lettres, il fait terriblement figure dans l’univers de la parole. Si l’on veut savoir pourquoi, son histoire elle-même nous répond : sitôt que l’ouvrage vit le jour, il provoqua un tel scandale que l’auteur fut mis à l’index, forclos des salons de la capitale et menacé dans sa carrière de soldat. Criminel, impie et blasphémateur : tels sont les
Gravure de Triens d'après Monnet pour les Liaisons dangereuses. Paris, 1782.
mots dont l’élite de la société crut bon d’accabler l’écrivain. Que l’on se garde bien de croire qu’après la Révolution les choses en sont, restées là. Dans le cours du xixe siècle, il s’éleva, en effet, un nouveau tollé général contre l’ouvrage en question. On le fit même interdire par les tribunaux. Quant à notre siècle, s’il se dispense d’enchérir sur tous ces jugements, c’est qu’il croit avoir trouvé un remède plus efficace dan ce qu’on appelle la conspiration du silence : dans tout manuel de littérature, il est de règle qu’on s’abstienne de faire mention de Laclos. Cela dit, sachons le reconnaître : cette méfiance opiniâtre du public contre le livre ne laisse pas de se justifier. En fait, rien de plus virulent que les Liaisons dangereuses. Qu’on le veuille ou non, ce paquet de lettres sent le soufre. Il agit sur notre esprit à la manière d’un poison. Il semble, en outre, qu’il soit propre à braver le temps, vu qu’après en avoir fait l’épreuve, il reste absolument intact. Où réside donc ce poison ? Dans l’objet même de l’ouvrage. Il s’en faut, certes, que cet objet se décèle d’entrée de jeu. Il se dissimule, en effet, derrière la peinture complaisante d’un certain nombre de vices. Ainsi nous fait-il prendre le change. Or, il est de toute évidence que ce roman est autre chose qu’une galerie de turpitudes. Il vise beaucoup plus loin ; il vise au centre de la cible, ou plutôt au cœur de la vie, pour la raison qu’il s’attaque à un problème aussi ancien que le monde : à savoir le problème du Mal. Quelque chose prouve cette assertion d’une manière péremptoire : le ton singulier dont l’ouvrage se prévaut d’un bout à l’autre. Deux choses, en effet, brillent par leur absence dans ce terrible roman : la frivolité d’abord, la sentimentalité ensuite.
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