LETTRES PERSANES (les) de Montesquieu
Publié le 23/01/2019
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LETTRES PERSANES (les), roman philosophique de Montesquieu (1721), paru à Amsterdam, sans nom d'auteur. Usant d'un procédé satirique déjà utilisé par Dufresny, l'auteur soumet le monde occidental au regard de deux voyageurs persans, Usbek et Rica, qui font part de leurs impressions à différents correspondants. Le récit se développe à deux niveaux : à mesure qu'Usbek poursuit son enquête sur les mœurs parisiennes, le luxe, le progrès, le gouvernement, la législation, le désordre s'installe et la révolte éclate dans le sérail qu'il a abandonné. Découvrant intellectuellement le lien nécessaire, et si souvent distendu, entre bonheur et liberté (témoin la fable des Troglodytes), Usbek constate que son propre système de vie repose sur la contrainte infligée à autrui : contradiction qui noue étroitement romanesque et débat philosophique. Mais, savant organisateur de cette double entropie, l'auteur éprouve ainsi le pouvoir et l'autonomie de sa propre raison.
«
« Tu renonces à ta raison, pour
essayer la mienne ;
tu descends
jusqu'à me consulter ;
tu me crois capable
de t'instruire.
»
EXTRAITS ~ ~~ ~~~ ~-
Lettre de Rica à son ami lbben
Les habitants de Paris sont d'une curiosité
qui
va jusqu'à l'extravagance.
Lorsque j' ar
rivai ,
je fus regardé comme si j'avais été
envoyé du ciel: vieillards, hommes.femmes,
enfants, tous voulaient me
voir.
Si je sortais,
tout le monde se mettait aux fenêtres ; si
j'étais aux Tuileries, je voyais aussitôt un
cercle se
former
autour de moi : les
femmes même fai
saient un arc-en
ciel, nuancé de
mille couleurs, qui
m'entourait ; si
j'étais aux spec
tacles,
je trouvais
d'abord cent lor
gnettes dressées
contre ma figure :
enfin jamais hom
me
n'a été tant vu
que moi.
Je sou
riais quelquefois
d'entendre des
gens qui n'étaient
presque jamais sortis de leur chambre, qui
disaient entre eux :
«Il faut avouer qu'il a
l'air bien persan.
» Chose admirable ! je
trouvais de mes portraits partout ; je me
voyais multiplié dans toutes les boutiques,
sur toutes les cheminées ; tant on craignait
de ne m'avoir assez vu.
Lettre du premier eunuque à Ibben
Lorsque mon premier maître eut formé le
cruel projet de me confier ses femmes , et
m'eut obligé, par des séductions soutenues
de mille menaces, de me séparer
pour
jamais de moi-même, las de servir dans les
emplois les plus pénibles,
je comptai sacri
fier mes passions à mon repos et à ma for
tune.
Malheureux que
j'étais! mon esprit
préoccupé me faisait voir
le dédommage- ment
et non pas la perte : j'espérais que
je
serais délivré des atteintes de l'amour, par
l'impuissance de le satisfaire.
Hélas ! on
éteignit en moi l'effet des passions, sans en
éteindre la cause ; et, bien loin
d'en être
soulagé,
je me trouvai environné d'objets
qui les irritaient sans cesse.
( ...
)Dans ce
temps de trouble,
je n'ai jamais conduit une
femme dans
le lit de mon maître, je ne l'ai
jamais déshabillée, que je ne sois rentré
chez moi
la rage dans le cœur, et un affreux
désespoir dans l'âme.
Lettre d'Usbek.
-Qui est cet homme, lui dis-je, qui nous a
autant parlé des repas
qu'il a donnés aux
grands, qui est si familier avec vos ducs, et
qui parle si souvent à vos ministres, qu'on
me dit être d'un accès si difficile ?
(.
..
)
- Cet homme, me répondit-il en riant, est
un
fermier ; il est autant
au-dessus des autres
par ses
richesses
qu'il est au-des
sous
de tout le monde par sa
naissance ; il aurait la
meilleure table de
Paris, s'il
pouvait se résoudre à ne
manger jamais chez lui.
Il
est bien impertinent, comme
vous voyez ; mais il excelle
par son cuisinier : aussi
n'en est-il pas ingrat, car
vous avez entendu
qu'il l'a
loué tout aujourd'hui.
(.
..
)
-Mais, si je ne vous impor
tune pas, dites-moi qui est
celui qui est vis-à-vis de
nous,
qui est si mal habillé ; qui fait
quelquefois des grimaces, et a un langage
différent des autres ; qui
n'a pas d'esprit
pour parler, mais qui parle pour avoir de
l'esprit?
- C'est, me répondit-il, un poète, et le
grotesque du genre humain.
« Une femme qui venait
de perdre son mari vint
en cérémonie chez
le gouverneur de la ville
lui demander la
permission de
se brûler.»
NOTES DE L'ÉDITEUR «Le genre de la lettre permettait à
Montesquieu de passer avec désinvolture
d'un sujet à l'autre et de présenter tour à
tour des aspects variés de son souple
talent.
» P.-G.
Castex.
d'esprit
de
l'une des aventures essentielles
de l'esprit humain.
»Kléber Haedens.
« Les Lettres persanes eurent d'abord un
succès si prodigieux que les libraires mirent
tout en usage pour en avoir des suites.
Ils
allaient tirer par la manche tous ceux qu'ils
rencontraient:
"Monsieur, disaient-ils,
faites-moi des
Lettres persanes.
"»
Montesquieu.
« Être vrai partout », telle est la règle que
s'est donnée Montesquieu.
« On lira plus volontiers les Lettres persanes ,
aimable satire des mœurs parisiennes où
_l'on retrouve le libertinage très sec de la
Régence.
Le jeu est, cependant, un peu
prolongé et nos deux
Persans en voyage
s'étonnent parfois de bien peu de chose.
Il
ne s'agit nullement dans cet ouvrage plein
1 Lauros -Giraudon 2, 3 , 4 grav ures de M.
de Becq ue , éd.
de la Lampe d'Or, Paris , 1 925 / B.N.
«A la fin des Lettres persanes, le lecteur
n'aura pas seulement assisté à la
confrontation de la morale de
Paris et de celle
d 'Ispahan.
Il aura fait en esprit le tour du
monde.
Il aura parcouru tous les lieux
illustres de !'Histoire: la Judée, la Grèce,
Rome.
Et, découvrant la relativité des absolus
qu'on révère en divers lieux et en divers
temps,
if aura senti la nécessité de s'élever
à l'universel.
»Jean Starobinski.
MONTESQUIEU 03.
»
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