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L’esprit géométrique chez Blaise PASCAL

Publié le 16/01/2020

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esprit
De l'esprit géométrique
On peut avoir trois principaux objets dans l’étude de la vérité : l’un, de la découvrir quand on la cherche ; l’autre, de la démontrer quand on la possède; le dernier, de la discerner d’avec le faux quand on l’examine. Je ne parle point du premier : je traite particulièrement du second, et il enferme le troisième. Car, si l’on sait la méthode de prouver la vérité, on aura en même temps celle de la discerner, puisqu’on examinant si la preuve qu’on en donne est conforme aux règles qu’on connaît, on saura si elle est exactement démontrée.
La géométrie, qui excelle en ces trois genres, a expliqué l’art de découvrir les vérités inconnues, et c’est ce qu’elle appelle analyse, et dont il serait inutile de discourir après tant d’excellents ouvrages qui ont été faits (1). Celui de démontrer les vérités déjà trouvées, et de les éclaircir de telle sorte que la preuve en soit invincible, est le seul que je veux donner; et je n’ai pour cela qu’à expliquer la méthode que la géométrie y observe : car elle l’enseigne parfaitement (2).
Mais il faut auparavant que je donne idée d’une méthode encore plus éminente et plus accomplie, mais où les hommes ne sauraient jamais arriver : car ce qui passe la géométrie nous surpasse ; et néanmoins il est nécessaire d’en dire quelque chose, quoiqu’il soit impossible de le
1. Par exemple les recherches de Viète (1540-1603) qui remit l’analyse à l’honneur, notamment dans son In artem analyticam Isagoge, rédigé en 1591 et traduit en français en 1630 sous le titre : Introduction en l’art de l’analyse ou algèbre nouvelle. Ou bien encore celles de Descartes lui-même.
2. La phrase qui suit « mais il faut auparavant... plus accomplie » est remplacée, dans le manuscrit original de Louis Perrier, par le passage suivant :
Par ses exemples, quoiqu’elle1 n’en produise aucun discours. Et parce que cet art consiste en deux choses principales, l’une de prouver chaque proposition en particulier, l’autre de disposer toutes les propositions dans le meilleur ordre, j’en ferai deux sections, dont l’une contiendra les règles de la conduite des démonstrations géométriques, c’est-à-dire méthodiques et parfaites, et la seconde comprendra celles de l’ordre géométrique, c’est-à-dire méthodique et accompli : de sorte que les deux ensemble enfermeront tout ce qui sera nécessaire pour la conduite du raisonnement à prouver et discerner les vérités, lesquelles j’ai dessein de donner entières.
SECTION I
De la méthode des démonstrations géométriques, c’est-à-dire méthodiques et parfaites
Je ne puis faire mieux entendre la conduite qu’on doit garder pour rendre les démonstrations convaincantes, qu’en expliquant celle que la géométrie observe, et je ne le puis faire parfaitement sans donner auparavant l’idée d’une méthode encore plus éminente et plus accomplie,
La préface du Traité du Vide affirmait que les sciences soumises à l’expérience et au raisonnement devaient toujours être augmentées. Comme l’expérience guide le physicien et qu’elle croît continuellement, on pouvait être tenté d’attendre de Pascal une réflexion sur le caractère historique de toute connaissance expérimentale, faite d’approximations successives. N’est-il pas significatif d’ailleurs que Pascal, alors qu’il traite du problème du savoir, croit bon d’ajouter dans ce texte que l’homme n’est produit que pour l’infinité?
Or les Pensées et l’opuscule sur lEsprit géométrique (qui doit .dater des années 1657-1658), loin de confirmer cette attente, paraissent oublier les leçons de l’œuvre physique antérieure !
On n’a pas été sans remarquer que ce texte, privilégiant le modèle géométrique, relègue progressivement au second plan, puis élimine purement et simplement, les sciences de la nature du champ de sa réflexion, pour ne plus traiter que de la vérité mathématique. Ainsi, lorsqu’il s’agit de parler des démonstrations véritables, on s’aperçoit que la géométrie « est presque la seule des sciences humaines qui en produise d’infaillibles parce , qu’elle seule observe la véritable méthode au heu que toutes les autres sont, par une nécessité naturelle, dans quelque sorte de confusion que seuls les géomètres savent extrêmement recon- ' naître ». Et comme la méthode s’identifie ici à l’ordre déductif, la suite vient d’ehe-même mais dans les Pensées cette fois : « nulle science humaine ne peut garder (cet ordre)... la mathématique le garde mais elle est inutile ^n sa profondeur » (Lafuma 694). Ainsi se trouvent oubliés la relativité essentielle du savoir expérimental, son inachèvement, son ouverture sur J l’infini. 1
On comprend dès lors l’hypothèse, au demeurant sédui-
santé, de Pierre Guénancia qui parle à ce propos d’une épisté-
mologie de repli (1). Pour lui, chez Pascal, l’apologiste aurait j
tué le savant et au premier chef le physicien. Pour faire la i
preuve de la misere humaine, l’auteur des Pensées oublie (refoule?) l’idée d’un progrès indéfini du savoir. Comme le disait déjà P. Painlevé : « la foi mystique a retenu et restreint l’imagination scientifique (2) ».


esprit

« Il faudrait dire alors que Pascal méta-physicien ne parvient plus à rêver que d'une vérité absolue qu'il ne trouve nulle part sinon en Dieu, et en un Dieu qui se cache.

Nulle assurance, nulle fermeté, n'offrent prise désormais à une raison " toujours déçue par l'inconstance des apparences " (Pensées, Lafu­ ma 195).

La pratique du physicien avait pourtant uni avec succès cette raison et l'expérience.

Les Pensées s'attachent au contraire à dénoncer leur hé,térogénéité (cf.

Lafuma 45) ...

La pratique du physicien aurait dû conduire à donner à l'excep­ tion contrôlée un statut épistémologique particulier en accord avec une conception polémique de la vérité.

Les Pensées n'y voient plus que le seul fait que la nature se contredit sans cesse (cf.

Lafuma 648 ou 660) ...

Résumons : la pratique du physicien, nourrie en son ordre de l'expérience de l'infini, pouvait assez naturellement déboucher sur une conception historique de la vérité expérimentale que la préface du Traité du Vide laissait espérer dès les années 1650- 1651.

Mais la géométrie aurait pris sa revanche en retrouvant sa primauté avec les opuscules de 1657-1658, lorsque s'ouvrait le temps des Pensées.

Le choix de Pascal se ferait alors entre deux modèles possibles de la vérité et du savoir, avec un but exclusif désormais recherché : décrire la misère de l'homme sans Dieu, et ainsi privilégier la soumission Oa géométrie) au défi.

prométhéen Oa physique).

Mais peut-être convient-il aussi de replacer ce texte dans le contexte immédiat des préoccupations de Pascal.

Entre 1654 et 1658, entre le petit traité sur la Sommation des puissances numériques (qu'on trouvera ci-dessous) et les · travaux sur la cycloïde, nous voyons progresser considérable­ ment la réflexion pascalienne sur la composition du continu ou, si l'on préfère, sur ces' recherches qui le conduisent, avec beaucoup d'autres de ses contemporains, à résoudre les pro­ blèmes de quadrature et de cubature, en mettant au point un substitut du calcul intégral.

Ces recherches s'inscrivent dans la lignée de celles qu'inspi­ rent alors les travaux d'Archimède, ce « prince des esprits " (comme l'appelleront les Pensées), véritable inspirateur de la mathématique et de la mécanique qu temps· (3).

Toutefois, comme on ignorait alors la Lettre à Eratosthène où le syracu­ sain révèle sa méthode de découverte et le détail de son analyse, on essayait d'imaginer, pour calculer les aires ou les volumes déterminés par diverses courbes, ou pour déterminer leurs 3.

Dans un article consacré à • Bonaventura Cavalieri et la Géométrie des continus • (paru dans: Hommage à Lucien Febvre.

A.

Colin, 1953) A.

Koyré écrit fort justement : • la pensée mathématique du début du XVIl" siècle...

peut être caractérisée par l'achèvement de la réception de la géométrie grecque et par les premières tentatives pour la dépasser.

" 81. »

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