Dès 1716, Montesquieu rédigeait une Dissertation sur la politique des Romains dans la religion --- publiée seulement de manière posthume --- en quoi transparaît son souci du détail concret dont la vie de chaque jour, bien plus que les grandes maximes politiques, révèle le sens et l'importance.
Les Lettres persanes (1721) révèlent spécialement l'art avec lequel, au détour des faits, le trait piquant, saisi sur le vif, livre sa signification, voire toute une leçon.
Cette «chasse de Pan«, patiemment effectuée dans l'immense magasin des faits, sert assurément, au temps des Lettres persanes, à conduire, de manière souvent irrévérencieuse, une critique des moeurs sociales et politiques de la capitale française.
Si, de Platon à Aristote et à Bodin, la tradition philosophico-politique différenciait les régimes politiques d'après le critère du nombre des gouvernants --- la monarchie est le gouvernement d'un seul, l'aristocratie est le gouvernement du petit nombre des meilleurs, la démocratie est le gouvernement du grand nombre par le peuple tout entier ---, Montesquieu, toujours sensible aux réalités concrètes de l'histoire, ne suit pas cette logique abstraite.
De surcroît, la monarchie, par sa nature même, réclame «un dépôt des lois« qui, loin de résider dans le «Conseil du Prince«, évidemment vulnérable comme le sont les hommes qui le composent, ne peut être qque dans les «corps politiques qui annoncent les lois lorsqu'elles sont faites et les rappellent lorsqu'on les oublie«.
L'importance des lois est absolument incontestable dans les gouvernements républicain et monarchique.
Elles y sont si nécessaires que l'histoire elle-même a fait de certaines d'entre elles des «lois fondamentales«, constitutives de l'État et régulatrices du régime qu'il s'est donné.
Sous la plume de Montesquieu, la trilogie des gouvernements ne demeure pas tout à fait une simple description car, sous son regard historien, les données factuelles s'accompagnent d'un constat qui est tout près de se transmuter en une idée-force qui définit la normalité de la chose publique, à savoir que l'observance des lois fondamentales et la liberté des citoyens vont de pair en politique.
Les principes des divers gouvernements Tandis que la nature d'un gouvernement est «ce qui le fait être tel«, son principe est «ce qui le fait agir« (E.L., III, 1).
Dans l'Esprit des lois, elle se développe, comme l'indique l «Avertissement de l'auteur« (p. 227), autour de la notion de vertu, ou, plus exactement de vertu politique, qui seule, permet l'intelligence de l'ouvrage.
N'entendons point que, selon Montesquieu, certains hommes sont meilleurs que d'autres ; dès la première page de L'Esprit des lois, il a exclu cette considération morale.
C'est en termes politiques que se définit la vertu dont la république démocratique constitue, selon lui, le lieu d'excellence.
C'est l'occasion, pour lui, d'énoncer une théorie des dimensions et de ciseler l'idée de modération.
Bien que le monde des hommes «ait aussi des lois qui, par leur nature, sont invariables, il ne les suit pas constamment comme le monde physique suit les siennes«.
Le monde des hommes, quoique intelligent, est fragile.
Les êtres humains sont instables et inconstants ; ils changent selon leurs humeurs et leurs passions ; leur intelligence est «bornée« et leur finitude les expose à l'erreur.
De surcroît, comme leur volonté dépasse leur entendement, ils prennent des initiatives qui, parfois, modifient les déterminations naturelles.
Donc, parce que l'homme est un être doté d'intelligence et de volonté, «il viole sans cesse les lois que Dieu a établies et change celles qu'il établit lui-même«.
Un tel être pouvant, «à tous les instants, oublier son Créateur«, les lois de la religion, de la morale ou de l'État doivent lui rappeler l'obéissance due aux lois de la Nature voulues de Dieu et le remettre dans le chemin de Nature dont il s'est écarté.
L'esprit des lois est donc aussi une loi : grâce à l'esprit qui les habite, les lois annoncent «les ordres de la Raison à ceux qui ne peuvent les recevoir immédiatement d'elle« (Pensées, 208).
En commentant divers textes qui, dans L'Esprit des lois, éclairent comme des phares puissants la Constitution de la liberté conçue par Montesquieu, nous pourrons mettre en évidence l'inspiration philosophique profonde qui anime sa pensée politique.
Celle-ci, tout entière destinée à pallier la «monstruosité« des régimes despotiques dans lesquels tout est contre-nature, tend à montrer que, pour rendre les hommes à leur liberté essentielle, il convient avant tout que le dispositif constitutionnel respecte, en l'État, la nature des choses et la hiérarchie des êtres qui caractérisent fondamentalement l'ordre du monde.