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LES « RÉFLEXIONS SUR LA VIOLENCE » DE GEORGES SOREL

Publié le 07/09/2018

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Comment situer la pensée d'un Sorel ? Brassez ensemble du Marx - une forte ration de matérialisme historique - du Proudhon à haute dose, du Bergson fluide et du Nietzsche explosif, vous obtiendrez à peu près cette pensée riche et confuse, à la fois attirante et irritante. C'est en ces termes qu'un amateur de pittoresque dans l'histoire des idées pourrait être tenté de répondre à la question posée. On imagine aisément la variété des thémes qu'a pu offrir à la perspicacité, à l'ingéni<'sité, au brillant de ses commentateurs ce Sorel, auteur (sans compler d'innombrables articles et comptes rendus) d'une quinzaine de volumes, depuis une Conlribulion à l'élude profane de la Bible {1889) jusqu'aux Matériaux pour une théorie du prolélarial (1919­1921 ), en passant par La Décomposition du marxsisme, Les Illusiorzs du progrès, les Réflexions, etc. Ibn soupçonne non moins aisément, de combien de côtés à la fois ses commentateurs ont pu être tentés de tirer une pensée aussi hétérogène (au moins d'apparence). D'autant plus que la succession des attitudes pratiques de notre auteur offre un spectacle non moins déconcertant. Il fut d'abord socialiste démocrate ou parlementaire à la Jaurès, a-u temps de l'aiT aire Dreyfus. Il devint. syndicaliste révolutionnaire et le pire ennemi du soc.ialisme politique autour de 1905 : les Réflexions correspondent à cette seconrie étape. Autour de 1910 le voici en coquetterie avec Maurras, L'A clion française et le nationalisme intégral. Vers 1914 renaissait chez lui, pour l•! prolétariat, une ferveur assez découragée, que venait stimuler, exalter en 1917 le triomphe inattendu du b-olchevisme en Russie. Sorel alors n'allait plus cesser d'admirer Lénine, de plaider pour lui, non sans témoigner en même temps, dans les mêmes conversations parfois, une vive estime à Mussolini dont commençait l'ascension politique (la mort de Sorel eul lieu en allût 1922 ; la marche sur Rome date d'octobre suivant).

Tout cela explique qu'on ait beaucoup écrit - trop - sur Sorel. Tant de littérature n'a pas été sans obscurcir encore son cas. Heureusement quelques pages, nne cin­quantaine, de ce prinee de la clarté intellectuelle que fut l'économiste G. Pirou, ont su mettre à nu, avec une autorité décisive, la tiouble racine de la déconcertante pensée sorélicnnc, et explique,·, du même coup, les étapes contradictoires de sa route politique.

Sorel, c'est d'une part un ingénieur, un technicien, et de là <( un philosophe de la technique \"· C'est d'autre part, et plus encore, un moraliste, ''âpre et sévère ))' un morali;;t.e c pas:;ionné )).

Pt>lyteehnieien, pendant un quart de siècle ingénieur des Ponts (il avait démissionné en 1891, à. quarante-cinq ans, pour se consacrer à l'étude des questions sociale1>), il garde la rnarque de l'homo fa ber, de l'homme qui agit sur la matière. Il croit à la prod~tdion, au progrès de la production (dans ce domaine au moin~>, pas <(d'illusions du progrès )J, pour lui). Ce tour d'esprit le portt\\ jusqu'à l'excès, b retxouver <·. sous les conslruclions idéologiques . .. le sl>ubasscmcnt technologique qu'elles recouvrent)) (Pirou). Exemple : c'est le travail des corps durs qui aurait donné aux Grecs l'esprit géonu'Lriqur.. De lit au matérialisme historique de :\\farx il n'y avait qu'un pas.

 

Mais au-dessus de la technique ('st la morale. Sorel, moraliste rigoureux, tenanl inlransig(•ant de la morale lraditionnelle puisée au ehristianisme maternel, Sorel, qui rcrit « que le monde ne ùe,·iendra plus just·~ que dan::; la mesure où il deviendra plu;; chaste >>, .rdève, par ces prùoccupati(Jns, dtl Proudhon1 tion sculcmiml il fA horreur

Le vrai syndicalisme, héritier à cet égard d'un Proudhon et de l'anarchisme,

était dominé par la plus vive méfiance vis-à-vis non seulement des politiciens, mais

aussi du pouvoir d'Etat en lui-mème, de « J'appareil d'f:tat », comme disaient les théoriciens allemands. De là au syndicalisme révolutionnaire, réalisant la transforma

tion violente de la société, la rèvolution sociale, par l'action type des syndicats ouvriers : la grève, la grève non plus partielle, mais générale - la distance n'était pas si grande. Sorel la franchit, sous l'influence, décisive sur lui, de Fernand Pelloutier, militant ouvrier du syndicalisme révolutionnaire, apôtre (mort prématurément en 1901, à l'âge de trente-quatre ans) qui mettait lui aussi l'accent sur l'éducation morale du prolétariat. Voici donc Sorel - c'est sa seconde étape - chef de la nouvelle école, laquelle se proclame marxi.ste, syndicaliste et révolutionnaire, qu'animent d'ardentes préoccupations morales, et qui prône l'idée de la grève générale. C'est le « néo-marxisme syndicaliste ,,, aux antipodes du < néo-marxisme réformiste » de Bernstein. Parmi les disciples de Sorel, on comptait au premier rang· Édouard Berth, ruisselant de talent, puis le directeur de la revue Le Mouvement socialiste, Hubert Lagardelle, avec lequel Sorel et Berth rompirent en 1908.

Les Réflexions sur la violence, suite d'articles parus en 1906 dans Le Mouvement socialiste, puis publiés, après remaniement, en volume en 1908, avec une introducLion sous forme d'une longue lettre à Daniel Halévy, sont en quelque sorte le manifeste de la « nouvelle école ». Manifeste agressif, mal composé, confus, plein de chevauchements entre les chapitres et de redites, laissant voisiner des ragots peu dignes d'un sociologue avec les vues les plus aiguës sur la nature humaine et le devenir social.

 

Sorel ne se dissimulait pas, d'ailleurs, que les défauts de so présentation le condam­naient à ne « jamais avoir accès auprès du grand public ,,, li explique, dans la lettre à D. Halévy, que ces défauts tenaient à sa manière de travailler, celle d'un autodidacte qui, pendant vingt ans, s'était acharné à « se délivrer de ce qu'il avait retenu de son éducation. Les livres qu'il dévorait sur toutes sortes de sujets lui inspiraient des « réflexions )) qu'il notait sur des cahiers comme elles surgissaient, revenant plusieurs fois sur la même question, <transforment de fond en comble ». Et c'étaient ces cahie.-s, ayant servi à sa propre instruction, qu'il présentait aux lecteurs. Pour justifier sa manière, il invoquait la fameuse théorie de Bergson - dont il avait suivi les cours avec passion - sur la conception intuitive, vivante et personnelle des choses, opposée à l'impersonnel, au socialisé, au loul fait.

« SOCIALISME ET NATIONALISME Comment situer la pensée d'un Sorel ? Brassez ensemble du Marx -une forte ration de matérialisme historique -du Proudhon à haute dose, du Bergson fluide et du Nietzsche explosif, vous obtiendrez à peu près cette pensée riche et confuse, à la fois attirante et irritante.

C'est en ces termes qu'un amateur de pittoresque dans l'histoire des idées pourrait être tenté de répondre à la question posée.

On imagine aisément la variété des thémes qu'a pu offrir à la perspicacité, à l'in géni>, .rdève, par ces prùoccupati(Jns, dtl Proudhon1 �on sculcmiml il fA horreur 1.

Cr.

• Sorel ct Proudhon •, dans le Prowllwn d'f:d.

Doi.LÎ>A:->s, Paris, 1948.. »

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