Les Quatre parties du monde, Histoire d'une mondialisation de Serge Gruzinski (fiche de lecture)
Publié le 19/08/2012
Extrait du document
On peut constater que l'auteur ne se limite pas à la mondialisation ibérique, au domaine de la guerre, de la christianisation et du commerce, mais il dresse aussi la liste d'autres acteurs tous aussi importants. Par exemple le poète Bernardo de Balbuena, qui exalte la domination de la monarchie espagnole dans son long poème Grandeza Mexicana. Cet homme a quitté l'Espagne pour le Mexique où son père a fait fortune. Il saura admirablement s'intégrer dans cette société composite de Mexico, où l'on retrouve des Créoles mais aussi des militaires, des nobles d'Espagne et des inquisiteurs. L'Inca, de la Vega, a su aussi conjuguer l'héritage andin et tradition européenne la plus raffinée. Mais Gruzinski achève son livre sur un constat d'échec. Même si les passeurs ont bien joué leur rôle, c'est toujours la pensée occidentale qui va prendre le pas sur les cultures ancestrales des Indiens. Et hors de la bulle occidentale, pas de mondialisation. Il aura fallu attendre la seconde moitié du XX° siècle pour que l'on s'intéresse sérieusement aux visions des vaincus. C'est ainsi que, pour imposer leur présence, les Espagnols et les Portugais ont dû apprendre à maîtriser des milieux, des sociétés, des cultures, des langages inconnus : brassage des êtres, force imposée, mais aussi résistance des traditions et des sociétés locales.
«
A.
La mondialisation ibérique
Dès le premier chapitre « la mondialisation ibérique », l'auteur reprend le point de vue d'un chroniqueur métis contemporain des faits, Chimalpahin à travers sonJournal.
Il s'étonne que celui-ci relate l'assassinat de 1610 d'Henri IV, mais cela témoigne des liens que la Nouvelle-Espagne entretenait avec le reste du monde.
Lesexplorations, découvertes, et conquêtes des Ibériques ont en effet entraîné des mouvements d'hommes, des flux de marchandises, l'évangélisation, la circulation desinformations et la diffusion des arts et de la littérature… Les Espagnols accélèrent la circulation des idées, des croyances européennes et la traduction des langueseuropéennes ; Dans un même temps les langues amérindiennes sont transcrites phonétiquement et des savoirs nouveaux s'exportent vers l'Europe.Ainsi, les hommes pensent à une échelle planétaire et acquièrent une grande mobilité sur les quatre parties du monde.A Mexico on trouve diverses populations : Noirs, Indigènes, Asiatiques, Espagnols et Métis.
Le « monde » est ainsi conçu comme un ensemble de terres liées entreelles et soumises à un même prince et on observe ainsi de grandes disparités entre le local ancestral et le global imposé.Métissages indissociables des contextes dans lesquels ils se développent.
Contextes multiples et changeants.Philippe II apparait sous le nom de « Cemanahuac Tlahtohuani » (Souverain Universel), dans le Journal de Chimalpahin.
Le « Royaume Universel » est ainsi associéà la Monarchie Catholique.Chimalpahin exprime clairement la conscience qu'il a d'appartenir à la Monarchie Catholique, c'est à dire à un système politique qui réunissait alors l'Espagne et lePortugal.Depuis 1850, la même dynastie règne sur une partie de l'Europe, les côtes de l'Afrique, Goa, Macao et les Philippines.
Cette dynastie dominait ainsi l'Amérique, de laTerre de Feu (province d'Argentine) au Nouveau Mexique.
B.
La chaîne des mondes
Dans un deuxième chapitre, « la chaîne des mondes », Gruzinski traite des connexions entre les différents mondes : la coexistence, les affrontements et les métissages,notamment à Mexico.
Les Indiens apprennent les métiers européens, acquièrent les techniques, travaillent avec de nouvelles matières, ils sont soumis à la fiscalité etles anciens pouvoirs indigènes sont en crise.On observe des révoltes comme l'émeute de 1642, contre la réorganisation de la monarchie.
Lors des grandes cérémonies de l'Empire, on explique le monde auxhabitants : la menace de l'islam, les liens avec le roi qui rend service à Dieu en soumettant le monde.Mexico se trouve au cœur des réseaux de la planète : sa périphérie est ainsi transformée en centralité tout comme Naples, Lima et Goa, c'est un des ressorts de lamondialisation que la capacité de multiplier les centralités.
Les connexions se multiplient : la première prise de contact se fait dans le sang, puis il y a transfert desinstitutions, des lois, des pratiques, des techniques, des croyances, des modes de vie de l'Europe.Mais parfois les Espagnols se sont autant transformés que les indigènes et avec l'évangélisation se créent des cultes syncrétiques (adaptations des indigènes auchristianisme).
Les routes commerciales soudent les différentes parties du monde, l'évangélisation qui a toujours coexisté avec les entreprises commerciales acontribué à répandre un imaginaire des richesses : l'exaltation de la richesse est aussi l'exaltation de la consommation, elle rend haïssable la pauvreté comme si larichesse effaçait la différence entre Ancien et Nouveau mondes.L'espoir de fortune est un idéal mondialement partagé (richesses du monde à portée de main), la modernité ibérique prend ainsi des accents d'un matérialismeconquérant, une « pax hispanica » qui pour l'auteur vaut bien la « pax americana » d'aujourd'hui.
C.
Les choses du monde
Dans un troisième chapitre « les choses du monde », l'auteur traite de l'exploration de toutes les richesses et des savoirs ainsi présents dans la Monarchie Catholique.Les connexions établies par des groupes qui ont confronté les croyances, les langues, les mémoires et les savoirs, ont été mises en place pour s'informer et pour desfins politiques et pratiques.
L'évangélisation a en effet été possible grâce à la familiarisation des moines avec le monde indigène et par des enquêtes qui leur ontpermis de différencier le culte respectable, de l'idolâtrie.Ainsi, le rôle de l'Eglise est crucial dans la pénétration des sociétés indigènes et l'enracinement local de la société.
Des experts (représentants du roi) écrivent deschroniques, des traités et des descriptions.
Ils collectent des informations sur la nature : inventaires des plantes médicinales, exploration de la flore.
Des liens se créentdonc entre les différentes médecines, réduit l'écart entre l'Europe et le local, et contribue ainsi à la mondialisation.La cartographie, géographie et cosmographie, l'exploitation des mines étendent l'emprise des Ibériques.
On a donc une rapide accumulation des connaissances et oninterprète les mondes découverts à travers la pensée antique (Aristote, théorie des quatre humeurs de Galien…).
Les classiques font le tour du monde, on a donc uneromanisation des passés non européens.
La force des experts repose sur leur connaissance du terrain, leurs contacts avec des informateurs locaux.L'exercice est rendu difficile, car les sociétés indigènes n'avaient pas d'écriture alphabétique ou phonétique.
Les Ibériques rencontrent de multiples types d'écriture trèsdifférents, mais ils les exploitent, les déchiffrent, ils confectionnent des catéchismes dans les langues apprises et empruntent des termes indigènes pour décrire lessingularités locales.La religion pose aussi problème : l'orthodoxie des experts et la surveillance de l'Inquisition empêchent le moindre accommodement, mais n'empêche pas les experts dedécrire ce qu'ils découvrent et l'admiration se dissimule mal.
Les vice-rois, soldats, moines qui sont dans les allées du pouvoir, se déplacent entre les continents,pensent et organisent la communication, réagissent à des défis d'échelle planétaire et leur flexibilité permet d'affronter la pluralité et la diversité.
II.
Axes de lecture, but ultime de l'auteur
A.
Une démarche à « but lucratif » pour les Espagnols et Portugais
Les découvertes espagnoles et portugaises ouvrent de nouveaux horizons à l'Europe.
Voila pourquoi Serge Gruzinski a choisi de retracer l'histoire de lamondialisation ibérique entre les années 1580 et 1640, qui correspondent à la génération précédant celle des conquistadors, ainsi qu'à l'apogée de la péninsuleibérique.L'auteur propose une réécriture plus nuancée de cette mondialisation ibérique par les nombreuses citations de textes de l'époque qu'il distille au fil des chapitres.
Leplus emblématique est le passage du Journal de l'indien métis Chimalpahin, à la date du 8 septembre 1610, annonçant la mort d'Henri IV.
Même si l'on sait que cetévènement a touché toutes les cours européennes, on n'imagine pas qu'il puisse être évoqué dans un journal, en langue des aztèques.
La nouvelle a mis 4 mois pour yparvenir.Gruzinski montre par cet exemple comment fonctionne le processus de mondialisation qui doit tenir compte d'un certain décalage, mais aussi des chocs en retour desdécouvertes.
D'ailleurs les habitants du Mexique ne sont pas les seuls à s'intéresser à Henri IV.
A la même époque, de l'autre coté du pacifique, des peintres japonaisreprésentent le roi Henri IV en compagnie d'autres princes du monde notamment Charles Quint et le Grand Turc, contribuant à leur façon à la circulation planétairedes évènements européens.
Ainsi, déjà à cette époque les nouvelles de France font le tour de la Terre.
Mais le monde planétaire de l'indien Chimalpahin, s'il comporte bien 4 parties, constitue unensemble politique que l'on appelait la Monarchie Catholique, c'est à dire tous les territoires placés sous la houlette de Philippe II, Portugal y compris à partir de1580.But avoué des espagnols et portugais : le commerce et la christianisation des autochtones.
Il s'agissait d'une manière de transformer ces « sociétés primitives »..
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