Les pamphlets et le picaresque : Sancy et Faeneste d’Aubigné (résumé & analyse)
Publié le 16/11/2018
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Les pamphlets et le picaresque : Sancy et Faeneste
La fin des « Misères » et les « Princes » mêlaient au style tragique la violence de la satire, au sang des héros le fard des mignons et des courtisanes. Contre Catherine de Médicis, nouvelle Jézabel, avorteuse et sorcière, contre le cardinal de Lorraine,
Adultère, paillard, bougre et incestueux, d’Aubigné retrouvait la verve haineuse d'un Juvénal. Mais, ce faisant, il ne s’arrêtait pas à reprendre les calomnies abondamment diffusées par les libelles protestants de l’époque. Les Tragiques conjoignent sans cesse l’insulte et l’avertissement, l'injure et l’imprécation héritée des livres prophétiques de la Bible. C’est que, dans le contexte du règne des derniers Valois, où les bals succèdent aux carnages, la Saint-Barthélemy à la célébration d’un mariage dynastique, la caricature postule l'eschatologie comme sa fin dernière, et les fêtes scandaleuses de la Cour ont des lueurs de Jugement dernier.
Écrits après l’abjuration de Henri IV et le retour à la paix, les deux grands pamphlets d’Agrippa d’Aubigné, la Confession catholique du sieur de Sancy et les Aventures du baron de Faeneste, témoignent d’un état d’esprit un peu différent et évoquent moins l’univers dantesque que les facéties des auteurs de «joyeux devis ». Sancy dénonce les conversions en chaîne qui avaient suivi celle du roi et prétend démontrer que le catholicisme est le seul moyen de faire son salut — à la Cour, s’entend. A la Satire Ménippée, de quelques années antérieure, il emprunte le procédé ironique consistant à prêter à l’adversaire des propos qui l’accablent. C’est ainsi que le contrôleur général des finances Harlay de Sancy, opportuniste malchanceux, et le « convertisseur-cardinal » du Perron, que l’on voit dialoguer avec la « folle » Mathu-rine, exposent en toute naïveté les points les plus absurdes de la doctrine papale et les exactions — pour la plupart invérifiables — des grands catholiques du royaume. Cette « marqueterie », comme le veut l’auteur, doit au Traité des reliques de Calvin et à l’Apologie pour Hérodote d'Henri Estienne maintes anecdotes piquantes, voire graveleuses ou scatologiques. Mais ce ramas de calomnies joyeuses retrouve par moments, sur le mode de la facétie, la vision d’un monde dédoublé que développait le plan d’ensemble des Tragiques. Ainsi le chapitre « De la transsubstantiation » raccorde à l’exposé caricatural du dogme de l’adversaire le thème traditionnel du monde renversé, comme si la perversion du temps présent avait pour origine l’affirmation d’une doctrine criminelle et aberrante eu égard à l’ordre naturel. Par elle, en effet, les valets sont « transsubstantiés » en maîtres et les maîtres en valets; « les putains des Princes (...) en femmes et les femmes en putains »; « les maquereaux s’en vont Princes », etc.
Le même dédoublement critique, propre à accuser le désordre contemporain, commande la structure du Faeneste. Deux personnages antithétiques s’y trouvent confrontés durant les quatre livres de l’ouvrage, pour décrire, depuis des points de vue diamétralement opposés, les intrigues et les scandales de la régence de Marie de Médicis : Enay (l’« être », en grec) y donne la répli-
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AUBI GNÉ
que à Faeneste (le « paraître » ).
Par-delà l'intention allé
gorique des noms, les deux protagonistes de Faeneste
constituent un véritable duo romanesque, animé du
même contraste dramatique que le couple Pantagruei
Panurge ou que celui, mis en scène par une fiction alors
toute récente, de Don Quichotte et de Sancho Pança.
En
Enay, l'homme véritable- un gentilhomme protestant
« consommé aux lettres » et rompu au métier de la
guerre, d'une droit ure et d'une franchise qui ne répu
gnent ni à la verdeur ni à l'insolence -, il est aisé
de reconnaître d'Aubigné lui-même.
Quant au baron de
Faeneste, personnage couard et prétentieux qui traîne
j usqu'en plein Louvre son attirail de Rodomont et un
épouvantable accent gascon qui lui fait intervertir systé
matiquement les « b » et les « v», il incarne à merveille
le type comique du soldat fanfaron hérité de Plaute et
de Térence, à quoi s'ajoute la tare supplémentaire que
représente un catholicisme superstitieux et invétéré.
L'intrigue assez sommaire : une visite à l'improviste de
Faeneste au château d'Enay, en Poitou, cède bientôt la
place à un libre agencement d'anecdotes et de peintures,
où il est question de mode, d'amour, d'honneur et, natu
rellement, de religion et de jolies « nonnains ».
La cohé
sion de l'ensemble est assurée par la permanence de deux
caractères et de deux langages qui déterminent, par leur
heurt, une suite de situations romanesques d'où découle,
à défaut d'une texture serrée, un cheminement picares
que aux nombreux détours.
La fantaisie de cet entrelace
ment culmine dans le livre IV, composé tout entier à
Genève, où il fera scandale lors de sa parution en 1630,
l'année même de la mort de d'Aubigné.
Le vieillard
encore vert y versait sans amertume le souvenir des
déboires politiques et militaires qui 1' avaient contraint à
l'exil; l'ouvrage s'achevait par la description de quatre
tapisseries « bordées de grotesques » et parodiant en un
rabaissement carnavalesque les célèbres Triomphes de
Pétrarque: l'Impiété, l'Ignorance, la Poltronnerie et la
Gueuserie ont désormais remplacé l'Amour, la Chasteté,
la Renommée et l'Éternité.
C'était dire là une dernière
fois l'ambivalence constitutive de tout spectacle et de
toute vision et réaffirmer, en un tableau baroque qui
renouait avec le comique populaire le plus éprouvé, le
devoir de déjouer les apparences en commençant par les
« mettre à l'envers ».
108.
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