LES « DISCOURS A LA NATION ALLEMANDE » DE FICHTE
Publié le 07/09/2018
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Ces idées, ce caractère lui avaient valu, jusque-là, maints déboires. Il avait perdu, en 1799, sa chaire à Iéna, et avait dû se Hxer à Berlin. Sans argent et sans poste, il restait plein d'énergie et d'espoir, ne voyant dans ce qui lui arrivait qu'une première résistance à l'action vigoureuse de son esprit, et acceptant la lutte. « Quel homme, écrivait-il, d'action puissante sur ses concitoyens eût jamais un autre sort ? Gageons qu'avant dix ans j'aurai mérité les respects unanimes du peuple allemand. A (Juillet 1799.) Il venait d'obtenir, en 18œ, du gouvernement prussien un poste à Erlangen, lorsque éclatait la guerre entre Napoléon et la Prusse. Elle se soldait, en quelques semaines, par la plus totale défaite qu'un peuple eût jamais subie.
Fichte alors fuit l'occupation française et renonce à sa chaire d'Erlangen pour gagner Kœnigsberg, où il étudie Machiavel. Il est mûr, à cette heure, pour la lecture du Prince et des Discorsi ; pour admettre, au spectacle de la Prusse écrasée, que le Droit n'est, en matière internationale, que la politique de la force ; que la raison d'État se passe de raisons ; que la Hn, c'est-à-dire le salut public, la libération de la patrie d'une domination étrangère, justifie les moyens. Qu'est devenue la soif humanitaire de ce « parfait cosmopolite o, de cet admirateur des Français et de leur grande Révolution ? En 1804 encore, il disait publiquement que la patrie du chrétien vraiment civilisé d'Europe était à chaque époque l'État européen qui se trouvait à la tête de la civilisation (il pensait à la France) ; que l'Esprit, se souciant peu des vicissitudes des États, se tournait invinciblement du côté où brillait la lumière ; qu'ainsi animé d'un sens cosmopolite on pouvait assister tranquille aux catastrophes de l'histoire. Voici désormais Fichte desséché d'une soif patriotique qui le laisse d'autant moins en repos que, dans sa conception des devoirs du philosophe, il n'a jamais séparé celui d'agir de celui de penser.
Et lorsque, en août 1807, par amour pour sa femme restée à Berlin, il se décide à revenir dans la capitale prussienne encore occupée, il est, à tous égards, armé pour le combat patriotique. Il peut bien (comme le notera finement L. Lévy-Bruhl) s'efforcer «par un scrupule honnête de philosophe » de prouver aux autres, et de se prouver à lui-même, qu'il ne se contredit point en prêchant maintenant le patriotisme au lieu du cosmopolitisme - car le premier serait, parait-il, l'étape nécessaire vers le second. Comment contester qu'il y a eu chez lui « un chassé-croisé » ; que l'humanité est passée au second plan et la patrie allemande au premier ; que la soif de Fichte a changé d'objet ?
Décidément les autorités occupantes manquaient d'imagination. Les discours pédagogiques du « célèbre professeur allemand P étaient fort dangereux. Les autorités prussiennes ne se le dissimulaient pas. Redoutant des réactions françaises dont nous savons qu'elles ne se produisirent pas, elles rechignèrent plus d'une fois à donner le visa de censure nécessaire à la publication des harangues de Fichte. Les Discours qui développaient le «caractère fondamental » n'obtinrent ce visa que parce que le mot franflÎS n'y était pas textuellement prononcé, bien que la langue, la littérature, la poésie françaises y fussent visées.
Les censeurs prussiens inventèrent même d'égarer le manuscrit du treizième Discours, « par un malencontreux hasard, après que l'imprimatur lui avait été donné • (note de la censure). Ce treizième Discours traitait., comme le douzième, le sujet suivant, d'apparence inoffensive ; « Moyens de nous conserver jusqu'à la réalisation de notre but principal P - ce but étant la formation d'une génération neuve par l'éducation nouvelle. Le sujet traité donnait prétexte à d'amers sarcasmes contre les flatteurs allemands de Napoléon, le « grand génie qui d'après eux dirige les affaires humaines », et par répercussion contre Napoléon lui-même : s'il était « vraiment grand », il n'accepterait. pas qu'on lui décernât une épithète qui ne saurait relever que du jugement. de la postérité. On pouvait lire aussi dans ce treizième Discours un âpre réquisitoire contre l'idée de monarchie universelle - qu'allait établir, d'après ses flagorneurs, Napoléon, le « Mattre du Monde ». Fantôme « odieux et absurde », disait Fichte, indigne du caractère « solide et sérieux » des Allemands 1 Flatterie de littérateurs qui,
pour nous consoler de tous nos malheurs, nous font espérer que nous serons, nous aussi, sujets de cette monarchie universelle qui commence. Ajouterons-nous foi à leurs affirmations qu'un individu s'est trouvé qui aurait décidé de malaxer lous les germes d'humanité rencontrés dans le genre humain pour couler en un moule quelconque cette pâte molle 't Une brutalité si monstrueuse, un tel défi à tout le genre humain seraient-ile possibles à notre époque
«
SUITES DE LA R.SVOLUTION
Ces idées, ce caractère lui avaient valu, jusque-là, maints déboires.
Il avait perdu,
en 1799, sa chaire à Iéna, et avait dû se Hxer à Berlin.
Sans argent et sans poste, il
restait plein d'énergie et d'espoir, ne voyant dans ce qui lui arrivait qu'une première
résistance à l'action vigoureuse de son esprit, et acceptant la lutte.
«Quel homme,
écrivait-il, d'action puissante sur ses concitoyens eût jamais un autre sort ? Gageons
qu'avant dix ans j'aurai mérité les respects unanimes du peuple allemand.
• (Juillet
1799.) Il venait d'obtenir, en 1805, du gouvernement prussien un poste à Erlangen,
lorsque éclatait la guerre entre Napoléon et la Prusse.
Elle se soldait, en quelques
semaines, par la plus totale défaite qu'un peuple eût jamais subie.
Fichte alors fuit l'occupation française et renonce à sa chaire d'Erlangen pour
gagner Kœnigsberg, où il étudie Machiavel.
Il est mûr, à cette heure, pour la lecture
du Prince et des Discorsi ; pour admettre, au spectacle de la Prusse écrasée, que le
Droit n'est, en matière internationale, que la politique de la force ; que la raison
d'État se passe de raisons ; que la Hn, c'est-à-dire le salut public, la libération de
la patrie d'une domination étrangère, justifie les moyens.
Qu'est devenue la soif
humanitaire de ce « parfait cosmopolite n, de cet admirateur des Français et de leur
grande Révolution ? En 1804 encore, il disait publiquement que la patrie du chrétien
vraiment civilisé d'Europe était à chaque époque l'État européen qui se trouvait
à la tête de la civilisation (il pensait à la France) ; que l'Esprit, se souciant peu des
vicissitudes des États, se tournait invinciblement du côté où brillait la lumière ;
qu'ainsi animé d'un sens cosmopolite on pouvait assister tranquille aux catastrophes
de l'histoire.
Voici désormais Fichte desséché d'une soif patriotique qui le laisse
d'autant moins en repos que, dans sa conception des devoirs du philosophe, il n'a
jamais séparé celui d'agir de celui de penser.
Et lorsque, Hn août 1807, par amour pour sa femme restée à Berlin, il se décide
à revenir dans la capitale prussienne encore occupée, il est, à tous égards, armé pour
le combat patriotique.
Il peut bien (comme le notera finement L.
Lévy-Bruhl)
s'efforcer «par un scrupule honnête de philosophe » de prouver aux autres, et de se
prouver à lui-même, qu'il ne se contredit point en prêchant maintenant le patriotisme
au lieu du cosmopolitisme -car le premier serait, parait-il, l'étape nécessaire vers
le second.
Comment contester qu'il y a eu chez lui« un chassé-croisé »; que l'humanité
est passée au second plan et la patrie allemande au premier ; que la soif de Fichte
a changé d'objet?
Mais on se tromperait fort en croyant que le philosophe n'eût qu'à paraître à
Berlin pour voir venir à lui une puissante cohorte d'intellectuels, n'attendant que
le signal de la résistance patriotique.
Le prestige militaire et personnel de Napoléon
avait balayé chez bien des vaincus la fierté nationale.
Que venait-il troubler par
d'intempestifs discours la fête des flagorneurs de vainqueurs, ce Fichte orgueilleux
et tout d'une pièce ! Il lui fallait une fois de plus se mettre en avant, provoquer les
jalousies universitaires.
De quoi se mêlait-il ? Pourquoi lui ? Devinant l'aigre objection,
Fichte y répondrait en ces termes : « N'importe lequel des milliers d'écrivains
allemands ne pourrait-il revendiquer le même droit ? Et cependant pas un ne le
fait, et tu es seul à te mettre en avant.
Ma réponse est simple : chacun aurait eu le
même droit, et je ne le fais que parce que personne d'autre ne l'a fait avant moi ...
Il faut toujours un premier ; quic-onque le peut doit être ce premier.
>>
Les amis de Fichte, de leur côté, tremblaient pour lui.
Une réaction irritée et brutale
de l'occupant était à craindre.
Pendant cet hiver 1807-1808 au cours duquel futent
prononcés les quatorze Discours, les régiments français passaient -c'était le.
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