Les dieux ont soif d’Anatole France (résumé & analyse)
Publié le 06/12/2018
Extrait du document
«
(xxvii).
C'est pourquoi Gamelin, comme avant lui
F.
Trubert (xv), faisant « à [sa] patrie le sacrifice de [sa]
vie et de [son] honneur» (xxv), recherche le martyre
(xxv-xxviii), couronnement de tout fanatisme.
Toutefois, Gamelin n'est pas totalement insensible.
Les dieux ont soifmêlent en effet une histoire d'amour à
l'histoire de la Terreur: Élodie Blaise est attirée par la
beauté sévère (III) d'Évariste et, banalement, devient sa
maîtresse.
Mais l'habileté de France est d'imbriquer
étroitement les deux histoires, qui progressent et s' achè
vent parallèlement, se nourrissant l'une de l'autre.
D'abord, en politique comme en amour, Évariste se
laisse conduire par les événements : «Nous sommes pré
cipités, notre œuvre nous dévore» (X?CV), dit-il en
jugeant la Convention, alors qu'il laisse Elodie prendre
toutes les initiatives (Iv, v, XI).
De plus, dans le domaine
de l'amour et dans celui de la politique se reproduit
une antithèse semblable : les Conventionnels, rêvant de
justice sereine, développent la Terreur; Élodie, se
sroyant née pour un bonheur paisible (X, XXVII), aime en
Evariste l'« amant sanguinaire» : «Plus elle le voyait
couvert du sang de ses victimes, plus elle avait faim et
soif de lui » (XVI).
Au paroxysme de la Terreur corres
pond le paroxysme de l'amour, mêlant «horreur et
volupté» (xxv).
De même l'amour s'exprime-t-il dans
des symboles révolutionnaires : ainsi la « bague en
argent où l'on voyait en relief la tête de Marat entortillée
d'un foulard » Jviii), et dont Elodie se débarrasse précisé
ment quand, Evariste mort, « la figure de Marat, tout
usée, écrasée, ne se distingue plus » (xxix).
Enfin, alors
que, en plein triomphe idéologique de Rousseau (x),
c'est « le bon Jean-Jacques qui leur donnait les moyens
de peindre et d'orner leur amour » (VIII), les signe§ de
cet amour renvpient toujours à la mort (paroles d'Eva
riste : IV, ou d'Elodie : x; allusion à Werther: x; goût du
néant : XVIII) et au sang (cf.
l'œillet rouge, «comme une
goutte de sang » : XI, xxviii).
En antithèse à Gamelin, ivre de passion, France a
créé le « ci-devant financier » Brotteaux des Ilettes, son
porte-parole en maintes occasions.
S'adaptant à la tour
mente avec sagesse (II), Brotteaux est d'abord un« syba
rite» qui connaît tout le prix d'un mets (x) ou d'une
forme charmante (x, xxv).
Mais sa sensualité ne l'empê
che pas de juger sans illusion des choses de la vie.
Il sait
que la Terreur court à sa perte (IX, XI) parce qu'il faut
« gouverner les hommes tels qu'ils sont et non tels qu'on
les v oudrait être » (x).
Ce détachement s'enracine dans
un matérialisme déclaré.
Se réfugiant dans la lecture de
son cher Lucrèce (vi, XIV, XIX), Brotteaux reprend les
thèses de d'Holbach (vi) sur le plaisir (vi), la mort (XIX)
ou la « mécanique céleste » (XIV).
Il est donc athée (x)
« avec délices » (vi), et, comme la « coterie holbachi
que », il poursuit de sa haine ce «jean-fesse » (vi) de
Rousseau.
France utilise donc le personnage de Brot
teaux pour évoquer les luttes idéologiques des années
1793-1794, mais aussi pour revenir sur une de ses obses
sions : la justice, particulièrement dangereuse sous « le
despotisme de la liberté ».
Même révolutionnaires, « les juges, les jurés ( ...
) ne
sont pas des hommes, ce sont des choses » (XIX).
Les
Conventionnels, comme tous les fanatiques, subordon
nent l'avènement d'une justice sereine au triomphe de
leurs idées (vi, IX) et sont d'autant plus impitoyables
qu'ils croient détenir la vérité (XIII).
Or, ils n'évitent ni la
vénalité (xxviii), parfois odieuse (XXI), ni l'incompétence
(xxn), parfois grotesque (xxiii).
Ils ne jugent que par une
suite d'actes illégaux (XXII), bafouant les droits élémen
taires de la défense (XXIV), et assouvissent même, comme
Gamelin, leurs haines personnelles avec cynisme : « Il
est des services qu'on ne peut se refuser entre collègues »
(XVI).
En fait, France dénonce « la continuité de la justice
à travers les régimes» (IX).
A l'instar de Fouquier, les «magistrats
de l'ordre nouveau ressemblaient d'aspect
et de façons aux magistrats de l'Ancien Régime » (Ix),
assurant la continuité d'un appareil redoutable.
Mais,
comme les verdicts populaires sont aussi iniques (VI),
c'est l'idée même de justice que France et Brotteaux
rejettent : « Si j'étais de votre président, je ferais comme
Bridoie, je m'en rapporterais au sort des dés.
En matière
de justice, c'est encore le plus sûr » (viii).
Ainsi, il se dégage des Dieux ont soif une philosophie
désabusée qui consacre la vanité de tout engagement.
Seuls, à la fin du roman, réussissent les opportunistes,
qui, tous, ne recherchent que le plaisir et la volupté, avec
cynisme (Jean Blaise, Henry) ou indifférence (Desma
his).
Contrairement à Mme de Rochemaure qui, bien
qu'intrigante sans scrupules, meurt pour avoir malgré
tout manifesté des opinions, mieux vaut s'adapter à tout,
comme font Julie Gamelin et Rose Thévenin.
Ce cynisme est pourtanJ tempéré, par quelques scènes
émouvantes -adieux d'Elodie à Evariste (xxvm), et à
sa bague-symbole (XXIX) -, et surtout par la pitié indul
gente que France manifeste vis-à-vis des gens du peuple,
crédules (x) mais pleins de bon sens (II, xxvii), sachant
d'instinct relever les ridicules (IV, VIII) et les exagérations
(XVI).
C'est sans doute dans ces évocations fugitives et
tendrement ironiques, points d'orgue de nombreux cha
pitres (II, VI, VII, xv, notamment), que France rejoint le
plus nettement le « scepticisme charitable » de Jérôme
Coignard, livrant l'idée-force de sa philosophie, à savoir
que rien ne perturbe la force de la vie, qui continue : on
n'empêchera jamais les vieilles de continuer leurs tra
vaux (XVII), les lecteurs d'aimer les romans libertins (Ix),
et « les chiens, sous 1' échafaud, [de] lécher le sang de la
veille » (XIV) [Voir aussi ROM AN HISTORIQUE]..
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