Les Démons de Doderer
Publié le 05/04/2013
Extrait du document
Le titre du roman de Heimito von Doderer est un hommage à !'écrivain russe Dostoïevski, dont un roman (connu en français sous le titre des Possédés) s' appelle en russe Les Démons. L' idée qui est à l'origine des Démons date de 1920. Mais l' auteur mettra plus de vingt-cinq ans à écrire son roman, ce qui explique l'évolution du point de vue du narrateur sur le monde qui l'entoure. Le roman paraîtra en 1956, le jour du soixantième anniversaire de l'auteur.
«
EXTRAITS
Ce jeune homme est-il recommandable ?
-Tiens, Grete, poursuivit Markbreiter
bénignement, je voudrais te faire une
proposition pratique qui serve à votre
bonheur à tous les deux.
J'aimerai s tant
avoir un entretien avec M.
Stangeler.
Et
j'aimerais tant faire sérieusement quelque
chose pour lui.
J'en aurais justement la
possibilité, maintenant .
C'est un heureux
hasard.
Une vraie situation stable, où l'on
pourrait justement employer le mieux du
monde quelqu'un comme lui, quelqu'un de
bonne famille, ancien officier,
et cœtera, une
situation de confiance
pour un jeune homme
convenable.
Il peut toujours, à côté, sic' est
sérieux, avoir du temps de reste pour ses
occupations intellectuelles, ce ne serait pas
mal, on a malgré tout ses soirées libres.
Au
début, ce sera peut-être assez difficile, mais
par la suite ...
en tout cas, il aurait là une
voie tracée.
Et l'on n'aurait plus de soucis
pour vous.
Tandis que maintenant ...
je dis
seulement, n'est-ce pas, qu 'il doit nous
montrer qu'il t'aime.
Et qu'a-t-il donc
besoin de faire réellement de grandes
choses ? On ne demande pas l'impossible .
Il lui suffit
d'accepter ce qu'on lui offre.
Je
ne peux d'ailleurs pas m 'imaginer qu'il ne
le fera pas.
Car alors ...
je ne pourrais
moi-même m'empêcher de commencer à
douter vraiment ...
Peut-être -nous ne
pouvons avec certitude
le
savoir et le dire - peut-être Mlle Grete
Siebenschein aurait-elle maintenant incliné
peu à peu à ouvrir au moins ses orei ll es au
tendre
langage du mari de Clarisse ; car
jusqu ' à présent elle ne l'avait même pas
encore sérieusement écouté (surtout parce
qu'elle con naissait Stangeler mieux que
lui).
Mais c'ét ait maintenant Mme Irma qui
intervenait très inopportunément .
-
Ça, je peux te le garantir, tu commence
rais à
douta Pour ma part,}' ai même déjà
cessé de douter pour redouter le pire.
Il
faudrait peut-être encore apporter à ce
monsieur un portefeuille de ministre sur
un plateau ! Et sais-tu ce qu 'il te dirait ?
N 'importe quoi, que nul être raisonnable ne
comprendrait, et !fut ! il serait déjà loin .
C'est qu'il est fou.
Un fanatique, un homme
avec une idée fixe, et il a je ne sais quoi de
sombre, personne
ne sait pourquoi, pour un
si
jeune garçon.
Geyrenhoff, témoin
de la répression policière
La troupe serrée ob liqua vers la gauche :
les carabines se levèrent, la salve gronda
et
siffla.
Déjà arrivait une nouvelle section.
Elle reprit la marche
en avant, de nouveau
un homme tomba, se releva , rentra dans
le rang .
En face, devant le parc, un jeune
officier de police l eur lança l'ordre d' obli
quer à gauche .
Ce qu 'ils firent .
Et ils tirè
rent.
Il regarda ensuite l'endroit où les
hommes avaient trébuché.
Je fis de même ,
on ne voyait rien qu'une grille d'égout.
La salve suivante fut tirée par la ligne
suivante de tireurs, comme les sections se
trouvaient vingt pas derrière moi sur la
chaussée.
Elles
s'avancèrent et je les suivis
des yeux.
Derechef un des hommes du milieu
de la li gne tomba à la grille d'égout et
se releva avec sa carabine.
Aussitôt, en
deux bonds de tigre , l 'officier franchit la
c haussée
et enfonça le canon de son pistolet
dans la grille.
Il fit feu une demi-douzaine
de fois.
Gallimard, 1965 Promenade au Prater
NOTES DE L'ÉDITEUR
Nous affirmons naïvement notre liberté.
Après tout, notre volonté n'est-elle pas
toute-puissante? Heimito von Doderer
dénonce l'illusion en indiquant la part du
hasard dans notre vie quotidienne.
Son
narrateur , Geyrenhoff, est obnubilé par
l'écriture , certes, mais il donne presque
autant d'importance à la déambulation .
On
le
voit ainsi parcourir Vienne et multiplier
les rencontres , lesquelles sont autant d'occasions
de relancer le récit, mais au ssi
de questionner notre liberté.
Les Démons est le parfait contre-exemple
du récit cloisonné .
L'écriture réaliste Doct
eur en histoire, Heimito von Doderer
se mble avoir retiré de ses études un certain
scepticisme.
Il regrette d
'emblée dans Les
Démons
toute interprétation forcée
et érudite de l'auteur file toutes les
possibilités, ne reculant devant aucun défi.
Il arrive fréquemment que le lecteur soit
interpell é par le narrateur.
Celui-ci lui
promet alor s de tout lui dire et demande
un peu de patience , car si tout ne peut
l' être
à ce moment, tout sera dit.
1 D.R .
2, 3 peintures de Ma xim ilian Lenz, Historisches Museu m der Slad l Wien
des événements.
Cette approche trop
volontaire créerait une
« seconde réalité »
dont le caractère arbitraire peut se révéler
à terme néfaste.
Écrire la chronique du
monde viennois consiste à ses yeux à
saisir l'irrationel qui
s'y manifeste sans
le dénaturer par une interprétation
ab usive.
DOD ERER 02.
»
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