Le Sang noir de Louis Guilloux
Publié le 05/04/2013
Extrait du document
« La vérité de cette vie, ce n'est pas qu 'on meurt, c'est qu 'on meurt volé. « Cette phrase, inscrite sur la bande de l'ouvrage de Louis Guilloux lors de sa première publication en 1935, exprime la rage au coeur de Cripure, le héros de Guilloux. Né en Bretagne, Louis Guilloux ( 1899- 1980) a écrit des romans « sociaux « où il exprime sa sympathie pour la classe ouvrière, en même temps que son intérêt pour les nouvelles techniques romanesques (Angélina, 1939 ; Le Pain des rêves, 1942 ; Le Jeu de patience, 1949). En 1936, notamment, Guilloux accompagna Gide dans son fameux voyage en URSS ; comme son illustre aîné, il en revint désillusionné.
«
« Am éd ée était
mobili sé, au front
d ep
uis un an déj à.
»
EXTRAITS --------
La photo de Toinette, la femme aimée
La photo avait été prise par lui-même
quelques jours à peine avant le mariage, au
cours
d'une promenade dans un bois.
Il
aurait pu dire
le jour, mais l'heure, la pho
to elle-même
s'en
chargeait.
Toinette
portait accrochée à
la dentelle de son
corsage une petite
montre en or qu'il
lui avait offerte
le
matin même.
P eut-être était-ce
à cause de cette
montre qu'il osait
si peu souvent le
ver les yeux vers
ce portrait.
La pré
sence
de cette mon
tre avait fini
par
lui devenir intolé
rable, symbole ro
manesque , mauvai
se
fleur de rhéto
rique ,
« comme si
le destin de l'hom
me ne s'exprimait pas aussi par des sym
boles romanesques et de mauvaises fleurs
de rhétorique !
» Quoi qu'il en soit, il n'y
avait pas à dire ni à vouloir le con traire, la
montre était
là, blanche et noire parmi la
dentelle, avec son cadran.figé, scellé comme
une dalle, le cadran de ces
fameuses
montres qui se sont arrêtées pour toujours
à l'heure de l'acc ident et de
la mort .
Les randonnées à bicyclette avec Maïa
Cripure roulait, le nez en l'air, regardant
par -dessus son lorgnon,
le corps obligatoi
rement droit à cause des genoux qui à
chaque tour de pédale remontaient si haut
qu'ils heurtaient presque le guidon.
Un fusil
en bandoulière, ses paquets entassés sur
le
porte-bagages, il allait se «désenfum er» un
peu, tirer un lapin , peut-être un courlis ou une
hirondelle de
mer, « pauvres petites
bêtes si bonnes à
manger ».
Maïa et les
quatre chiens suivaient.
L'é
té, elle était en
général vêtue de blanc des pieds à la tête, y
compris les bas.
Gonflée comme une outre,
fessue, le
nez enfoui dans des filets de
victuailles, e lle avança it en soufflant, crian t
après les chiens qui faisaient des cabrioles.
Il était la risée de la ville.
Depuis plus de
vingt ans.
La gifle
-Nous les materons ...
Qui parlait ainsi ? D'où venait cette voix
étranglée de colère qui ne lui sembla
pas tout à
fait inconnue ? ( ...
) Cripure se
retourna, vira lentement sur lui-m ê
me.
Tout
son sang se bloqua dans son
cœur :
Nabucet.
C'était Nabucet ! C'était lui qui
avait promis de les
mater! Parbleu ! De
quelle odieuse bouche eût-il donc voulu.
Oh ! la sale gueu le !
-
Vous en avez menti! s'éc ria Cripure au
comble de la
fureur.
Canaille !
Et sa main géante
s'abattit sur la
« sale gueule » de
Nabucet.
Les témoins de l'in
cident déclarèrent
plus tard
qu'il
s'était agi beaucoup
plus
d'un coup que
d'une gifle, que ce
n'avait pas été là en
tout cas une gifle
ordinaire
et qu'il y
aurait eu de quoi
«assommer un bœuf ».
C'était la prem ière
fois que Cripure donnait une gifle à
quelqu'un, mais cette gifle valait pour tout
l e passé, elle résumait d'un coup toutes les
gifles
qu'i l s'était privé de donner au cours
de sa triste carrière.
Gallimard , 1935
« Toutes les dix
minute s, de s trains
de troupe s pa ssa ient ,
retardant de plu s en
plu s le train d es voyageurs ...
»
NOTES DE L'ÉDITEUR
Publié en 1935, L e Sang noir a été tenu
par André Gide pour l'un des grands
romans de ce siècle.
Outre la création d'un
personnage, celui de « Cripure »,q ui restera
un point de référence, ce livre offre un
tableau de l 'atmo sphère régnant dans une
petite ville provinciale pendant la Grande
Guerre.
Il décrit l'écroulement des valeurs
bourgeoises et le désarroi d'une jeunesse qui
part au combat sans bien savoir pour
quel idéal e
lle va se battre .
« La mort immédiate et lente, ce lle des
so ldats tués ou ce
lle de Cri pure ...
La mort
est le perso
nnage principal du Sang noir.
C'est d'elle qu'i l tire , ma lgré son désordre ,
son étonnante unité .
..
Elle qui permet à
l'auteur( ...
) de c huch oter tout au l ong du
livre sa vérité tâtonnant
e, sa vérité à la fois
indign ée et désespérée
d'aveug le: "Les
hommes ne sont pa
s
au niveau de leur
douleur -les hommes ne sont pas dignes de
l eur
mort " ...
car il y a dans ce livre
l'éternelle ranc
une, co ntr e le réel, du poète
que la nature de son talent contra int
à
s'expr im er non par le lyrisme, mais par
1 Rogcr-Vi o llet 2.
3.
4 peintures de Groma ire I Lauros- Giraudo n
le réel même.
» André Malraux.
En 1962, Loui s Guilloux a, so us le titre de
Cripure, transposé pour le théâtre les
mésaventure s de son personnage.
GUILLOU X 02.
»
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