Le ROI SE MEURT. Pièce en prose d'Eugène Ionesco (résumé de l'oeuvre & analyse détaillée)
Publié le 24/10/2018
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Le ROI SE MEURT. Pièce en prose d'Eugène Ionesco (1909-1994), créée dans une mise en scène de Jacques Mauclair à Paris au théâtre de l'Alliance française le 15 décembre 1962, et publiée à Paris chez Gallimard en 1966.
Écrite au cours d'une hospitalisation, cette pièce fut conçue, s'il faut en croire le Journal en miettes d'Ionesco, comme un « exercice spirituel », dicté par la maladie. En fait, le thème de la mort, qui parcourt l'œuvre du dramaturge, de la Leçon (1951) à Voyage chez les morts (1980) en passant par les Chaises (1952), Amédée ou Comment s'en débarrasser (1954) et Tueur sans gages (1958), trouvait déjà dans Argument pour un ballet (1961) un développement comparable à celui qu'il occupe dans Le roi se meurt.
Dans une salle du trône « vaguement gothique », chacun, du garde au « Médecin-chirur-gien-bourreau-bactériologue-astrologue », peut observer des « signes » d'une récente décrépitude - panne de chauffage, fissure dans le mur... -qui participe d’un délabrement général : vieillissement anormal d'une population dégénérée, effondrement du royaume dans un précipice, perturbation du cours des astres. Ces phénomènes apocalyptiques annoncent la mort prochaine du roi Bérenger que ses deux épouses, Marguerite et Marie, son médecin et sa « femme de ménage et infirmière », Juliette, tentent chacun à sa manière, de préparer à l'échéance fatale. Après une longue rébellion, le Roi « abdique » progressivement en une insolite «cérémonie» initiatique dont Marguerite se fait la grande ordonnatrice.
Quand il écrit Le roi se meurt, Ionesco a renoncé aux classifications génériques paradoxales et volontiers provocatrices de la décennie précédente (voir la *Cantatrice chauve). Or cette pièce, de facture plus classique, tient davantage de la tragédie et de la farce qu'aucune autre. Ses « héros » y jouissent tous d’une « noblesse » exceptionnelle dans le théâtre de l’absurde : ainsi, le roi Bérenger, précédé d'une musique inspirée de Lully, annoncé selon le protocole de l'étiquette (« Sa Majesté, le Roi Bérenger Ier. Vive le Roi ! »), doué d'une extraordinaire longévité (« Tu as eu soixante ans, quatre-vingt-dix ans, cent vingt-cinq ans, deux cents ans, quatre cents ans »), évoque les fastes de la royauté française (« L'Etat c'est moi », « Après moi le déluge »).
«
progressivement en une insolite « cérémonie» initiatiq ue dont Marguerite se fait la grande
ordonnatrice.
Quand il écrit Le roi se meurt, Ionesco
a renoncé aux classifications généri
ques paradoxales
et volontiers provo
catrices de la décennie précédente (voir
la "Cantatrice chauve).
Or cette pièce, de
facture plus classique, tient davantage
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la tragédie et de la farce qu'aucune
autre.
Ses « héros » y jouissent tous d'une « noblesse » exceptionnelle dans
le théâtre de l'absurde : ainsi, le roi
Bérenger, précédé
d'une musique
inspirée de Lully, annoncé selon le
protocole de l'étiquette
(«Sa Majesté,
le
Roi Bérenger Jer.
Vive le Roi!»), doué
d'une extraordinaire longévité
(«Tu as
eu soixante ans, quatre-vingt-dix ans,
cent vingt-cinq ans, deux cents ans,
quatre cents ans
» ), évoque les fastes de
la royauté française («L'État c'est
moi », «A près moi le déluge»).
Surhomme
(on lui attribue toutes les
inventions humaines),
Prométhée
impuni (" Il a volé le feu aux dieux puis
il a mis le feu aux poudres.
Tout a failli
sauter.
Il a tout retenu dans ses mains,
il a
tout reficelé »), il l'emporte même
sur Yahvé
(«Dès le premier jour de sa
naissance,
il avait créé le Soleil») .
Pourtant,
quand son sceptre ne lui sert
plus que de canne dérisoire, son agonie
devient celle
d'un « petit bourgeois »
égoïste et veule qui se débat misérable
ment, pièce d'échecs que deux reines
antinomiques se disputent
et qu'on
met mat en une heure trente.
En effet, comme dans les tragédies,
le temps, affidé
du destin, est mesuré :
l'histoire débute, selon Bérenger,
« dès
le lever du soleil
» et s'achève dans une
lumière grise
qui « n'es t plus le jour
[ni] la
nu it ».
Dans l'intervalle, de
nombreuses interventions rappellent
avec
une précision sadique le compte à
rebours fatal ( « Il nous reste trente
deux minutes trente
secondes», "Il te
reste un quart d'heure ») et transforme
Bérenger
en mécanisme d'horlogerie («Il retarde»).
Mais, contrairement à
toute règle de bienséance, cet inexora
ble flux linéaire
dame son rapport à la
représentation : « Tu vas mourir à la fin
du spectacle », assène Marguerite à son
époux en un jeu baroque, qui inverse
le.s rapports (c'est en fait le spectacle
qui s'achève à la mort du personnage)
et érige l'arbitraire de l'auteur en néces
sité tragique.
Cette conscience de tenir
un " rôle »
dans un spectacle se double d'une
représentation en abyme : la « céré monie » de l'agonie, terme initiale
ment prévu comme titre et employé
par les personnages .
Or l'auteur
emprunte l'apparat et les annonces
rituelles
(«Le Roi se meurt.
[ ...
] Le Roi
est mort.
[ ...
]Vive le Roi! »), à la tradi
tion royale pour mieux les subvertir.
Sous couvert d'une initiation formelle,
avec ses formules incantatoires -
« Temps retourne, temps retourne ;
temps arrête-toi
» - et son parcours
rituel, c'est, encore
une fois, de théâtre
que nous parle Ionesco.
Face à la mort,
Bérenger se sent « un comédien qui ne
connaît pas
son rôle le soir de la pre
mière» et refuse de s'adresser au
public, ses gesticulations tiennent de la
comédie, sa rébellion figure dans
un
programme.
Le monde qui meurt avec
son souverain n'est qu'un décor que
Marguerite suscite et renvoie au néant
d'une même phrase (" Ne crains pas ce
vieux loup
qui hurle ...
ses crocs sont en
carton»), tandis que se disloque sous
le regard du spectateur un lieu que les
personnages
nomment tantôt « salle
du trône » tantôt « living-room " et qui
se révèle être une scène.
Reste la littérature.
D'un personnage
qui,
sous les pseudonymes d'Homère et
de Shakespeare, a composé les plus bel
les œuvres de l'humanité, Marguerite
attendait
« de belles phrases exem
plaires
" pour la « chronique " mais, à.
»
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