Le personnage de BRIGGE Malte Laurids de Rainer Maria Rilke

BRIGGE Malte Laurids. Personnage de l’œuvre de Rainer Maria Rilke, les Cahiers de Malte Laurids Brigge ( 1910). Ce jeune poète danois, soucieux de se mettre à l’épreuve du pire, affronte Paris dans une si pure solitude, en pénètre l’espace dense, saturé d’existence mal consumée, avec une si humble familiarité, une si clairvoyante angoisse que la ville, un instant, semble tout entière reposer comme une île sur la détresse de celui-là même qu’elle écrase. Que Malte soit si impérieusement sollicité par les réalités les plus sordides et les plus dérisoires de la cité — ses hôpitaux, ses asiles, sa lèpre, sa misère —, une telle sommation éprouve l’authenticité de son vœu de voir, d’apprendre à voir. Malte soutient l’horrible au risque d’être broyé par son propre regard. Le visage le plus banal, perdu par celui qui le porte, le geste le plus furtif, ignoré de celui qui l’accomplit, trouvent abri et salut dans le regard de cet étranger providentiel, exclu du circuit des moyens et des fins, et, de ce fait, douloureusement ouvert à l’autre côté des choses — à l’existence vague et tentaculaire qu’elles ont hors de la perception intéressée, hors de la sphère du travail ou du savoir humains. L’aveugle, le pauvre, le malade exercent sur Malte une étrange attraction : il les quitte dans un sursaut, comme on s’arrache à un vertige.