Le Médecin de campagne de Balzac (résumé & analyse)
Publié le 16/11/2018
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Le Médecin de campagne
A l'heure où la politique saisit les principaux écrivains de l’époque, Balzac offre au lecteur de 1833 une œuvre originale qui, à travers la forme romanesque, témoigne des préoccupations de l’auteur. Dans cette deuxième « Scène de la vie de campagne », que Balzac présente à Mme Hanska comme « l’Imitation de Jésus-Christ poétisée », sont débattues les questions fondamentales de l’organisation sociale, du pouvoir politique et du rôle de la religion.
Synopsis. — « Le Pays et l’homme». Printemps 1829. Un ancien officier de l'Empire, le commandant Genestas, arrive dans un village dauphinois situé près de la Grande-Chartreuse. Il trouve le docteur Benassis, qu'il vient consulter, au chevet d'un crétin qui se meurt.
Benassis raconte à Genestas, qu'il installe chez lui, l'expérience menée depuis dix ans; premier « âge » : après avoir lutté contre le crétinisme, Benassis, devenu maire, améliore les habitations et les pâtures, crée une petite industrie de vannerie et fait construire une route qui relie le village à la grand-route de Grenoble. Les artisans s'installent (maréchal-ferrant; métiers du bâtiment; boulanger), l'activité économique se développe (culture du blé, des arbres fruitiers; petits ateliers); deuxième « âge » : cinq ans plus tard, avec le « commencement du luxe », des commerces se montent : tannerie, boucherie... On construit une mairie, une école, une poste.
Benassis, accusant l'égoïsme de la société moderne, expose certains de ses principes politiques concernant les rapports entre la masse et le chef.
« A travers champs ». Le lendemain, Genestas accompagne Benassis dans sa visite. Le commandant fait la connaissance, entre autres, de deux anciens soldats de Napoléon qui vivent dans le culte de l'Empereur, Gondrin et Goguelat, d'une jeune fille intuitive et fragile, la Fos-seuse, d'un braconnier au caractère sauvage et libre, Butifer.
Les deux hommes retournent le soir au village : Benassis y est accueilli avec une ferveur qui frappe le militaire.
« Le Napoléon du peuple ». Au cours du dîner qui réunit, avec Genestas, plusieurs personnalités du village, Benassis affirme son opposition au suffrage universel et démontre l'utilité de la religion. Benassis conduit Genestas à une veillée. A l'écart, les deux hommes écoutent Goguelat conter la légende napoléonienne.
« La Confession du médecin de campagne ». De retour chez lui, Benassis raconte sa vie au commandant. Lors de sa jeunesse corrompue, à Paris, il a séduit puis abandonné une pauvre fille, Agathe, qui est morte en lui confiant leur fils. Pris de remords, il a élevé pendant plusieurs années l'enfant, qui est mort à son tour. Refusant la tentation du suicide et celle du monastère, il a décidé de vivre utilement, dans « l'ombre et le silence », en se consacrant au petit village dauphinois.
« Élégies ». Genestas, qui dévoile le véritable but de son voyage, confie au médecin son fils adoptif, Adrien, malade de la poitrine. Quelques mois plus tard. Adrien est rétabli.
Peu après avoir reçu une lettre d'une femme qu'il a jadis aimée, Benassis meurt. Genestas, qui vient se recueillir sur sa tombe, avoue son intention de se retirer prochainement dans la petite ville.
Le médecin de campagne s’affirme d’emblce comme une figure christique. Vénéré dans son village à l’égal
«
_____ ......._ __
____ ____ _______ .
d'un dieu, inspirant chez son semblable la foi dans le
progrès et une volonté sans faille dans 1' accomplisse
ment de celui-ci, Benassis fait preuve d'un désintéresse
ment, d'une générosité et d'un optimisme de mission
naire.
Dépassant l'amour humain, qu'il définit lui-même
comme un «égoïsme à deux », il atteint une certaine
forme d'amour divin.
Après avoir hésité entre la voie de
« curé », celle de « médecin de campagne » et celle de
«juge de paix », il opte pour la carrière qui résume à elle
seule toutes les autres et lui permet de mener l'esprit de
charité à sa plus parfaite réalisation.
Ce bâtisseur de cathédrale ne se contente pas d'une
œuvre édifiante.
Inventeur démiurge, comme la Véroni
que du Curé de village, d'une société où les métiers et
les hommes semblent naître comme s'ils venaient d'être
créés, il est avant tout constructeur, administrateur et
conquérant.
Ce meneur d'hommes évoque Napoléon,
dont la figure hante l'œuvre.
Comme l'Empereur, il
domine les autres «en étendant les ailes de son esprit, Je
volume de sa voix et la pénétration de son regard », « en
voyant non pas les détails, mais les conséquences de
toute chose ».
Sorte de Louis Lambert accroché aux réa
lités d'un village dauphinois, Benassis entraîne ses
contemporains dans un mouvement d'en-avant épique et
lyrique à la fois : «J'avais tout défriché, tout mis en
germe dans les têtes et dans les terres ».
L'utopie du Médecin de campagne ne correspond pas
à un retour à la nature; elle se nourrit du réel et respecte
les exigences économiques d'une époque confrontée au
développement irrésistible de l'industrie.
Le progrès se
propage dans le bourg reculé comme une rivière merveil
leuse et féconde (« Le besoin engendrait l'industrie, l'in
dustrie Je commerce, le commerce un gain, le gain un
bien-être et le bien-être des idées utiles ») et bouleverse
l'existence humaine en améliorant l'homme lui-même.
Le village s'épanouit harmonieusement.
Les habitants
forment une communauté idéale dont les liens, renforcés
par la religion (Benassis se plaît à en rappeler l'étymolo
gie), se manifestent particulièrement au cours de veillées
qui, comme celle où Goguelat transmet le mythe napo
léonien, s'organisent en tableaux où éclate «la prodi
gieuse influence exercée sur tous les esprits par la poé
sie ».
Le braconnier Butifer, la Fosseuse, qui est «en
harmonie flagrante avec les vicissitudes de l'atmosphère,
avec les variations de la Lune», comme leurs conci
toyens, participent du même équilibre dont la campagne
est le visible symbole.
Les descriptions de paysages, qui
rivalisent avec celles de Rousseau et de Chateaubriand,
insistent sur la paix et la poésie qui se dégagent des
champs, des collines et des cascades.
Mais la nature est
ici maîtrisée par les hommes qui, en l'exploitant utile
ment, savent en capter l'énergie bienfaisante, comme la
souffrance individuelle est surmontée par Benassis dans
la compréhension des « grandes questions sociales >> que
la mort de son fils le conduit à méditer.
Il serait hâtif de confondre les principes politiques
de Balzac et les convictions de Benassis (opposition au
suffrage uni verse!; insistance sur le rôle de la religion,
instrument de l'ordre social et contrepoids du pouvoir).
L'interprétation doit nécessairement tenir compte du
monde romanesque qui donne leur sens aux affirmations
du personnage.
Récit dont 1' intrigue, très succincte,
avance grâce à une série de conversations, d'exposés
généraux, de prises de parole, le Médecin de campagne,
dont aucun personnage ne réapparaîtra dans la Comédie
humaine, occupe une place à part et inspire les exégèses
les plus diverses.
Significative est, par exemple, l'hésita
tion des critiques marxistes qui voient tour à tour dans
Benassis un représentant caractéristique du libéralisme
(A.
Wurmser) et un précurseur du socialisme (P.
Barbé
ris).
La gestion des affaires, l'économie et l'organisation
de la communauté humaine s'éclairent cependant à partir d'un même fonds
poétique, que seul le roman- qui se
présente ici comme un mythe -est à même de dévoiler.
BIBLIOGRAPHIE Le Médecin de campagne, Garnier-Flammarion, 1960, édition
de Pierre Citron; le Médecin de campagne, Le Livre de poche,
1972, préface de Pierre Barbéris; le Médecin de campagne, Galli
mard, Coll.
«Folio >>, 1974, édition de Patrick Berthier, préface
d'Emmanuel Le Roy-Ladurie.
A consulter.
-A.
Wurmser : La Comédie inhumaine, Galli
mard, 1964; P.
Barbéris, «Mythes balzaciens >>, la Nouvelle Cri
tique, nov.
1964, p.
Ill à 128..
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