LE MAL COURT de Jacques Audiberti (analyse détaillée)
Publié le 24/10/2018
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LE MAL COURT. Pièce en trois actes et en prose de Jacques Audiberti (18991965), créée dans une mise en scène de Georges Vitaly à Paris au Théâtre de Poche le 25 juin 1947, et publiée dans le tome I du Théâtre, à Paris chez Gallimard en 1948.
Au xviie siècle, la princesse Alarica de Courte-lande, fille du roi Célestininc, se rend en Occident afin d'y épouser le roi Parfait Dans les cantons de l'Électeur de Saxe : un homme (Femand) s’introduit dans la chambre où dorment la princesse et sa gouvernante Toulouse, en se faisant passer pour le roi Parfait À l'entrée du Maréchal de la noblesse, qui ne le reconnaît pas pour tel, l’inconnu saute par la fenêtre. Il est blessé par balle et ramené dans la chambre. Arrive le roi (Acte I). En compagnie du cardinal de La Rosette, son Premier ministre, il vient annoncer à Alarica que le mariage est rompu car il épouse la sœur du roi d'Espagne. Mais, touché par sa beauté et par son désespoir, il finit par lui révéler que leur prétendu mariage, machination du cardinal, n’avait pour but que de décider les Espagnols à cette alliance. Il lui propose alors de s'enfuir avec elle, mais Alarica refuse, se sacrifiant à la grandeur du roi d’Occident En l’absence du cardinal, elle s’offre à lui. Parfait refusant à son tour, elle lui montre Femand qu’elle prétend être son amant. Le roi décide alors de l'épouser, mais Alarica veut lui imposer Femand. Il sort (Acte II). Alarica a passé la nuit avec Femand. avec qui elle a « perdu son honneur de femme ». Mais devant sa candeur agaçante, celui-ci ne peut se retenir de lui avouer qu'il est un policier du cardinal, chargé de la compromettre définitivement D’ailleurs sa gouvernante elle-même est une espionne d'Occident Arrive le roi Célestininc, qui semble satisfait du maigre dédit qu’on lui offre : même lui « triche »... Renonçant à une impossible pureté, Alarica promeut Ferdinand amant officiel et se découvre de grands projets pour la Courtelande. Elle renverse le roi son père, se joignant au passage à la course du mal (Acte III).
C'est sans cloute la plus célèbre pièce d'Audiberti ; en tout cas la plus classique et la plus simple dans sa composition. «J'ai écrit Le mal court d'un trait, en deux ou trois heures, sur du papier quadrillé, comme si ces trois petits actes, tracés d'avance, m'attendaient quelque part dans l'espace [...]. Le cri : « Le mal court ! » que la princesse Alarica pousse à la fin de la pièce constitue, sans nul doute, la constatation de ce fait que le mal, dans sa réalité comme dans sa théorie, se propage avec rapidité. Mais il exprime aussi le souhait profond que ce mal soit court et que lui succèdent l'amour et la bonté. »
Malgré ces derniers mots encourageants, la pièce apparaît avant tout comme l'initiation brutale de l'innocence au triomphe du mal. La princesse Alarica se voit d'un seul coup livrée au machiavélisme politique (en la personne du cardinal), au mensonge (en celle de Femand) et à la trahison (en celle de Toulouse). La naïveté d'Alarica, issue - on le comprend à la fin de la pièce - de l'idéalisme de son père Célestininc (l'homme du ciel), rêveur et musicien, est mise à rude épreuve par les différents coups de théâtre qui lui révèlent progressivement l'étendue de la machination dont elle est victime. À sa volonté d'un monde « clair », Femand vient apporter de cruels démentis : « Parce que vous n'arrêtez pas de prendre le faux pour le vrai, de choisir le faux, de préférer le faux, j'ai envie de la prendre votre tête [...] et de la poser, crac, devant la vérité, la véritable vérité. »
Alarica parvient enfin à la seule conclusion possible : « Le monde est ignoble. » D'où cette révolte, esquissée dès la déception de l'acte II - où elle adoptait la nudité d'Ève -, qui la conduit à s’identifier au règne du mal : « Je suis dans le trou, dans la fange / Le serpent me mange, il me mange / Je suis le serpent. » Puisque le mal court
«
et qu'on ne peut l'en empêcher, autant
se joindre
à la course et espérer que, s'il
doit quelque jour s'arrêter,
«ce soit à
l'extrémité définitive de sa vitesse , de
sa
force!».
C'est le sens de la comédie
jouée par Alarica au roi
Parfait pour le
dissuader de se marier avec elle.
Sa
feinte cruauté lui permet, en le mettant
face au miroir , de lui offrir l'image
insoutenable de sa propre mort :
«Je
suis la fatalité de la vie.
»
C'est que l'initiation au mal se
trouve être, simultanément,
et plus
nettement encore que dans Quoat
Quoat (1948), une initiation à sa
dimension théâtrale.
« Dès le commen
cement, c'était une comédie.
Voilà la
vérité !
» Le mensonge est déguise
ment, jeu, apparence et Alarica ne peut
qu'échouer dans
son pitoyable désir
d
'ap peler la réalité afin d'" alimenter ,,
la: comédie en s'offran t à Fernand dont
elle avait cru se servir en le faisant pas
ser pour son amant.
Il lui dévoile bien
vite qu'il n'es t pas celui qu'elle croit
et
que même les mots d'amour dont il l'a breuvait étaient fictifs : il les tire
d'un manuscrit écrit par un autre que
lui.
Alarica
ne peut donc parvenir
qu'au constat de l'universelle comé
die : «Ainsi partout l'on triche, partout
l'on fait comme si.,.
D'où l'ambition
de se rendre maître
du jeu des apparen
ces
en faisant basculer son âme « du
côté du mal qui est le bien, du côté du
mal qui est le roi
», et le renversement
final
du roi Célestlninc.
Le mal, selon
la métaphore baroque qui est filée
d'un
bout à l'autre de la pièce, apparaît
comme
" le vinaigre du monde » dans
la « salade » de tous les mensonges.
Célestininc qui
« donnait des leçons de
salade
» (au sens propre comme au
figuré) se trouve donc renvoy é à ses
chères laitues à la fin de l'acte
III.
On le voit, la pièce reste alerte et
fuyante, pleine de fantaisie, à l'image
de son sujet
et malgré sa gravité.
Comme
l'écrivait
à l'époque jean Tar
dieu : " Il est impossible de rendre
l'impression de fraîcheur, de jaillisse
ment et de perpétuel imprévu que donne [ce] langage si neuf et si surpre
nant dans notre glacial théâtre intellec tuel.
».
»
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