Le Festin nu de William Burroughs
Publié le 28/03/2013
Extrait du document

William Burroughs, dans la préface de Junkie, raconte son itinéraire. Né en 1914, de parents bourgeois, il commence très tôt sa carrière de marginal. A dix-sept ans, il vit sa première aventure homosexuelle et commet quelques cambriolages. Il passe malgré tout une licence de littérature anglaise à Harvard. Puis, en 1936, il part pour l'Europe où il entame une psychanalyse. Sa vie et son oeuvre sont intimement liées à la drogue, à ses tentatives de guérison et à ses rechutes. Burroughs établit une hiérarchie des drogues en différenciant ce qui est globalement nommé « came « des hallucinogènes. La « came « comprend l'opium et ses dérivés (l 'héroïne notamment) et c'est seulement à propos de son usage que Burroughs parlera de toxicomanie et de sujétion. Les hallucinogènes, en revanche, ne provoquant aucune accoutumance physique, peuvent contribuer, selon Burroughs, à favoriser la création. En 1991 , le Canadien David Cronenberg a proposé une transcription cinématographique extrêmement intéressante du Festin nu. Peintures de Francis Bacon

«
« Les changements
physiques furent lents
au début , puis tout
se précipita, explosa en
détritus noirâtres qui
coulaient au fond de
sa chair amollie,
effaçant toute forme
humaine ...
»
,.------ ------ EXTRAITS
Notes sur l'intoxication :
le corps du drogué
Le corps sait pmfaitement quelles veines on
peut piquer et il transmet cette intelligence
aux mouvements instinctifs que /'on fait
pour préparer la piqûre ...
Paifois, !'aiguille
pointe aussi droit qu'une baguette
de sour
cier.D'autres fois, il faut attendre le signal
- mais quand il arrive
le sang jaillit toujours.
(.
.
.)
Une orchidée rouge
s'épanouit au fond du
compte-gouttes.
Durant
une longue seconde il
hésita, puis il pressa le
caoutchouc et regarda
le liquid e disparaître
d'un trait dans
la veine,
comme aspiré
par la
soif silencieuse de son
sang.
Il restait une
mince pellicule de sang
irisé dans le compte
gouttes et la collerette
de papier blanc était
souillée comme un pan
sement.
Il se pencha,
emplit le compte-gout
tes d'eau et, au moment
où il
le vidait à terre, l'impact de la came le
frappa à l'estomac, un coup étouffé, onc
tueux
...
Scène érotique, scène de meurtre
On entend le claquement sec du cou de
Mary qui se brise, une grande vague souple
fait tanguer son corps.
Johnny se laisse
choir
à terre en souplesse, les muscles ban
dés, comme un jeune animal
à l'affût.
Il saisit une grande jarre de jade
Chimu à
la forme obscène et arrose d'essence le corps
de Mary ...
il
s'asperge à son tour,
prend Mary dans ses bras et roule avec elle
sous une loupe gigantesque encastrée dans
la verrière de
la salle ...
une flamme jaillit ...
un cri strident fait éclater le mur de verre,
les deux corps empalés roulent dans /'es
pace, jouissant et hurlant toujours , puis se
désintégrèrent en flammes et en sang et en
traînées de suie sur les rochers d'un désert
écrasé de soleil
...
Le conseil de Burroughs
Je viens de tirer quinze ans sous cette tente.
Je suis entré et sorti et rentré et ressorti et
rentré encore et enfin sorti.
C' estfini,je suis
dehors.
(.
..
) J' aifait mon apprentissage très
tôt -et
à ma place vous en auriez tous fait
autant.
Moutards Parégoriques du Monde Entier,
Unissez-Vous ...
Nous n'avons rien ni per
sonne
à perdre, sinon nos anciens Four
gueurs de
Came ...
Et ils ne sont pas
nécessaires.
Regardez tous, regar
dez bien jusqu'au bout
du circuit de la came
avant de vous y enga
ger et de tomber sur
la
Mauvaise Bande ...
C'est un bon conseil
que
je donne à tous les
types sensés.
Traduit del 'anglais
par Eric Kahane.
Gallimard, 1984
«L'orga nisme tout entier
change de texture et de
couleur, variations
allotropiques réglées au
dixième de seco nde.
»
NOTES DE L'ÉDITEUR
«E t les critiques de s'éreinter à essayer de
déterminer si l'écriture de Burroughs est
symbolique, métaphorique, hallucinée
ou
pathologique, ne saisissant pas que le texte
burroughsien très exactement
part comme
on part avec hachish
ou marijuana , sans
claque
ni flip , en un passage et un
élargissement doux et naturels de la
prétendue réalité à des potentialités
ordinairement non révélées
de] 'esp rit.
Ce
n'est pas affectation de placer
Nacked Lunch
sous le signe du chanvre : on sait du propre
aveu de Burroughs que de nombr euses parties
du texte
furent écrites " sous "
influence du ha ish.
Que pourrait-il donc
rester du temp s habitue l dans
un livre fondé
s
ur la toxicomanie, expérience
d'intemporalité signalée dès
Junkie et en
gra nde partie rédigé au kif et
au majoum qui
défigurent eux aussi
le temps" normal".
»
Philippe Mikriammos, William Burroughs,
la vie et l' œuvre, Éditions Seghers, 1975.
«Le camé s'injecte un peu de mort pour
pouvoir survivr e jusqu'à la mort, soit parce
que son organisme sera à la
limite de la
tol érance, soit parce que la came sera
épuisée.
C'est cette métaphore de
la limite, en
ce qu'elle est inaugurale du texte, qui va
soutenir tout l'édifice fantasmatique de la
création.
D'abord, parce que cette limite est
le lieu, sans cesse invoqué, de la fin et aussi
parce que cette limite est, en soi,
reproduction cyclique
du même, c'est-à-dire
tension, mouvement vers la
mort( ...
) Il est
immédiatement visible qu'ici se situe une
des transformations métaphoriques
principales -celle de la came-limite
" Zéro
Absolu" (Ultimate Zero) au texte-limite.
»
Serge Grunberg, A la recherche d'un
1 Len Sinnan 2, 3, 4 peintur es de Franci s Ba con
corps , Langage et silence dans l' œuvre de
W.
S.
Burroughs, Le Seuil, 1979.
BU RRO UGHS 02.
»
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