Lais de Marie de France (analyse détaillée)
Publié le 24/10/2018
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Lais. Récits en vers octosyllabiques de Marie de France (seconde moitié du xiie siècle), composés vers 1170-1175 et transmis par cinq manuscrits du xiiie et du xive siècle. Le plus court, « le Chèvrefeuille » compte 118 vers ; le plus long, « Éliduc », 1 184.
Histoires d'amour et de mort, récits féeriques, contes folkloriques, nouvelles courtoises, les douze lais de Marie de France représentent à la fois le modèle et l'apogée du genre. Mêlant sources orales et écrites, Marie se pose en auteur, consciente de son importance : « Écoutez donc, seigneurs, les récits de Marie qui tient sa place parmi les auteurs de son temps » (« Guige-mar », v. 3-5). Son entreprise, il est vrai, est originale. Renonçant à traduire une œuvre latine, comme nombre de ses contemporains, elle se propose de transcrire une tradition orale sur le point de disparaître : celle des poèmes d'amour et d'aventures que les jongleurs originaires de Bretagne chantaient dans les cours, et qu'elle a entendus. L'œuvre se construit autour d'un jeu subtil entre oralité et écriture, et du désir d'allier « la musique et les lettres » (R. Dragonetti). Mais les lais ressortent de l'alambic de l'écriture si transformés qu'il ne reste d'eux, en souvenir de leur origine, que leurs titres, soigneusement traduits et commentés. Marie forge ainsi des contes neufs dans une forme poétique inédite et fait coïncider, sous le nom de lai, la chanson originelle et son propre récit. Aussi faut-il, pour goûter la séduction de cette « poétisation de la réalité » (Rychner), se dépouiller d'un rationalisme trop rigide et écouter Marie, lorsqu'elle
nous dit que la variété est la principale des qualités d'un bon conteur : « Qui veut composer des contes variés / doit varier le début de ses récits / et veiller par son art / à plaire au public » (« Milon », v. 1-4).
Guigemar. Guigemar n’a qu’un seul défaut : il est indifférent à l'amour. Grand chasseur, il blesse une biche blanche au front ; la flèche rebondit et se fixe dans sa cuisse. L’animal lui prédit que sa blessure ne guérira que de la main d'une femme qu’il aimera d’un amour douloureux Guigemar se traîne jusqu’à un port, aperçoit un navire luxueux dans lequel il monte. Tandis qu’il s’endort épuisé, le navire l'emporte jusqu'à une terre dont le seigneur, vieux et jaloux séquestre sa femme dans une tour. C’est au pied de cette tour qu'échoue l'embarcation. La dame et sa servante l'aperçoivent, recueillent le chevalier et le soignent. Guigemar et la dame tombent amoureux l’un de l’autre au premier regard. Après un an et demi de bonheur, on les découvre : Guigemar repart sur le même navire mystérieux Mais les amants ont échangé des gages de fidélité : la dame noue un pan de chemise, qu’aucune femme ne saurait déplier; Guigemar ceint les hanches de son amie d'une ceinture impossible à délier. Au bout de deux années de désespoir, la dame décide de s’enfuir ou de mourir: les portes de sa prison s’ouvrent d’elles-mêmes: elle retrouve au port la nef de Guigemar. y monte, s'endort et aborde en Bretagne. Le seigneur du lieu, Mériaduc, s’empare d'elle et la confie à sa sœur. La dame refuse son amour, et s’évanouit en entendant parler de Guigemar. Soupçonnant la vérité, Mériaduc invite celui-ci à un tournoi : les amants se reconnaissent et dénouent facilement chemise et ceinture. Mériaduc refuse de libérer la dame Guigemar assiège son château, le tue et emmène enfin son amie.
Ce premier conte est un bon exemple de syncrétisme : Marie y combine la figure du chasseur vierge et farouche - nouvel Hippolyte - et le motif mythique de la chasse au blanc cerf. La deuxième partie répète sur le mode féodal et chevaleresque l'aventure du début : la dame est de nouveau séquestrée par un maître - sinon un mari -jaloux, mais, après sa traversée, elle a rejoint le monde de Guigemar, guerrier et masculin. Si elle reste « belle comme une fée », elle n'est plus que l'enjeu d'un combat féodal et c'est les armes à la main que son amant la reconquiert. À l'inverse, le jeune homme, de passif qu'il était, est devenu maître de son désir et de son destin. Abandonnant les jeux du tournoi, il mène une véritable guerre contre un seigneur puissant. Ainsi le conte retrouve, de façon voilée, les mythes celtiques de la souveraineté, où le statut de roi s'associe à la conquête d'une femme de l'autre monde, et dont le lai anonyme breton, de « Tyolet » offre une illustration plus claire. Cependant, Marie, comme plus tard Chrétien de Troyes, substitue à la question du pouvoir celle de l'amour, alors même qu'elle passe du monde des légendes au monde féodal.
Avec « Équitan », Marie suit une autre piste, celle qui conduit un roi brillant et courtois à une mort ignominieuse digne d'un fabliau.
Équitan. Équitan, roi breton, s’adonnait à l’amour et à la chasse, confiant l’administration de son royaume à son sénéchal « preux et loyal ». Celui-ci avait une femme si belle que le roi en tomba amoureux. Partagé un moment entre son désir et la loyauté due à son vassal, il convainc la dame de se donner à lui. Ils s’aiment ainsi jusqu'au jour où ses barons le pressent de se marier : la dame craint d’être abandonnée pour une femme de haut rang. Son amant la rassure et lui jure de n'avoir d'autre femme qu'elle. Elle décide alors de tuer son mari à l'aide d’un stratagème : elle préparera deux bains pour Équitan et son mari, dont l’un bouillant Équitan vient chasser dans le pays de son sénéchal et demande à se baigner avec lui. La dame prépare les cuves, mais, profitant d'une brève absence du sénéchal, les amants s’enlacent Le sénéchal revient et les surprend. Le roi, honteux, saute dans la cuve d’eau bouillante et meurt aussitôt; le sénéchal précipite sa femme dans la même cuve.
Ce deuxième lai est comme l'opposé exact du premier, dans son ton, sa fin
tragique, son réalisme. Sa qualité de roi aggrave la faute d'Équitan et rend la leçon plus parlante. Perdant tout sens de la mesure, livré aux feux de sa sensualité, Équitan, cependant, applique à la lettre les préceptes courtois selon lesquels la dame est suzeraine et l'amant vassal : « Soyez la maîtresse et moi le serviteur : soyez hautaine et moi suppliant ! » (v. 179-180). Mais en brouillant les hiérarchies, l'amour pervertit la loi. Face à un roi déchu, le texte ne cesse de revenir sur l'intégrité du sénéchal : c'est lui qui, véritablement, assume les fonctions royales, y compris à la fin, celle de la justice qui rétablit l’ordre moral. La logique de l'amour est incompatible avec l'ordre féodal et le modèle de la fin'amor des poètes - a fortiori s'il s'incarne dans la personne du roi - aboutit au désordre, à la honte et à la mort.
Le Frêne. La femme d’un chevalier se moque imprudemment de sa voisine qui a accouché de jumeaux. L’année suivante, elle-même met au monde deux filles : désespérée, elle décide d'abandonner l’un des enfants. Le bébé, richement paré et orné d'une bague de prix, est confié à une servante qui le dépose dans un frêne à la porte d'une abbaye. L'abbesse l'adopte et l'élève comme sa nièce. Frêne grandit en beauté et en sagesse et s’attire les suffrages des seigneurs alentour, en particulier ceux de Goron de Dol, qui devient son amant et l'enlève. Malgré l’affection qu’elle suscite, les vassaux du seigneur engagent celui-ci à prendre une épouse légitime et à renvoyer Frêne. Il cède à leurs prières et demande la main de la sœur de Frêne, Coudrier. Pour la nuit de noces, Frêne pare elle-même le lit avec l’étoffe dans laquelle, enfant, elle avait été enveloppée. La mère de l’épousée remarque la soierie, interroge Frêne et la reconnaît comme sa fille autrefois abandonnée. Elle avoue son crime à son époux ; le premier mariage est annulé et Frêne épouse son amant.
Contrairement à Équitan, Goron ne se laisse pas emporter par l'amour au point d'y sacrifier son devoir de fonder une lignée légitime. C'est la résignation et la douceur « merveilleuses » de l'enfant abandonnée - répondant à l'acrimonie et à la méchanceté de sa mère - qui opèrent le miracle de la reconnaissance et sa métamorphose en fille dotée et en épouse légitime. L'amour qu'elle suscite est paisible à son image et ne saurait concurrencer ou troubler l'ordre social. Marie reste ici très près de l'écriture des contes folkloriques, et en deçà de la réflexion sur la nature de l'amour qui s'opérait dans les lais précédents.
«
rejoint le monde de Guigemar, guerrier
et masculin.
Si elle reste " belle comme une fée », elle n'es t plus que l 'enjeu
d'un combat féodal et c'est les armes à
la main que son amant la reco nquiert.
À l'inverse, le je un e homme, de passif
qu'il était, est deve
nu maître de son
désir et d e s
on destin.
Abandonnant les
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gue rre contre
un seigneur puissant.
Ainsi le conte retrouv e, de façon voi
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conquête d'
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dont le lai an onyme breton ,
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Cependant, Marie, comme plus
tard Chré tien de Troyes, substitue
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du pouvoir celle de l'amour ,
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Avec
« Équitan » , Ma rle suit un e
autre piste, ce lle
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brillant
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Équitan, roi breton, s'adonna it à l'amour et à la chasse, confiant l 'administration de son royaume à son séné chal « preux et loyal ».
Celui - ci avait une femme si belle que le roi en tomb a amoureux .
Partagé un moment
entre son dés i r et la loyauté due à son vassal, il convainc l a dame de se donner à lui.
Ils s'aiment ainsi jusqu 'au jour où ses barons le pressent de se marier : la dame craint d'être abandonnée pour une femme de haut rang.
Son amant la ras sure et lui jure de n'avo ir d'autre femme qu'elle .
E lle décide alors de tuer son mari à l'aide d'un stratagème : elle préparera deux bains pour Équi tan et son mari, dont l 'un bou illant.
Équitan vient chasser dans le pays de son sénéchal et demande à se bai gner avec lui.
La dame prépare les cuves, mais, profrtant d 'une brève absence du sénéchal, · les amants s'en lacent Le sénéchal revient et les surprend.
Le roi, honteux , saute dans la cuve d'eau boui llante et meurt aussitôt ; le sénéchal préc ipite sa femme dans la même cuve .
Ce deuxième lai est comme l'oppos é
exact
du premier, dan s son ton, sa fin tragique,
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Sa qualité de roi
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Perdant
tout sens
de la mesure, livré aux feux de sa
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la lettre les préce ptes courtois selon les
quels la dame est suzeraine et l'aman t
vassal :
" Soyez la maître sse et moi le
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179-180).
Mais en brouil
lant les hiérarchies, l'amour pervertit la
loi.
Face à
un roi déchu, le texte ne
cesse de revenir sur l'intégrité
du séné
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assume les fonctions royales, y compris
à la fin, celle de la justice qui rétablit
l'ordre moral.
La logique de l'amour est
incompatible avec l
'ordre féodal et le
modèle de la
fin'amor des poètes- a for
tiori s'il s'incarne dans la personne du
roi -aboutit au désordre, à la honte et
à la mort.
Le Frêne .
La femme d'un chevalier se moque
i m prudemment de sa vois ine qui a accouché de jumeaux .
L'année suivante, ell e -même met au monde deux filles : désespérée, elle décide
d ' abandonner l'un des enfants .
Le bébé , riche ment paré et orné d'une bague de prix.
est confié à une servante qui le dépose dans un frêne à la porte d'une abbaye.
L'abbesse l'adopte
et l' élève comme sa nièce.
Frêne grand it en beauté et en sagesse et s'attire les suffrages des seigneurs alentour, en part iculier ceux de Goron de Do l, qui devient son amant et l'enlève.
Malgré l'affection qu'e lle suscite, les vassaux du seigneur engagent celu i-ci à prendre une épouse légitime et à renvoyer Frêne.
Il cède à leurs prières et demande la main de la sœur de Frêne, Coudrier.
Pour la nuit de noces, Frêne pare e lle-même le
lit avec l 'étoffe dans laquelle, enfant elle avait été enveloppée.
La mère de l'épousée remarque l a soierie, i nterroge Frêne et la reconna1t comme sa fille autrefois abandonnée .
B le avoue son crime à son époux : le premier mariage est annulé et Frêne épouse son amant.
Contrairement à Équitan, Goron ne
se lais se pas em porter par l 'amour au
point d'y sacrifier son devoir de fonder
un e lign ée légi time .
C'est la résigna-.
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