La Vie devant soi de AJAR
Publié le 04/04/2013
Extrait du document
Romain Kacew prit comme pseudonyme officiel Gary, qui signifie en russe "Brûle" ! Par la suite, il publia La Vie devant soi sous le nom d' Ajar, c'est-à-dire "Braise" en russe. Il écrivit aussi sous le nom de Fosco Sinibaldi et de Shatan Bogat.
«
« Le plus grand ami
que j'avais à l'époque
était un parapluie
nommé Arthur que
j'ai habillé des pieds à la tête.
»
EXTRAITS
Momo ne connaît pas ses parents :
Au début je ne savais pas que je n'avais
pas de mère et
je ne savais même pas
qu'il
en fallait une.
Madame Rosa évi
tait d'en parler pour
ne pas me don
ner des idées.
Je ne sais pas pour
quoi
je suis né et qu'est-ce qui
s'est passé exactement.
Mon
copain le Mahoute qui a plu
sieurs années de plus que moi
m'a dit que c'est les conditions
d'hygiène qui font ça.
Lui était
né à
la Casbah à Alger et il était
venu en France seulement après.
Il
n'y avait pas encore d'hygiène à
la
Casbah et il était né parce qu 'il n'y
avait ni bidet ni eau potable ni rien.
Le Mahoute a appris tout cela plus
tard, quand son père a cherché à
se justifier et lui a juré qu'il
n'y
avait aucune mauvaise volonté
chez personne.
Le Mahoute
m'a
dit que les femmes qui se défen
dent
ont maintenant une pilule
pour l'hygiène mais qu'il était né
trop
tôt.
Plongé dans le monde des
adultes, Momo reste
un enfant qui
se
fabrique des jouets
Le plus grand ami que j'avais à l'époque
était
un parapluie nommé Arthur que j'ai
habillé des pieds à la tête.
Je lui avais fait
une tête avec
un chiffon vert que j'ai roulé
en boule autour du manche et un visage
sympa, avec
un sourire et des yeux ronds,
avec
le rouge à lèvres de Madame Rosa.
C'était pas tellement pour avoir quelqu'un
à
aimer mais pour faire le clown car
j'avais pas d'argent de poche et j'allais
parfois dans les quartiers français
là où il
y en
a.
J'avais un pardessus trop grand
qui m'arrivait aux talons et je mettais
un
chapeau melon, je me barbouillais le vi
sage de couleurs et avec mon parapluie Arthur
, on était marrants tous les deux.
Je
faisais
le rigolo sur le trottoir et je réussis
sais à ramasser jusqu'à vingt francs par
jour , mais
il fallait faire gaffe parce que la
police a toujours
un œil pour les mineurs
en liberté.
Arthur était habillé comme uni
jambiste avec
un soulier de basket bleu et
blanc ,
un pantalon, un veston à carreau x
sur
un cintre que je lui avais attaché avec
des ficelles et je lui avais cousu
un cha
peau rond sur
la tête.
Madame Rosa s'en va vers la mort
Mais Madame Rosa se gâtait de plus en
plus et je
ne peux pas vous dire combien
c'est injuste quand on est en vie unique
ment parce qu'on souffre.
Son organisme
ne valait plus rien et quand ce n'était pas
une chose , c'était l'autre.
C'est toujours
le
vieux sans défense qu'on attaque, c'est
plus facile et Madame Rosa était victime
de cette criminalité.
Tous
ses morceaux
étaient mauvais , le
cœur ,
le foie, le rein,
le bronche, il n'y en
avait pas
un qui était
de bonne qualité.
On
n'avait plus qu'elle
et moi à la maison et
dehors, à
part Ma
dame Lola , il n'y
avait personne.
Tous
les matins je faisais
faire
de la marche à
pied à Madame Rosa
pour la dégourdir et
elle allait
de la porte
à la fenêtre et retour , appuyée sur mon
épaule pour ne pas se rouiller complète
ment .
Je lui mettais pour la 'mar che un
disque
juif qu 'elle aimait bien et qui était
moins triste que d'habitude.
Les Juifs ont
toujours le disque triste,
je ne sais pas
pourquoi.
C'est leur folklore qui veut
ça.
Le Mercure de France, 1975
« Romain Gary-Émile
Ajar voulait intituler ce
livre
La T endresse des
pi err es,
mais craignant
que ce titre ne soit rap
proché de celui qu'il
utilisait déjà dans
un
autre de ses livres , il
décida d'en changer.
Le directeur du Mercure
du France trouva
La Vie
dev ant soi.
Gary déclara
plu s tard :
"C 'est La
G outt e d'or que j 'aurais ·
dû l'appeler.
..
" »
-Dominique Bona,
Gary, Le Mercure de
France, 1987
NOTES DE L'ÉDITEUR
Gary réussit à renouveler totalement son
écriture:« Romain Gary est ravi d'avoir
abusé critiques et jurés, mais surtout de
s'être montré capable
d'une nouvelle nais
sance.
Plus que d'un deuxième souffle, il
s'agit là d'une création romanesque au
deuxième
degré.
» -B.
Vercier, J.
Lecarme,
La Littérature en France depuis 1968,
Bordas, 1982
La Vie devant soi est un conte, et l'origine
orientale de Gary
s'y fait sentir:« On dirait
que pour Romain Gary toute vie était
un
combat sans merci entre le méritoire et le
médiocre, entre la faiblesse et le courage,
entre l'humanité et l'orgueil.
Il accomplit le
tour de force de remporter une seconde fois
le prix Goncourt sous
Je pseudonyme
d'Émile Ajar avec
La Vie devant soi.
Étonnante supercherie, extraordinaire habi
leté que de commencer une nouvelle car- rière
, avec une nouvelle manière et des
recherches de style négligées jusque-là.
Inquiétant dédoublement aussi.
Écrivain
plein de verve et d'allant, fait pour vivre et
écrire sur le mode picaresque, il avait la qua
lité éminente des grands conteurs de tous les
pays: l'humour qui tempérait de malice
orientale ses préoccupations morales.
»
Jacques Robichez, Précis de littérature fran
çaise
du )(X e siècl e, PUF, 1985
Ph oto (a) Sipa-Pre ss AJA R OI.
»
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