La Théorie de la Justice de John RAWLS (commentaire et analyse)
Publié le 11/08/2012
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Dans la Théorie de la justice, la société bien ordonnée n'est ni une communauté, ni une association, mais une structure de coopération. Le dialogue est donc fondamental et fondateur, car il génère les règles sociales, et fait surgir un règlement négocié des conflits d'intérêts, là où la fiction du Spectateur impose une solution aux agents. C'est le passage de tout un chacun comme «sujet socialisé« en un «citoyen politique universel«. La société est donc amenée à jouer, à travers ses institutions de base, un rôle distributif. En effet, elle distribue non seulement des produits, mais aussi des atouts sociaux. Elle est donc, comme la nomme notamment Ricoeur, un «opérateur de distribution«. Ainsi, le fait de «partager une conception de la justice«, permet aux partenaires de prendre la responsabilité de leurs fins, c'est à dire de les ajuster de manière qu'elles puissent être poursuivies grâces à des moyens qu'ils peuvent raisonnablement espérer acquérir en retour de ce qu'ils peuvent espérer apporter comme contribution. L'unité de la société n'est pas fondée sur le fait que tous les citoyens adhèrent à la même conception du bien, mais sur le fait qu'ils acceptent publiquement une conception politique de la justice pour régir la structure de base de la société. Le concept de justice est indépendant du concept du bien et antérieur à lui, au sens ou ses principes limitent les conceptions du bien autorisées. Une structure de base juste et ses institutions établissent un cadre à l'intérieur duquel les conceptions autorisées du bien peuvent être soutenues. Le sens de la justice est la capacité de comprendre, d'appliquer, et de respecter dans ses actes la conception publique de la justice qui caractérise les termes d'une coopération équitable.
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généralité, après une réflexion suf fisante, que Rawls appelle «l'équilibre ré fléchi».
Selon cet équilibre ré fléchi, appelé aussi «théorie de la décision», la rationalités'oppose à une détermination arbitraire, émotionnelle ou habituelle.
Celle-ci est une opération logique sur la base d'un savoir empirique et d'appréciations subjectives,sur le mode de la spéculation sur la réussite personnelle : c'est en quelque sorte un «calcul des béné fices», purement objectif, dicté par l'intérêt propre, mais enfonction de l'avantage maximal, c'est à dire qu'il doit y avoir une procuration d'un avantage maximal à plusieurs acteurs qui tous choisissent, chacun pour soi.
C'estpourquoi, la conception publique de la justice devrait être, autant que possible, indépendante de doctrines religieuse et philosophiques sujettes à controverses, c'est àdire, soumise au «principe de tolérance».
Ainsi, la conception publique de la justice doit être politique et pratique, et non pas métaphysique ou épistémologique.Rawls avance ensuite l'idée de «point de vue commun».
Le fait que nous occupions une certaine position sociale n'est pas une raison valable pour que nousacceptions ou que nous attentions que d'autres acceptent, une conception de la justice qui favorise ceux qui occupent cette position, c'est à dire des «exigencesexcessives les uns à l'égard des autres».
Il faut donc trouver un point de vue à partir duquel puisse être atteint un accord équitable entre des personnes libres et égales.Grâce au «point de vue commun» et au voile de l'ignorance, ceux-ci sont dans une situation équitable et atteignent un accord qui est sujet aux restrictions concernantce qui doit compter comme raison valable dans ce cas.
En effet, cette conception fournit un point de vue publiquement reconnu à partir duquel tous les citoyenspeuvent examiner les uns devant les autres si leurs institutions politiques et sociales sont justes ou non.
Elle leur permet de les juger en avançant des raisons suf fisantes et valables, reconnues comme telles parmi eux, et qui sont mises en évidence par cette conception elle même.
Elle doit toujours partir d'un certain consensus,c'est à dire de prémisses que nous mêmes aussi bien que les autres reconnaissons publiquement comme acceptables dans le but d'établir un accord applicable auxquestions fondamentales de Justice politique.
C'est ce que Rawls appelle «overlapping consensus», ou «consensus par recoupement».
Il s'agit d'une base moraled'accord public à partir de laquelle, malgré leurs divergences, les individus peuvent s'entendre et vivre ensemble.
c'est à dire encore les idées intuitives communes qui,coordonnées en une conception politique de la justice, s'avéreront suffisantes pour garantir un régime constitutionnel juste.
Dans un second temps, Rawls complète la théorie de la coopération sociale par une théorie du con flit.
Se représentant la société comme un système de travail encommun, système qui doit favoriser les intérêts de chaque membre en particulier, une telle coopération en vue d'un avantage réciproque est caractérisée par uneidentité d'intérêts, mais aussi par un con flit d'intérêt.
Ainsi, Rawls introduit la notion d' «intérêt personnel» associée à celle des individus qui ont des «buts et projetsdisparates».
Platon, Aristote et la tradition chrétienne représentée par Saint Augustin et saint Thomas d' Aquin sont du côté du bien unique et rationnel.
L'utilitarismeclassique appartient aussi à cette tradition dominante.
Par opposition, le libéralisme de Rawls, suppose qu'il existe de multiples conceptions du bien, autant qu'ilexiste d' individus, étant compatibles avec la pleine de rationalité des êtres humains.
En effet, le trait caractéristique d'une culture démocratique libre est le fait quedes conceptions du bien «en con flit et incommensurables entre elles» soient soutenues par ses citoyens, car selon Rawls, on ne peut pas atteindre un accord public surune conception unique du bien.
Le «bien», ou «intérêt personnel» étant ce qui a de la valeur pour la vie humaine, une conception du bien consiste en un système de fins ultimes, c'est à dire de fins que nous voulons réaliser pour elles-mêmes, de «buts et projets».
Les individus ont de ce fait à tout moment une conception particulièredu bien qu'ils essaient de réaliser.
Rawls appelle donc la «situation initiale» ce qui se dé finit d'abord par certaines circonstances qui rendent non seulement possiblemais encore nécessaire une coopération.
Ces circonstances subjectives font que les individus ont leurs propres projets d'existence (représentation du bonheur) quientraînent une différenciation des buts et des motifs, et avant tout des prétentions concurrentielles aux ressources naturelles et sociales.
Elles représentent l' «identiténon publique», c'est à dire les convictions et engagements particuliers.
En effet, dans leur vie personnelle, ou dans la vie interne des groupes auxquels ilsappartiennent, les citoyens peuvent envisager leurs fins dernières et leurs engagements d'une manière très différente de ce que présuppose la conception politique,comme par exemple certaines convictions morales, philosophiques et religieuses ou de certains engagements ou loyautés durables.
Selon Rawls, ce con flit d'identitéspeut donc, sans existence d'institutions de bases justes, dégénérer vers un état de guerre, comme celui décrit par Hobbes, ou Locke (dans le cas où l' «amour propre»prend le pas sur la justice).
La structure sociale doit alors gérer les con flits, chacun aspirant à une répartition des biens qui soit à son avantage, alors même que lesressources naturelles et sociales, sont limitées en quantité.
Selon David Hume, «si les hommes évoluaient dans une société d'abondance, le problème de la justice nese poserait pas».
Or dans un monde où les biens sont limités en quantité, chacun aspire à faire valoir son projet de vie, et ses propres conceptions philosophiques,sociales, politiques et/ou religieuses.
Cette pluralité de fins entrainant donc des divisions et des divergences d'opinion, elle peut cependant se réduire de manière suf fisante pour conserver une coopération politique basée sur le respect mutuel, ce que Rawls va introduire grâce à la notion d' «amitié civique» ou encore de «sens publicde la justice» grâce aux institutions qui visent alors à limiter, et non éradiquer, l'étendue du désaccord public et la «poursuite d'autres fins», appelée «restrictionacceptable».
En effet, l'Etat n'a pas le devoir de rendre heureux les citoyens, c'est à dire que l'avantage que tous doivent retirer d'une société équitable ne réside pasdans une vie réussie ou heureuse.
L'Etat se limite à des finalités de droit, à la garantie de la liberté par les lois.
La répartition juste touche en fait les biens premierssociaux qui sont conditionnés par la société, et dont chaque homme raisonnable se les souhaite pour réaliser sa conception très personnelle du bonheur.
Les hommes«gardent» donc sur leurs fins ultimes des idées tout à fait divergentes et l'ordre du droit ne doit pas intervenir dans ce domaine.
Mais étant donné ces institutions justesà l'arrière-plan et pour chacun un index équitable de biens premiers, on considère alors que les citoyens sont capables d'ajuster leurs objectifs et leurs aspirations enfonction de ce qu'ils peuvent raisonnablement espérer prévoir.
En outre, on les considère comme capables de limiter leurs revendications en ce qui concerne la justice,à ce que les principes de justice permettent.
Selon Rawls, l'homme étant un être fondamentalement intéressé, la coopération sociale répond donc à ses besoins car elleconstitue pour lui un avantage : elle lui procure une vie meilleure que s'il cherchait à ne vivre que par le biais de ses efforts propres.
L'utilitarisme se dé finit par lesacri fice de quelques-uns, moralement exigible pour le bonheur de la collectivité.
Ainsi, au nom de la maximisation du bonheur de la collectivité, il leur est demandéde sacri fier leurs intérêts propres au béné fice de la communauté, et d'admettre de n'être que de simples «moyens», au service des fins d'autrui.
Chez Rawls, lesconditions mêmes du respect de la personne apparaissant comme prioritaires, et couvertes par le premier principe de la justice, la justice n'est pas perçue dans le bien-être collectif maximal.
Elle consiste plutôt dans l'ordre fondamental d'une communauté politique qui fait participer ses membres autant aux avantages qu'aux charges.L'idée de la position originelle reprend la conception traditionnelle de la justice, c'est à dire la doctrine du contrat social.
Les termes équitables de la coopérationsociale sont alors conçus comme étant ceux sur lesquels se mettent d'accord les participants, donnant naissance à «un sens public de la justice».
Celui-ci s'oppose auspectateur impartial de l'utilitarisme.
En effet, ce dernier ne laisse pas de place aux individualités, réunies par l'imagination en une seule, du fait des mécanismesconjoints de la sympathie et de l'impartialité.
Elle n'est donc qu'une intelligence mathématique froide préoccupée par son unique raison d'être, c'est à dire le calculutilitaire, en ne prenant en ligne de compte que des unités homogènes, sans ne rien distinguer entre elles.
Il y a donc bien une maximisation de la satisfactioncollective, mais sans s'interroger sur la valeur morale de cette satisfaction.
Ainsi, nulle coopération n'est nécessaire : les agents sont unis par une quête similaire quiefface disparités et individualités.
Il y a une tolérance de l'inégalité la plus extrême, pourvu que le Spectateur ressente effectivement la satisfaction la plus intense.
Cequi est donc dénoncé par John Rawls, est l'élaboration d'un principe qui ne laisse guère de place à la pluralité des individus, en confondant impartialité etimpersonnalité.
En effet, il n'y a pas d'espace de discussion : les agents demeurent muets.
Ainsi, l'alternative rawlsienne situe l'impartialité en chacun des partenairesen situation égale (équitable) dans la position originelle.
Cette approche lui permet d'évincer le point de vue unique du Spectateur sympathique, au pro fit d'un débatpluriel et pluraliste, à partir des individus en con flit.
Dans la Théorie de la justice, la société bien ordonnée n'est ni une communauté, ni une association, mais unestructure de coopération.
Le dialogue est donc fondamental et fondateur, car il génère les règles sociales, et fait surgir un règlement négocié des con flits d'intérêts, làoù la fiction du Spectateur impose une solution aux agents.
C'est le passage de tout un chacun comme «sujet socialisé» en un «citoyen politique universel».
Lasociété est donc amenée à jouer, à travers ses institutions de base, un rôle distributif.
En effet, elle distribue non seulement des produits, mais aussi des atouts sociaux.Elle est donc, comme la nomme notamment Ricoeur, un «opérateur de distribution».
Ainsi, le fait de «partager une conception de la justice», permet aux partenairesde prendre la responsabilité de leurs fins, c'est à dire de les ajuster de manière qu'elles puissent être poursuivies grâces à des moyens qu'ils peuvent raisonnablementespérer acquérir en retour de ce qu'ils peuvent espérer apporter comme contribution.
L'unité de la société n'est pas fondée sur le fait que tous les citoyens adhèrent à lamême conception du bien, mais sur le fait qu'ils acceptent publiquement une conception politique de la justice pour régir la structure de base de la société.
Le conceptde justice est indépendant du concept du bien et antérieur à lui, au sens ou ses principes limitent les conceptions du bien autorisées.
Une structure de base juste et sesinstitutions établissent un cadre à l'intérieur duquel les conceptions autorisées du bien peuvent être soutenues.
Le sens de la justice est la capacité de comprendre,d'appliquer, et de respecter dans ses actes la conception publique de la justice qui caractérise les termes d'une coopération équitable..
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