LA ROCHEFOUCAULD: MAXIMES (Fiche de lecture et analyse)
Publié le 18/11/2010
Extrait du document
L'amour-propre est l'amour de soi-même, et de toutes choses pour soi ; il rend les hommes idolâtres d'eux-mêmes, et les rendrait les tyrans des autres si la fortune leur en donnait les moyens ; il ne se repose jamais hors de soi, et ne s'arrête dans les sujets étrangers que comme les abeilles sur les fleurs, pour en tirer ce qui lui est propre.
«La vérité ne fait pas tant de bien dans le monde que ses apparences y font de mal.«
«L'intention de ne jamais tromper nous expose à être souvent trompés.«
(Maximes, 64 et 118)
ou sur un paradoxe :
«Si on juge de l'amour par la plupart de ses effets, il ressemble plus à la haine qu'à l'amitié.«
«On fait souvent du bien pour pouvoir impunément faire du mal.«
«Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit.«
(Ibid., 72, 121 et 210)
«
en donnait les moyens ; il ne se repose jamais hors de soi, et ne s'arrête dans les sujets étrangers que comme lesabeilles sur les fleurs, pour en tirer ce qui lui est propre.»
Ainsi l'amour-propre est le moteur de nombre de nos actions et gouverne tous nos sentiments.
C'est une forceomniprésente et omnipotente :
«Il y a dans la jalousie plus d'amour-propre que d'amour.»
«Nous ne ressentons nos biens et nos maux qu' à proportion de notre amour-propre.»
(Maximes, 324 et 339)
«Rien n'est si impérieux que ses désirs, rien de si caché que ses desseins, rien de si habile que ses conduites ; sessouplesses ne se peuvent représenter, ses transformations passent celles des métamorphoses et ses raffinementsceux de la chimie.
On ne peut sonder la profondeur, ni percer les ténèbres de ses abîmes.
[...] Il est tous lescontraires : il est impérieux et obéissant, sincère et dissimulé, miséricordieux et cruel, timide et audacieux [...].
Ilest dans tous les états de la vie, et dans toutes les conditions ; il vit partout, il vit de tout, il vit de rien.»
(Ibid., 563)
En réalité, la puissance de l'amour-propre est telle qu'il est à l'origine non seulement de nos vices mais aussi de nosvertus, ou prétendues telles :
«Ce que les hommes ont nommé amitié n'est qu'une société, qu'un ménagement réciproque d'intérêts, et qu'unéchange de bons offices ; ce n'est enfin qu'un commerce où l'amour-propre se propose toujours quelque chose àgagner.»
« La fidélité, qui paraît en la plupart des hommes n'est qu'une invention de l'amour-propre pour attirer la confiance.C'est un moyen de nous élever au-dessus des autres, et de nous rendre dépositaire des choses les plusimportantes.»
(Ibid., 83 et 247)
Car, pour La Rochefoucauld, il n'est guère de vertu qui ne soit en réalité vice, comme le dit d'emblée l'épigraphe :
«Nos vertus ne sont le plus souvent que des vices déguisés.» Ce qu'il précise dans sa maxime 182 :
«Les vices entrent dans la composition des vertus comme les poisons entrent dans la composition des remèdes.
Laprudence les assemble et les tempère, et elle s'en sert utilement contre les maux de la vie.»
Oeuvre de vieillesse d'un homme désabusé, à qui ses échecs successifs ne laissent plus guère d'illusions sur leshommes, les Maximes reflètent une conception profondément pessimiste de la nature humaine.
Ni tout à fait bon ni tout à fait mauvais, l'homme, nous dit La Rochefoucauld, se fraie son chemin dans le monde usant des armes que luifournit l'amour-propre, armes que l'on qualifiera tantôt de vices, tantôt de vertus.
Et c'est dans cette constanteambivalence qu'on peut sans doute admettre la seule note positive des Maximes : le fait que chacun de nous veuille se parer des plus grandes qualités, déguiser le mal en bien, prouve que nous restons sensibles à la valeur du bien,même si nous sommes incapables de 1 ' atteindre :
«L'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu.»
(Ibid., 218)
C'est donc un homme faible, mais non fondamentalement mauvais que nous dépeint La Rochefoucauld.
3.
LE MORALISTE DANS SON SIÈCLE
Avec La Bruyère, La Fontaine et, d'une certaine manière, Pascal, La Rochefoucauld s'inscrit dans la lignée desgrands moralistes du XVIIe siècle.
Ces moralistes s'occupent moins d'être «moralisateurs», c'est-à-dire de faire lamorale, que de conduire une analyse, en psychologues et en sociologues de la nature humaine, pour aboutir à uneétude de l'homme, véritable anthropologie, empreinte le plus souvent d'un profond pessimisme.
Cette anthropologie privilégie le plus souvent l'écriture en fragments.
Car les moralistes se situent dans le sillage deMontaigne, refusant comme lui l'esprit de système et les théories définitives qui laissent échapper la réalitéchangeante et multiple de la nature humaine La Rochefoucauld incarne parfaitement ce souci de mettre au jour lesparadoxes et les ambivalences de la nature humaine.
Sa réflexion, fondée sur l'expérience plutôt que sur touteadhésion à un principe a priori, s'exprime ainsi dans une écriture discontinue qui laisse paraître les hésitations, lesparadoxes et les contradictions de la pensée.
C'est que la nature de l'homme est un sujet paradoxal.
Laconnaissance que l'on peut en avoir, elle est, de la même manière, à l'image de son écriture, toujours en train des'accomplir:
«Quelque découverte que l'on ait faite dans le pays de l'amour-propre, il y reste encore bien des terres inconnues.».
»
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