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La Montagne magique de Thomas Mann (Fiche de lecture)

Publié le 22/02/2012

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Roman paru en 1924; traduit de l'allemand par Maurice Betz, Fayard, Livre de Poche, 1 016 pages. L'AUTEUR Thomas Mann fut un des derniers écrivains-maîtres à penser (une espèce disparue depuis, dit-on, la mort de Sartre en 1980), et nul ne s'étonna que le Prix Nobel de littérature lui soit décerné en 1929. Il était né le 6 juin 1875 à Lübeck, et appartenait à une famille riche, bourgeoise, puissante, de négociants en grains, plus connue aujourd'hui par ses écrivains (Thomas, ses enfants : Klaus, Erika, son frère Heinrich) que par ses activités commerciales dans la cité hanséatique. Scolarité médiocre à Lübeck. En 1893, le père meurt, les affaires sont liquidées, et la mère, d'origine brésilienne, s'établit avec les cinq enfants à Munich. Thomas suit des cours à l'Université, lit énormément (Nietzsche, Schopenhauer, les romanciers russes, français, anglais, allemands), commence à rédiger des nouvelles. Il est réformé du service militaire : le pas de l'oie provoquait chez lui une inflammation des tendons. L'écriture parut-elle à l'adolescent anxieux et tourmenté un remède à son désarroi ?
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« Qu'est-ce qui le retient ? C'est d'abord le délabrement de son propre état de santé : il se croit seulement éprouvépar l'air vif, l'altitude (on vit à 1 500 mètres à peu près), il lui faut s'aliter, se faire ausculter, radiographier.

Il esttouché par la maladie.

« Hans Castorp avait eu une mauvaise courbe de température.

»L'intérêt pour une femme au visage tartare, aux « yeux étroits » et aux « larges pommettes », se mêle à un certainétonnement : qui me rappelle-t-elle ? Il découvre qu'elle s'associe au souvenir d'un collégien auquel le liait unetendre amitié autrefois.Pribislav Hippe avait, comme Mme Chauchat, « des yeux de Tartare au-dessus des pommettes saillantes ».

Dès lors,l'attrait se transforme en passion amoureuse.

Il choisit de vivre en ce lieu où il s'était trouvé d'abord confiné.

Avantde partir, elle lui laissera, en guise de portrait, une radio « que l'on devait tenir devant la lumière pour y découvrirquelque chose », qui révélait « les organes du creux de sa poitrine ».Au début, Hans ne fait que s'acclimater, s'habituer à une existence qui est à mille lieues de celle qu'il menaitd'ordinaire, celle d'un jeune bourgeois aisé dans des résidences de vacances : hôtel luxueux, distractions mondaines,cuisine raffinée, oisiveté, plaisirs facilités par la surexcitation sensuelle liée à la fièvre, gaieté un peu forcée desrelations souvent passagères ou superficielles.

Mais ces apparences sont extérieures et masquent ce que cetendroit a de fascinant et d'enrichissant.

Hans en prend conscience, et, pour cette raison aussi, choisit de rester.

Ila même perdu l'idée de guérir un jour et de « redescendre parmi ceux d'en bas ».Cet Allemand moyen, uniquement préoccupé de questions techniques, découvre et participe, là, aux débats quianimaient alors l'Europe intellectuelle et littéraire.

Les conférences du docteur Krokovski l'ouvrent à la psychanalyse: «fi célébra l'exploration et l'illumination de l'inconscient, préconisa la retransformation de la maladie en sentimentdevenu conscient.

» Les discussions avec Settembrini, puis entre Settembrini, un « nouveau venu », Naphta, et lui-même, touchent à des problèmes essentiels auxquels il avait, jusqu'ici, été tout à fait fermé.

Il lui semble entrerdans une petite confrérie d'un genre nouveau.

Settembrini représente l'esprit démocratique et l'humanisme.

Il croitau Progrès par la raison et la science, collabore à une encyclopédie qui en définira les voies.

Naphta est un jésuite,un juif converti.

Marxiste de formation, communiste, il a rejoint sur le tard la Compagnie de Jésus, avec cetteconviction qui, pour lui, unit le christianisme et le messianisme de la lutte des classes : l'homme ne se définit pas parla raison mais par des puissances irrationnelles, et (conséquence politique) la démocratie est inférieure à unedictature théocratique et communiste fondée sur la Terreur.

Hans Castorp voudrait,comme Thomas Mann lui-même, une synthèse supérieure de ces deux points de vue partiels sur l'homme.Il n'y réussira pas, et toute la fin du roman peut être lue comme le récit de cet échec qui amènera la petitecommunauté à se disperser, à rejoindre, comme Joachim puis Hans, les champs de bataille de la Grande Guerre, loindu carnaval macabre du sanatorium qui était à la fois la préparation à une mort programmée et à une vie supérieure.Avant même cet éclatement terminal, les puissances irrationnelles semblaient primer sur la raison chez lespensionnaires de Davos.

Plusieurs signes : d'abord le duel par lequel se terminent les discussions entre Settembriniet Naphta, pendant lequel Naphta se suicide.

On ne pouvait plus échanger d'arguments.

Ensuite, avant même ceduel, qui donne le glas du dialogue démocratique, la personnalité du nouvel ami avec lequel Clawdia Chauchat estrevenue au sanatorium : le magnifique colosse hollandais Mynheer Peeperkorn, qui semble, par sa puissancephysique même et ses terribles accès de colère, l'incarnation des énergies démesurées, dionysiaques.

Il ne séduitque par un charisme inexplicable, car il semble incapable de terminer une phrase.

Enfin, les longues séances despiritisme sont devenues la distraction favorite.Mais, en bas, dans le plat pays, c'est pire : la guerre se déchaîne.

Hans Castorp, victime, parmi tant d'autres, d'une« science devenue barbare », erre sur un champ de bataille, et «chantonne, dans une excitation hébétée ».L'ANALYSERéalisme et fantastiqueOn peut dire que Thomas Mann n'invente pas : il rend compte, avec force détails, du fonctionnement d'un luxueuxsanatorium suisse.

Il était d'autant plus facilement réaliste qu'il avait eu une bonne occasion de se renseigner.

En1912, sa femme Katia avait passé six mois en sanatorium, à Davos justement.

Thomas était resté à Munich avec lesenfants, mais avait rejoint Katia en mai et juin.

Le temps était très mauvais, l'écrivain, victime d'une bronchite, duts'aliter ; les médecins lui conseillèrent même de rester quelques mois; il refusa.

Telles sont les « donnéesautobiographiques».

Les détails quotidiens accentuent l'impression de réalisme.

De même, les discussions sont biencelles qui agitent l'intelligentsia européenne.Pourtant, le récit donne aussi facilement le sentiment du fantastique, ou, comme certains l'ont, dit du « semi-fantastique ».

A quoi cela tient-il ? Les personnages sont là en vacances forcées.

Ils sont loin des soucis quotidiensde la vie ordinaire.

Les meilleurs d'entre eux — et d'abord Hans Castorp évidemment — se rendent compte qu'ilsn'ont jamais eu le temps de réfléchir, de se poser vraiment les questions essentielles.

D'où une élévationintellectuelle insolite, et, parfois aussi, une exacerbation de la sensualité.

Toutes les possibilités — jusqu'alors enpartie étouffées — ont libre cours, semblent vues à travers un verre grossissant, et au ralenti, présentées d'unefaçon qui tire le récit vers le fantastique.

Même des détails très réalistes ont quelque chose d'irréel : on farde lesmourants, on désinfecte leur chambre avant d'admettre un nouvel occupant, on emporte les corps de nuit.

Leschoses se passent-elles ainsi vraiment, ou tous ces gens sont-ils en train de participer à une fête macabre, et àune sorte de carnaval ? (Ce qui ne leur déplairait pas, si l'on se fie à la description d'un mardi-gras à la fin del'ouvrage.) Le ton même du narrateur (à la fois facilement pathétique et, pourtant, ironique) accentue le trouble dulecteur.Celui-ci est cependant lassé, parfois, par les longues discussions philosophiques.

Roman et philosophie N'y a-t-il pas un mélange de genres, quand l'oeuvre relève à la fois de la fiction romanesque et de l'essai théorique ?. »

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