« La Maison du berger » de Vigny (résumé)
Publié le 11/11/2018
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Vigny représente, avec ses 336 vers, le cinquième du recueil des Destinées. C’est une somme, un condensé de la poésie de Vigny, où la versification la plus plate côtoie certains des plus beaux vers d’amour de la langue française.
Le poème s’ouvre sur une invitation au voyage. Loin des villes maudites, incarnations modernes de la destinée, le poète engage Éva à partir, afin de préserver le sacré qu’elle porte en elle et que profane la foule. Face à la tristesse de la science qui appauvrit le monde par la banalisation qu'elle opère de l’homme et des choses, la Rêverie, elle, sœur de la Poésie, privilégie « chaque objet visible », « interroge tout », étudie enfin les « secrets divins ». Partir, c’est donc chercher la pureté dans une nature accueillante où « les grands bois et les champs sont de vastes asiles ». Au sein des « colonnes profondes » de la forêt, parmi les « beaux lis » et les « saules », le sacré peut être préservé. La nature, cependant, temple d’abord, se métamorphose en « impassible théâtre », en cruelle divinité qui réclame des sacrifices, de la même façon que le chemin de fer accepte, nouveau Moloch, les voyageurs immolés dans son « ventre brûlant ».
« La Maison du berger »
Publié en juillet 1844 dans la Revue des Deux Mondes et présenté alors comme « le prologue » du volume des Poèmes philosophiques, ce poème fut longuement préparé et médité. Vigny y travailla pendant six ans au moins, rédigeant d’abord le début et la fin, puis étoffant l’ensemble. Le plus long et le plus célèbre poème de
«
ÉVA Éva: le nom apparaît dans le Journal en 1838, date
de la rupture avec Marie Dorval.
Six ans plus tard, «la
Maison du berger >> sera dédiée « A Éva >>, de même
qu'en 1863 «l'Esprit pur».
Pendant les vingt-cinq
années qui séparent la première et la dernière apparition
d'Éva, Vigny, creusant l'énigme, élabore une figure de
femme qui est aussi une figure de la poésie.
Marie Delaunay naît en 1798.
Elle épouse en 1814
Louis Étienne Allan, dit Dorval, le régisseur de la troupe
théâtrale à laquelle appartenaient ses parents.
Actrice
inégale, au dire des contemporains, elle incarne d' ins
tinct tous ses rôles.
Remariée à Jean Toussaint Merle,
elle joue en 1830, quand Vigny la rencontre, Antony,
d'Alexandre Dumas père, au théâtre de la Porte-Saint
Martin.
Vigny est vite ému par une vivacité et une grâce
qu'il se plaira à décrire, et dont George Sand a fixé
l'image : «Elle était mieux que jolie, elle était char
mante; et cependant elle était jolie, mais si charmante
que cela était inutile >> .
Le prestige dont Marie s'entoure
pour qui sait la voir fait d'elle plus qu'une femme.
Dans
un galant madrigal adressé à l'actrice, Vigny dévoile en
elle la présence du cristal :
Reine des pass io n s, q ui deux fois savez vivre,
Pour vous lt-jour, pour tous le soir [ ...
)
Vivez dans 1 art divin et dans la poésie
Comme un phénix dans un cristal.
Pendant sept ans.
de 1831 à 1838, persista cette liaison
orageuse, entrecoupée d'infidélités réciproques.
L'ani
tude décevante de Marie pour l'homme d'honneur qu'é
tait Vigny, les dégofits et les tristesses qui s'ensuivire.nt
ne sont pas étrangers à « la Colère de Samson >>.
Ma1s,
au-delà de la dénonciation d'une nature fourbe et dissi
mulatrice, par-delà l'accident biographique, le poème
propose une image de la femme conçue dans son es�ence
même.
Si « plus ou moins la femme est touJçurs
DALLLA », elle est aussi, et dans le même temps, Eva,
la féminité incarnée dans la fragilité.
Nulle solution de
continuité, à cet égard, entre « la Colère de Samson » et
« la Maison du berger ».
Car Vigny, dans ces deux poè
mes, vise, plu� qu'une hypothétique nature féminine, la
représentation arch6typale d'une essence où se fondent
les données df· l'expérience vécue et l'admirable senti
ment d'une présence incontournable.
«Une femme est
toujours un enfant », dit le titre du vingt-septième chapi
tre de Stello, affirmant, derrière le sourire entendu, que
Vigny conçoit ses affirmations sur le p�an de _la gén .éra
lité et de l'idéalité.
C'est sur cette f•gure Jntangtble,
soulignée par une absence presque totale de matérialité,
sur cette « Ft:mme qui n'est pas née et ne mourra
jamais», que Vigny envisage un moment de clore son
œuvre.
C'est pourquoi Éva n'est pas autre chose que la poésie
même, sa condition et sa réalisation.
Subordonnant la
nature à la beauté, incarnant l'enthousiasme dans toute
sa pureté, elle est la médiatrice par excellence grâce à
laquelle le monde peut être :
Que m'importe le jour, que m'im po rte le monde?
Je dirai qu'i ls sont beaux quand tes yeux l'auront dit.
Face au Dieu jaloux, l'amour de la femme magnifie
la condition humaine.
Le monde entier, avec ses ques
tions et ses doutes, entre en poésie.
Un texte reproduit
par Henri Guillemin, intitulé« Enchaînement et.
suit � des
idées philosophiques de, ces
P?èf!l es », ne laisse � ce
sujet guère de doute : «Eva.
Ams• nous avons parle de
la Grâce et de la Fatalité.
Toi qui es si parfaite, que je
vois au-dessus de moi entre la terre et le ciel, toi qui me
réponds d'égal à égal ».
Éva est bien Je miroir du poète.
Vigny songea même à faire du recueil entier des Des
tinées une série de« lettres à Éva >>.
li a médité pour« la Maison du
berger» une «réponse d'Éva >> dans laquelle
celle-ci, répétant que « le monde est encore à conquérir
sur la Barbarie>>, s'adresse au poète en le nommant
« Stello », retrouvant et consolidant ainsi l'unité d'un
dialogue jamais perdu entre le poète et la poésie.
L'esprit
pur du poète, déjà présent littéralement dans «la Maison
du berger», parlera dans la pièce finale des Destinées,
ultime réponse d' Éva à la question poétique par excel
lence de Vigny.
Tout à la fois moteur de la poésie, incarnation fémi
nine d'une pensée fondamentale de l'auteur et fille de
l'œuvre, Éva s'affirme comme le rêve même de Vigny,
rêve cristallisé d'un écrivain, où fusionnent au mieux
l'image, qui échappe aux classifications, et l'idée, qui
ne peut jamais réellement se dire autrement que par la
poésie.
BIBLIOGRAPHIE Marie Dorval, Le/Ires à A(fred de Vigny.
recu eill ie s et présen
tées par Charles Gaudier, Gallimard.
1942; id., Correspondance
inédite avec George Sand, Gallimard, 1953 (commentaires de
Simone André-Maurois): F.
Moser, Marie D_orval, Plon, 1947;
P.-O.
Castex, dans son article «le Mythe d'Eva dan s les Desti
nées, étude de genèse» (l'Information littéraire, janvier-février
1980, p.
12-21: mars-avril 1980.
p.
58-67), a mis en évidence
l'impossibilité radicale de décider quel était le «modèle» réel
d'Éva, et se demande même s'il n'y a pas là une «fausse qu es
tion».
puisque cette représentation poétique ne vaul que par ses
métamorphoses el son existence définitivement im agi na ir e ..
»
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