La Conquête du courage de Crane
Publié le 05/04/2013
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Malgré une vie assez courte (1871-1900), Stephen Crane se verra couronné de succès avec notamment La Conquête du courage, paru en feuilleton dès 1894. Crane choisit pour cadre de son livre la bataille de Chancellors-Ville, qui se déroula du 2 au 4 mai 1863. Il sera porté à l'écran en 1951 par John Huston avec Audie Murphy dans le rôle de Flemming. Stephen Crane sera journaliste, correspondant de guerre, poète symboliste. On lui connaît aussi des nouvelles, dont Le Bateau ouvert, L' Hôtel bleu et La Mariée de Yel/ow Sky.
«
EXTRAITS - ---- - ----,
- ' -
L'éloge de la fuite
A son côté, un soldat qui n'avait cessé de
manier fébrilement son fusil, s'arrêta sou
dain, le lâcha, et prit la fuite en poussant des
hurlements.
Le visage d'un jeune gars,
éclairé jusque-là d'une expression de cou
rage exalté,
de cette audace majestueuse du
sacrifice de la
vie.fut un instant obscurci
d'une terreur abjecte.
Il pâlit comme un
homme qui, marchant dans l'ombre, s' aper-
çoit tout à coup
-,~ .· .
.
.
, ----·-
qu'il va choir
dans un préci
pice : ce fut une
'·
Prisonniers
pendant la guerre
de Sécession ( œuvre
de W.
Homer, 1866,
coll.
Franck)
révélation.
Lui
aussi, jeta son
fusil et tourna les
talons ; son vi
sage ne témoi
gnait d'aucune
honte ; il courut
comme un lièvre.
D'autres se mirent à décamper à travers la
fumée.
Tiré de son hallucination
par ce
mouvement, le jeune homme regarda autour
de lui : le régiment allait le laisser là tout
seul
! Il entrevit mille formes fuyantes et,
lançant un cri de terreur,
il fit volte-face
d'une pièce.
Pour un moment, dans ce tu
multe, il perdit, comme une poule affolée,
jusqu'au sentiment de la direction : il ne sa
vait où chercher le salut ;
la destruction le
menaçait
de toutes parts.
Mais il fuyait bien
tôt à grands bonds vers l'arrière ( ...
),sur sa
figure se peignait l'horreur de toutes les
épouvantes qu'il imaginait.
Le lieutenant, blasphémant, fit un saut en
avant
pour lui barrer la route.
Le jeune
homme vit la rouge colère des traits de l' of
ficier et son geste de lui allonger un coup
d'épée ; une seule pensée lui vint, c'est que
le lieutenant était une créature bien singu
lière pour pouvoirs' intéresser à
de pareilles
choses en un pareil moment.
Il courait en aveugle
et fit deux ou trois chutes ; une fois,
il donna de l'épaule contre un arbre avec
une telle force
qu'ils' étala de tout son long.
Le jeune homme est devenu
un exemple de courage
Lui aussi se sentit l'audace du fanatisme.
Il
était capable d'infinis sacrifices, d'un épou
vantable trépas.
Il n'avait pas le temps de
s'analyser ; mais il sut qu'il ne pensait aux
balles que comme à des obstacles qui l' em
pêcheraient d'atteindre l'objet où tous ses
efforts tendaient.
Et, à se reconnaître tel, en
son
for intérieur, de subtils éclats de joie le
secouèrent.
Il rassembla toutes ses forces.
Sa vue dé
faillait, se troublait sous la tension de ses
pensées et
de ses muscles.
Il ne pouvait rien
voir hors le brouillard de fumée déchirée
par les petites lames de feu, mais il
savait
qu'au fond de ce brouillard se trouvait la
clôture délabrée
de quelque ferme
disparue, abritant
les formes accrou
pies des ennemis.
Tout en courant,
la pensée du choc
prochain lui tra
versa l'esprit.
Il s'attendait à
éprouver une vio
lente commotion à
l'instant où les
deux corps de la troupe viendraient en
contact.
Cette idée se fondit dans sa folie
guerrière ; la vaste impulsion de
la charge
/'enveloppait de son élan ; il anticipait un
heurt, une rencontre terrifique, une collision
qui abattrait toute résistance, qui jetterait
au loin
la consternation et l'épouvante.
Traduit de l'anglais par
Francis Viélé-Griffin
Le général Grant entouré de ses
généraux (œuvre de Peter Hansen Balling, 1865,
National Portrait
Gallery)
NOTES DE L'ÉDITEUR
«La Conquête du courage est sans conteste
un chef-d'œuvre.
Il appartient à cette
catégorie de fiction qui est maintenant
communément appelée
"fiction de guerre".
Encore y a-t-il là bien peu de fiction, car si
un livre est réaliste,
c'est bien celui-ci.
( ...
)
Ce livre dérive directement de la seule
guerre qui concerne intimement le peuple
américain -la guerre civile de 1861-1865
-,
la guerre pour laquelle Lincoln s'est
engagé, non pas pour la libération des Noirs, mais
pour la préservation de
l'Union.( ...
)
Il y a là une marche implacable, un terrible
sentiment de rude épreuve, la terreur de la
jeunesse, cette peur normale qui est le
prélude commun de la bataille.
» Frederick
Brereton, introduction à
The Red Badge of
Courage, Collins, Londres.
«L'on n'ignore pratiquement rien de la vie
de Stephen Crâne depuis son enfance, et ses
admirateurs ont recueilli des dizaines, voire
des centaines de témoignages.
C'est ainsi
que
l'un de ses camarades de Syracuse devait
déclarer :
« Il réussissait, je ne sais
comment, à allier une aisance et une
assurance parfaites à une manière très
douce et très timide de s'exprimer
...
Il se
révéla bientôt paresseux, brillant, instable,
d'un commerce agréable et fort savant dans
l'art de jurer.
Il avait à ce moment-là
environ dix-neuf ans, mais son expérience
du monde était celle
d'un homme de
quatre-vingt-sept ans.
» Henry de Paissac,
introduction à La Conquête du courage,
Mercure de France, 1982.
1 Cliché Y .M.
2, 3, 4 Edimédia CRANE02.
»
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