JOURNAL. œuvre intime de Jules Renard (analyse détaillée)
Publié le 21/10/2018
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JOURNAL. Œuvre intime de Jules Renard (1864-1910), publiée à Paris chez Besnard de 192S à 1927 (5 vol.). De cette édition, la seule qui fasse autorité en l'absence du manuscrit, Henri Bachelin et Mme Renard ont écarté les notes de travail reprises dans les livres publiés ainsi que tous les passages se rapportant à des personnes encore vivantes à l'époque de la publication. Puis le manuscrit a été brûlé par Mme Renard.
Dans ce journal tenu par Jules Renard de 1887 à 1910, c’est-à-dire de l'âge de vingt-trois ans jus-qu'â sa mort à quarante-six ans, se trouvent rassemblés une chronique du Paris fin-de-siècle, des notes de lecture, des aphorismes, des réflexions personnelles, la relation d'événements familiaux, le tout sous forme de notes qui vont d'une ligne à plusieurs pages. Par son Journal, Jules Renard réalise enfin cette « grosse machine », œuvre de grande ampleur, dont même ses admirateurs le croyaient incapable, et met en évidence l'unité d'inspiration de celui qui y écrivait : «Je voudrais être l'homme d'un seul rêve. »
«
limites de la bienséance.
Et si l'on songe que nous ne disposons que
d'une version expurgée du Journal ...
En juin 1897, le suicide de François
Renard, atteint
d'une maladie incura
ble, empêchera longtemps Jules Renard
de se remettre au travail et, le S août
1909, la mort de sa mère, tombée dans
un puits, précède de quelques mois sa
propre mort.
Le Journal, bien souvent
placé sous le signe de la neurasthénie,
du pessimisme foncier et de la
tenta
tion du suicide semble ainsi un monu
ment dressé contre la mort qui, elle,
«n'est pas artiste"· Mais le Journal de Jules Renard est
loin d'être uniquement introspectif.
Cette
«œuvre d'art au jour le jour»,
selon Gilbert Sigaux, est un miroir
d'autant plus fidèle de
son époque que
l'écrivain est sans concessions
et peu
enclin au lyrisme.
« Ah ! la vie litté raire ! ,.
:Jules Renard envie Rostand ou
Barrès, fréquente Tristan Bernard, Mar
cel Schwob et Alphonse Daudet.
Chez
Léon Blum, il rencontre Jaurès, puis il
assiste à l'enterrement de
"l'effroyable Verlaine,.
qui ressemblait à «un dieu
ivrogne
», croise Toulouse-Lautrec en
1894, « un tout petit forgeron à bino
cle,., embrasse Sarah Bernhardt, assiste
à la représentation de *Cyrano
en décembre 1897.
Le Journal est plein
d'anecdotes et de détails, de portraits
et de bons mots, de prises de position,
souvent très marquées, sur différents
sujets.
On y trouve par exemple, le
23 février 1898, deux pages de
déclara
tions véhémentes sur l'affaire Dreyfus,
sur le modèle
du célèbre J'accuse
d'Émile Zola : « Et moi, je déclare [ ...
]
que j'ai
honte d'être sujet de Méline
[ ...
].
Et je jure que Zola est innocent
[ ...
].
Et je déclare que je me sens un
goût subit et passionné pour les barri cades.
,.
Le Journal joue ainsi pleinement son
double rôle : miroir de la vie
et de
l'œuvre, mais aussi œuvre à part
entière.
On y trouve des fragments de
ses Histoires naturelles (1896), des Buco
liques (1898), ou de Ragotte (1908), des
réflexions sur l'œuvre
en cours, les
réactions du public aux
représenta
tions des pièces de théâtre.
Mais le Jour
nal nous offre surtout le spectacle
d'une esthétique
en formation par une
lecture ouvertement critique, où l'on
retrouve l'ironie féroce de celui qui
« aurait tant voulu être bon ,.
:
« George Sand, la vache bretonne de la
littérature», "Mallarmé, intraduisible
même
en français», Heredia et " sa
poésie du cymbalisme .,.
; « Le romanti
que regarde une armoire à glace et croit
que c'est la mer.
Le réaliste regarde la
mer
et croit que c'est une armoire à
glace.,.
Car l'objectif à atteindre, et qui
de fait est souvent atteint dans le Jour nal, c'est d'« écrire comme on respire.
Un souffle harmonieux, avec ses len
teurs et ses rythmes précipités, tou
jours naturel, voilà le symbole du beau
style
».
Ces notes sont-elles une «prière quotidienne», «un cahier
d'avortements» ou ce que l'écrivain
aura fait
« de plus utile " dans sa vie ?
Tout dire sans crainte de choquer, tel
est leur objet.
À la liberté du propos, à
une lucidité sans faille, correspond la
très grande clarté
d'un style qui
n'hésite
à recourir ni aux phrases
nominales
ni au registre familier, un
style souvent plus pleinement original
et moderne que dans l'œuvre
elle
même.
Avant de mourir, Jules Renard
pouvait
donc déclarer, sans mentir :
« Mes enfants, pour tout héritage, je
vous laisserai
mon âme, par écrit.
».
»
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