JOURNAL. Mémoires de la vie littéraire de Goncourt (résumé de l'oeuvre & analyse détaillée)
Publié le 24/10/2018
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JOURNAL. Mémoires de la vie littéraire. Œuvre d'Edmond (1822-1896) et Jules (1830-1870) de Goncourt, publiée à Paris chez Charpentier de 1887 à 1896 (tomes I à IX). L'édition définitive en 22 volumes sera éditée par Robert Ricatte à l'Imprimerie nationale de Monaco de 1956 à 1958.
L'histoire de l'œuvre est complexe. Elle est liée dans un premier temps à la biographie des deux auteurs dont elle fut la compagne assidue et probablement le « livre » majeur, sinon le plus connu. Le Journal s'ouvre avec le coup d'État de Louis Napoléon Bonaparte (le 2 décembre 1851) et s’achève avec les dernières lignes d'Edmond le 3 juillet 1896. Sur un demi-siècle, ces Mémoires ont d'abord été écrits à deux et matériellement rédigés par Jules, dont la maladie et la mort en 1870 laissent Edmond désemparé et responsable d'un projet qu'il continue seul. Une première publication intervient entre 1887 et 1896 après un premier essai en 1866 (Idées et Sensations) : il y aura neuf tomes qu'Edmond a voulu édulcorer de tout ce qui pouvait blesser les contemporains vivants, mais qui suscitent quelques tempêtes sans obtenir grand succès. Edmond demande qu'après sa mort l'Académie, qu'il fonde par testament, et avec l'entremise d'A. Daudet et de L. Hennique, publie l'intégralité de l'œuvre : cela après un délai de vingt ans. Divers retards dus à la prudence et aux circonstances retardent cette parution des onze cahiers jusqu'à ce que Robert Ricatte, après deux chartistes, vienne à bout de la tâche en 1956, plus d'un demi-siècle après la mort d’Edmond.
Le sous-titre de l'œuvre interroge d'abord sur ce rapport qu'un double mémorialiste peut entretenir avec la « vie » qu'il veut saisir : cette vie doit être opposée à l'artifice rudimentaire et sans art des industriels de la littérature, qui reprennent sans cesse la même recette ou achètent les mêmes mensonges reposants et faciles : éditeurs ou faux écrivains sans goût réussissant à séduire le grand public et faisant malheureusement les gros tirages. Face à eux, et au risque de ne pas être compris, les Goncourt se posent en maîtres de vérité, et d'une vérité bizarre, en raison précisément de leur refus des habitudes et des clichés, en raison de la subjectivité revendiquée de leur perception des choses - dont on verra qu'elle est une esthétique.
Comment se manifeste cette vérité ? On doit noter d'abord l'importance, dans cette œuvre, de tout ce qui est détail, notation, anecdote, petit fait ou petit récit, de tous ces éclats de réalité dont Michel Crouzet a pu dire qu'ils
«
étaient « signiftcativement non signi
ficatifs >>.
Au hasard des rencontres et
des saisons, les Goncourt aiment à sai
sir la nuance sucrée d'une odeur de
seringas, la saveur
d'une JJ.istoire gri
voise, le prix ou le modelé gracieux
d'un objet japonais, l'éclairage particu
lier - et pour cela émouvant -d'une
scène de rue, d'un paysage de banlieue,
les reliefs révélateurs
d'un visage.
Encore faut-il
bien préciser que le
monde du Journal est moins une révé
lation explicite et achevée qu'une
accumulation de petites splendeurs
délibérément
non développées ou
orchestrées : la réalité ou l'Histoire ne
sont jamais homogènes ou rationnelle
ment structurées, et le Journal, forme
déjà discontinue
par essence, se donne
ici pour tâche de collectionner des
impressions uniques, toutes
différen
tes.
Pas de place, en effet, pour la géné ralité : même lorsqu'une vérité géné
rale est prononcée, elle devra être
paradoxale
ou saisie sur un cas précis.
Lorsque,
par exemple, une humeur de
la princesse Mathilde vient confirmer
une opinion misogyne, c'est dans un
contexte particulier qui nous fait
découvrir quelque chose de plus sur les
femmes à travers
une femme.
Dans ces conditions, l'œuvre des
Goncourt donne au détail une fonc
tion complexe et essentielle de syn
thèse.
D'un côté, ils font l'histoire de
leur
temps à travers ces petits faits (un
échantillon de robe, un menu de
dîner) sans lesquels
nous ne connais
sons pas l'atmosphère d'une époque et
qu'ils ont cherchés déjà dans leurs tra
vaux sur le xvme siècle.
Mais, d'un
autre côté, le détail doit aussi être
considéré
dans le quotidien comme un
de ces mille départs de roman qu'un
écrivain ne peut tous exploiter, mais
qui ont retenu un moment de sa sensi
bilité, de son imagination, et qui lui
ont semblé dignes d'une élaboration
esthétique.
De
toute façon, la vérité, esthétique
ou historique,
est dans le
détail,
et non dans une totalité vague ;
dans un détail qui suppose qu'on le
quête
et qui est toujours le témoignage
d'une aventure, l'occasion d'un émer
veillement.
D'où la fameuse indiscré
tion des Goncourt, qui résulte moins
de leur goût du potin méchant que de
leur fascination
pour l'intimité des
choses
et des êtres, pour tous ces mys
tères qu'un détail, justement, peut
révéler: l'adultère de la femme chaste,
les dettes
du millionnaire, la morphi
nomanie du bourgeois tranquille,
l'avarice
du faux prodigue.
Mais quelle place .l'écrivain tient-il
dans cette découverte, cette aventure ?
On pourrait dire qu'il est, chez les Gon
court, le sertisseur de ces éclats bril
lants de réalité, qui n'ont de valeur que
comme
la matière ou le prétexte d'un
travail formel.
Esthétiquement, la pré
férence est nette en faveur de la forme
courte
ou brisée, et l'on peut voir la
tension première du Journal dans
l'opposition entre l'immensité de
l'écrit et la brièveté des éléments
qui le
composent : l'anecdote,
par exemple,
est
un bref récit dont l'intérêt se
concentre le plus
souvent dans une
chute ou un bon mot; de même,
l'aphorisme dure le temps d'un para
doxe ou d'une image, d'un rapproche
ment inattendu ; de même encore, le
portrait,
qui peut être long, tient par
fois tout entier dans une notation sur
un habit ou un accent.
D'un point de
vue stylistique,
on remarque un certain
nombre de tournures familières, orales
ou cursives, des phrases nominales, des
asyndètes
qui n'hésitent pas à prendre
le risque de
l'obscurité; on découvre
aussi la caractéristique la plus
directe
ment perceptible du style des Gon
court, celle qu'a bien pastichée Proust
dans un passage du Temps retrouvé (voir
*À la recherche du temps perdu), à savoir
le
mot rare, technique ou néologique,.
»
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