Journal d'une femme de chambre (le). Roman d'Octave Mirbeau (analyse détaillée)
Publié le 23/10/2018
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Journal d'une femme de chambre (le). Roman d'Octave Mirbeau (1848-1917), publié à Paris en feuilleton dans la Revue blanche du 15 janvier au 1er juin 1900, et en volume chez Fas-quelle la même année.
Ce roman, sans doute le plus connu de Mirbeau, inaugure une nouvelle technique narrative par laquelle l'écrivain intègre des récits déjà parus dans divers journaux de l'époque.
Célestine entre dans sa nouvelle place de femme de chambre, en province, au service de M. et Mme Lanlaire et aux côtés de la cuisinière
Marianne et du palefrenier Joseph. Elle se souvient de ses anciens maîtres, comme ce vieillard fasciné par les bottines (chap. I ), ou cette vieille femme qui va s'encanailler, ou encore cette épouse qui attend chaque nuit d’être honorée par son mari. Célestine est mise au courant de tous les ragots de la ville par les autres servantes : Madame est une femme acariâtre et Monsieur, coureur de jupons, se laisse dominer par elle. Leurs voisins - un vieux capitaine et sa servante. Rose, qui lui sert de maîtresse - les détestent (24). À la nouvelle de la mort de sa mère, Célestine se remémore son enfance et sa première expérience amoureuse. Monsieur entreprend Célestine, qui le repousse (5-6). La vie est plutôt morose et Célestine se rappelle avec regret ce jeune malade qu’elle soigna avec tant de passion... qu’il en mourut. On apprend le viol d'une petite fille, et Célestine soupçonne Joseph, par lequel elle se sent pourtant attirée. Il lui propose de partir avec lui pour ouvrir un bar à Cherbourg (7-9). Célestine ne peut s’empêcher de se souvenir de son ancienne vie à Paris et de ses anciens maîtres. Joseph presse Célestine d'accepter, et celle-ci se tourne de nouveau vers son passé : cette maison où elle devait coucher avec le jeune maître et cette sordide agence de placement tenue par des sœurs peu scrupuleuses (10-13). Rose meurt et le capitaine offre la place à Célestine, qui hésite : le mariage avec Joseph ou servante chez le capitaine ? La cuisinière Marianne est enceinte de Monsieur et Célestine se souvient de cette servante que sa maîtresse obligea à avorter (14-15). Joseph s’en va à Cherbourg et son absence pèse à Célestine (16). A son retour, un mystérieux vol d'argenterie est commis chez les Lanlaire. Peu après, Célestine et Joseph s'installent à Cherbourg (16-17).
La technique utilisée par Mirbeau dans cet ouvrage pourrait être rapprochée de celle du collage. La logique et la cohérence narrative semblent disparaître derrière le plaisir du conteur. L'écriture utilisée est caractéristique de ce peu d'intérêt pour l'unité romanesque. Mirbeau présente son livre, dans un court Avertissement, comme ayant été écrit réellement par Célestine R..., et simplement corrigé par ses soins. Or s'il est vrai que le registre d'écriture appartient en règle générale au langage oral (expressions familières, nombreux points d'exclamation et de suspension qui semblent mimer un discours), certaines pages détonnent par le caractère soutenu de la langue et sont de véritables essais, tels les passages critiques sur Paul Bourget ou politiques sur l'affaire Dreyfus. Par cette disparité, Mirbeau trahit sa volonté de cerner un même objet par de multiples points de vue. Toutes les histoires et tous les souvenirs de Célestine servent de prétexte pour réaliser une sorte de catalogue des tares sociales du monde moderne. Le choix d'une femme de chambre pour mener à bien cette critique est aisé à comprendre
«
oral (expressions familières, nombreux
points d'exclamation et de suspension
qui semblent mimer
un discours), cer
taines pages détonnent
par le caractère
soutenu de la langue et sont de vérita
bles essais, tels les passages critiques
sur
Paul Bourget ou politiques sur
l'affaire Dreyfus.
Par cette disparité,
Mirbeau trahit sa volonté de cerner
un
même objet par de multiples points de
vue.
Toutes les histoires et tous les sou
venirs de Célestine servent de prétexte
pour réaliser
une sorte de catalogue des
tares sociales
du monde moderne.
Le
choix d'une femme de chambre pour
mener à bien cette critique est aisé à
comprendre : celle-ci n'existe pas
socialement; point d'articulation entre
deux mondes, elle est à la fois complice
de ses maîtres mais aussi leur ennemie.
La critique sociale de Mirbeau menée
par l'intermédiaire de Célestine se
révèle de ce fait presque manichéenne,
opposant riches et pauvres
en mettant
en évidence la dégénérescence des clas
ses sociales élevées.
Pourtant, toutes les
classes
ont leurs tares.
La petite-bour
geoisie est rongée par le désir d'argent
à l'image
du ménage Lanlaire : Mon
sieur comme Madame
ont une fortune
issue des plus basses pratiques spécula
tives.
Cependant, cette cupidité
qui corrompt la bourgeoisie est en réalité
partagée
par toutes les classes sociales :
« L'adoration du million !...
C'est un
sentiment bas, commun non seule
ment aux bourgeois mais à la plupart
d'entre nous, les petits, les humbles, les
sans-le-sou de ce monde.
Et moi
même», dit Célestine, avouant ainsi le
début de sa dépravation (chap.
2).
L'attaque de Mirbeau contre l'aristo
cratie ne se fait pas par le même biais :
la tare est ici essentiellement sexuelle.
Les perversions mises en scène dans le
Journal ne sont pas sans rappeler -exo
tisme
en moins -celles du Jardin des
supplices (1899), insistant toujours sur
la stérilité du vice et la perversité des blasés.
n semble
que si, au début,
Célestine est étonnée de
ces déprava
tions
(«Et où vont-ils chercher toutes
leurs
imaginations?»), elle finit, là
encore, par s'y laisser entraîner insensi
blement.
Elle se découvre ainsi sou
mise à
une sorte de sensualité bestiale
qui la porte à désirer le palefrenier
joseph dès qu'elle le soupçonne du viol
de la fillette.
Déjà le récit de la pre
mière expérience amoureuse de Céles
tine évoquait cette fascination pour
une sexualité animale :
« Et voilà une
chose incompréhensible ( ...
).
M.
Bis
couille était laid, brutal, repoussant ...
En outre (les quatre ou cinq fois qu'il
m'attira), je ne puis dire qu'il me
donna un plaisir.
Alors [ ...
] comment
se fait-il que [
...
] j'éprouve comme une
grande reconnaissance, comme une
grande tendresse?» (chap.
5).
De plus,
le seul amour pur qu'elle ait éprouvé,
avec le jeune malade,
montre que la
sexualité se trouve, chez elle, systéma
tiquement alliée à la
mort dans la
mesure où par ses caresses elle accéléra
la fin
du jeune homme : « Nos deux
corps se confondirent.
Et [ ...
] ce fut un
supplice atroce dans la plus atroce
volupté [ ...
] d'entendre le bruit de ses
os qui sous moi cliquetaient comme les
ossements
d'un squelette.
» Avec le
palefrenier, Célestine fait réellement
l'expérience, consciente de plus
en
plus, de la perversité, de la pulsion
sexuelle la plus brutale :
«C'est autre
chose que je
ne puis définir exacte
ment, qui
me prend tout entière par
l'esprit
et par le sexe, qui me révèle des
instincts que je
ne connaissais pas [ ...
].
Ah, je comprends» (chap.
9).
Célestine
se trouve ici ramenée à des forces natu
relles,
qui font pour Mirbeau de la
femme
un monstre de primitivité.
C'est là la limite de l'identification de
la voix de Mirbeau avec celle de Céles
tine, et la fin du roman consacre même
une véritable rupture :
non seulement
Célestine cède à
son.
instinct sexuel en.
»
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