JEU DE L'AMOUR ET DU HASARD (le) de Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux (analyse détaillée)
Publié le 22/10/2018
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JEU DE L'AMOUR ET DU HASARD (le). Comédie en trois actes et en prose de Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux (1688-1763), créée à Paris par les comédiens-italiens le 23 janvier 1730, et publiée à Paris chez Briasson la même année.
Ce serait pratiquer un finalisme rétrospectif assez aventureux, que de prétendre que le feu vient à son heure couronner dix ans d'alliance heureuse avec le théâtre. Après un parcours sans faute de 1720 à 1725 (d'Arlequin poli par l'amour à l'*île des esclaves), Marivaux éprouve quelques déboires : le Dénouement imprévu (un acte, 1724) et l'île de la raison (trois actes, 1727) ne s'imposent pas à la Comédie-Française, non plus que la Nouvelle Colonie ou la Ligue des femmes (trois actes perdus, 1729) chez les Italiens ; l'Héritier de village (un acte, 1725) et le Triomphe de Plutus (un acte, 1728) réussissent assez bien sur la scène italienne, mais sa seule vraie grande pièce, durant ces années, reste la *Seconde Surprise de l’amour (trois actes, 1727), présentée au Français où elle reçut un accueil réservé. Même s'il est vrai que Marivaux s'était beaucoup donné au roman (la *Vie de Marianne) et à ses journaux,
le moment était sans doute venu pour lui d'une grande pièce et d'un beau succès chez ses chers Italiens.
On se doute que le Jeu a mobilisé la laborieuse confrérie des sourciers ; on trouvera la synthèse de leurs filatures dans l'édition du Théâtre complet par F. Deloffre. On devrait, selon lui, conclure de ce vaste voyage commencé à Athènes, chez Aristophane, que « la véritable source » est à chercher, « quoi qu'on en ait dit », dans les Amants déguisés, comédie d'Aunillon, jouée en... février 1729 à la Comédie-Française. Voilà en effet qui, à défaut de vraiment éclairer la pièce, vérifie l'esthétique d'un partisan déclaré des Modernes.
Inquiète de se voir livrée à un mari qu’elle ne connaît que par ouï-dire, Silvia obtient d’autant mieux de son père Orgon d’échanger son rôle avec sa suivante Lisette pour observer son prétendant qu’Orgon vient d’apprendre que Dorante a fait de même avec Arlequin. Les deux jeunes gens ne manquent pas de se s’étonner mutuellement sous leur livrée, tandis qu’Arlequin s’essaie au métier de maître (Acte I).
A Lisette, qui l’informe, naïvement émerveillée, de ses succès auprès du pseudo-maître, Orgon demande d’accuser devant Silvia le pseudo-valet (qui a pris le nom de Bourguignon) « de la prévenir contre son maître ». Lisette et Arlequin se complaisent dans leur rôle, malgré l’exaspération de leurs maîtres, notamment de Silvia à l’écoute des reproches adressés au feux Bourguignon, qui lui fart une cour pressante, narquoisement commentée par Orgon et son fils Mario. Mais Silvia obtient aussitôt sa revanche, quand Dorante lui avoue et son déguisement, et sa douleur, « puisqu'il ne m'est pas permis d'unir mon sort au tien » (Acte II).
Dorante accorde à Arlequin le droit d'épouser « la fille d’Orgon », à condition de révéler son identité, tandis que Mario joue sa partie auprès de Dorante en se faisant passer pour son rival, avec la complicité de Silvia et d'Orgon : il s'agit évidemment de pousser Dorante au mariage, malgré la différence supposée de condition entre lui et la fausse suivante. La famille réunie se donne le plaisir d’agréer aux prétentions de Lisette sur Arlequin, qui s'avouent la vérité, justeavant que Dorante ne comble Silvia par une demande en mariage : « Le mérite vaut bien la naissance » (Acte III).
À quoi tient donc l'exceptionnel succès, sur la longue durée, de cette pièce qui ne s'installe au firmament de la Comédie-Française qu'au xixe siècle ? À son brio formel (déguisements, parallélismes, inversions), à la qualité de la signature marivaudienne (naissance et surprise de l'amour malgré les préventions et les conventions), à l'euphémi-sation euphorique des enjeux, moins grinçants que dans la *Double Inconstance ou la Fausse Suivante, mais articulant mieux le psychologique et le social que dans la Surprise [...] et la Seconde Surprise de l'amour.
La nouveauté du Jeu ne tient évidemment pas au parallélisme entre maîtres et valets : la première et seconde Surprise ne manquaient pas de faire jouer cet inépuisable ressort dramatur-gique et comique. Mais Marivaux, en le combinant avec une inversion des rôles, qu'il avait expérimentée dans l'île des esclaves (1725) et la Fausse Suivante (1724), construit un mécanisme beaucoup plus complexe. Alors que chacun des maîtres découvre avec quelque désarroi les désagréments de la disconvenance, les contradictions du cœur et de la raison (sociale), les valets s'enchantent à rêver d'élévation sociale foudroyante, à prendre le jeu au pied de la lettre (la lettre des contes de fées). Aucune pièce de Marivaux, jusqu'ici, n'avait monté un système de tromperie et de faux-semblant aussi parfait, c'est-à-dire incluant aussi symétriquement et aussi complètement tous les protagonistes dans la chorégraphie du travestissement. Mais la formalisation des figures dramaturgi-ques (parallélisme des déguisements, échange des rôles, inversion des évolutions) appelle, chez un artiste aussi raffiné, de subtils décalages.
«
avant que Dorante ne comble Silvia par une
demande en mariage : « Le mérite vaut bien la .
naissance » (Acte Ill).
À quoi tient donc l'exceptionnel suc
cès, sur la longue durée, de cette pièce
qui
ne s'installe au firmament de la
Comédie-Française qu'au
x1xe siècle? À
son brio formel (déguisements, parallé
lismes, inversions), à la qualité de la
signature marivaudienne (naissance et
surprise de l'amour malgré les préven
tions
et les conventions), à l'euphémi
sation euphorique des enjeux, moins
grinçants que dans
la *Double Incons
tance ou la Fausse Suivante, mais articu
lant mieux
le psychologique et le social
que dans
la Surprise [ ...
] et la Seconde
Surprise de l'amour.
La nouveauté du Jeu ne tient évidem
ment pas au parallélisme entre maîtres
et valets : la première et seconde
Surprise ne manquaient pas de faire
jouer cet inépuisable ressort dramatur
gique et comique.
Mais Marivaux,
en
le combinant avec une inversion des
rôles, qu'il ·avait expérimentée dans
l'lie des esclaves (1725) et la Fausse Sui
vante (1724), construit un mécanisme
beaucoup plus complexe.
Alors que
chacun des maîtres découvre avec
quelque désarroi les désagréments de
la disconvenance, les contradictions
du cœur et de la raison (sociale), les
valets s'enchantent à rêver d'élévation
sociale foudroyante, à prendre le jeu au
pied de la lettre (la lettre des contes de
fées).
Aucune pièce de Marivaux, jus
qu'ici, n'avait
monté un système de
tromperie et de faux-semblant aussi
parfait, c'est-à-dire incluant aussi
symétriquement
et aussi complète
ment tous les protagonistes dans la
chorégraphie
du travestissement.
Mais
la formalisation des figures dramaturgi
ques (parallélisme des déguisements,
échange des rôles, inversion des évolu
tions) appelle, chez
un artiste aussi raf
finé, de subtils décalages.
La symétrie inversée
des couples s'infléchit, par
exemple, au
moment décisif de l'aveu:
réciproque
et joyeux chez les valets, à
valeur
purement comique et résolu
toire,
il devient, chez les maîtres, défi
sentimental de la jeune fille à son pré
tendant
et tremplin d'une relance dra
matique aussi inattendue que capitale.
Un autre écart semble témoigner de
beaucoup de tact dans le traitement
du
thème central, puisque Marivaux
s'abstient soigneusement de
tout face
à-face entre Dorante et Lisette ou entre
Silvia et Arlequin.
Mais s'agit-il vrai
ment, comme
on l'a dit, de prévenir les
susceptibilités
et pudibonderies d'un
public qu'on s'est imaginé si long
temps hostile à Marivaux ? Rien n'est
moins sûr, car l'auteur de
l'lie des escla
ves, pièce à succès, ne recule pas devant
une confrontation bien plus violente
entre Euphrosine, ex-maîtresse
en
esclavage, et Arlequin, qui la désire.
Et
ira-t-on prétendre qu'il voile pudique
ment, dans
la Fausse Suivante, les situa
tions scabreuses
du pseudo-Chevalier,
livré aux convoitises
non déguisées de
Trivelin
et d'Arlequin ? On se deman
dera donc plutôt s'il
n'a pas éliminé ces
scènes attendues, faute de les trouver
aussi amusantes que les jeux de dupes
entre faux maîtres, avec lesquels elles
feraient sans doute
un double emploi
un peu appuyé.
Moins hardi que
l'lie des esclaves et
la Fausse Suivante dans le traitement de
l'inversion des rôles sociaux (maître/
domestique, femme/homme), le
Jeu les
intègre beaucoup plus étroitement à la
naissance de l'amour que la
Surprise et
la Seconde Surprise.
C'est qu'il s'agit
moins ici, comme dans ces dernières
pièces, de préventions contre l'amour
que de méfiance à l'égard
du mariage,
un mariage qui subordonne le senti
ment aux convenances sociales et aux
intérêts des familles.
Thème convenu
de la comédie, qui
ne vaut que par sa
mise
en œuvre.
Il semble difficile de.
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