Jean PAULHAN : Le Guerrier appliqué
Publié le 24/09/2012
Extrait du document
Jean Paulhan (1884-1968) fut l'animateur de multiples revues littéraires, dont la Nouvelle Revue française (NRF) pendant près de trente ans. Il fonda les Lettres françaises et les Éditions de Minuit avec Vercors, dans la clandestinité, pendant la deuxième guerre mondiale. Avant 1914, il dirigeait une petite revue de linguistique, le Spectateur, et avait publié un essai sur les proverbes malgaches, Les Hain-Tenys mérinas (1913). Auteur d'ouvrages théoriques de critique littéraire [Les Fleurs de Tarbes (1941), Clés pour la poésie (1944)], Paulhan a aussi exercé son regard sur la peinture [Braque le patron (1946), Fautrier l'enragé (1962), L'Art informel (1962)]...
«
Le Guerrier appli qué, daté de 1915 , fait partie des pre miers textes de Jean
Paulhan.
Il aime à
souligner, non sans
humour , le s
subtili tés des paradoxes des individus et de
leur langage.
Jean Paulhan a
re groupé, dans l'édi tion de ses œuvres de 1966, ses récits sous le titre Les Instant s bien em ployés.
Le livre
Sur le naturel guerrier
A
u début de la guerre de 1914 , Jacques Maast s'enrôle,
moins par conviction que parce qu'il semble à tous qu'il
doit le faire.
Il rejoint le front avec ses nouveaux compagnons
et la vie s'organise dans les tranchées.
Maast pensait trouver
dans cette existence dangereuse la fin de son indécision .
Mais
les événements, les effets des balles et des obus sont parfois
tellement incroyables qu'
il préfère se référer à l'avis de ses
compagnons.
Eux, s'adaptant aisément à leur nouvelle
condi
tion, trouvent tout naturel que le destin forcé frappe injus
tement tel ou tel des leurs.
Ou, c'est le cas de Polio, les nou
velles qu' il reçoit de l'a rrière, de chez lui, humiliantes, sont
réfutées d'un revers de main, comme le malheur présent.
Maast s'étonne de ce courage, de cette force
qu'il ne partage
pas.
Aussi fait-il de son mieux , est-il obligé de s'appliquer
pour
" faire la guerre" .
Pourtant, c'est lui qu'on nomme caporal,
et là encore, devant
un autre caporal, Delieu, il se trouve peu à
sa place ou incompétent.
Peu avant l'attaque générale de Noël
1914,
il prend finalement de l'ascendant sur Delieu, et cette
victoire personnelle situe Maast dans de bonnes dispositions
guerrières.
Il est grièvement blessé lors de l'attaque, mais
il
éprouve à son réveil une délivrante sensation d'abandon.
Une délicatesse naturelle
M aast s'étonne que ses compagnons puissent trancher ins
tinctivement les questions qu'apporte un quotidien,
somme toute, en temps de guerre , extraordinaire.
Les hommes,
dans leur inconscience, sont au yeux de Maast grandis ou
annihilés par les circonstances, comme s'ils étaient totalement
un miroir du monde , alors que lui· ne refléterait que des
facettes successives.
Donc, ces hommes sont bien la cause de
multiples morts mais ne s'accordent aucune responsabilité, pas
plus qu'il n'y a de responsables à leurs souffrances.
Maast sent
qu'il se manquerait à lui-même s'il pensait comme eux.
Les
événements conduisent à renoncer à ce scrupule, mais, bon
guerrier,
il va à sa propre perte.
Lui n'était peut-être pas fait
pour
la guerre, mais la guerre choisit-elle qui elle implique?.
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