Inquisitoire (L') de Robert Pinget (analyse détaillée)
Publié le 21/10/2018
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Inquisitoire (L') Roman de Robert Pinget (Suisse, 1919-1997), publié à Paris aux Éditions de Minuit en 1962.
Après Mahu ou le Matériau (1952) et le Renard et la Boussole (1953), Robert Pinget rejoint le groupe des futurs « nouveaux romanciers ». S'il n'a jamais renié cette appartenance, il s'est toujours défendu d’être un partisan de l'« école du regard ». À preuve, l'Inquisitoire, qui désigne l’interpellation comme fondement du discours. Pour Pinget, il ne s’agit pas tant d'écrire que d'écouter : restituer « un ton entre les milliards qu'a enregistrés l’oreille, voilà mon lot ». Tout l’inquisitoire est la réponse à une question dont Pinget précisera la nature au colloque de
Cerisy-la-Salle, au cours de l'été 1971 consacré au Nouveau Roman : « Lorsque j'ai décidé d'écrire l'inquisitoire, je n'avais rien à dire, je ne ressentais qu'un besoin de m'expliquer très longuement. Je me suis mis au travail et j'ai écrit la phrase \"Oui ou non répondez\" qui s'adressait à moi seul et signifiait \"Accouchez\". Et c'est la réponse à cette question abrupte qui a déclenché le ton et toute la suite. »
Un enquêteur anonyme interroge un vieux domestique sourd : le prétexte en est la disparition du secrétaire de ces « messieurs », propriétaires du « château ». La victime de cet interrogatoire étart l'homme à tout faire de deux hommes riches qui semblent s'être rendus coupables de divers méfaits. S'il n'a pu. à cause de sa surdité, saisir qu'une partie des événements qui se sont déroulés sous ses yeux, il est néanmoins chargé de décrire chaque détail des lieux du « crime » (l’escalier qui descend les étages, le parc la ville de Sirancy. le mobilier, la grande salle à manger, l'accès au château). L'« inquisiteur » le somme également de décrire les lieux voisins : Hartberg et Hottencourt. la « ferme des moutons », Saint-Porvan. Interrogé sur les proches de ses patrons (les invités réguliers, les amis « qui ne viennent pas avec leurs épouses chez vos patrons », les amis acteurs, le médecin de famille), le vieillard l’est aussi sur ses rapports avec Marthe, la cuisinière, et sur les événements qui ont ponctué l'existence tumultueuse de ses patrons. Les questions d’ordre privé sur l’emploi du temps du vieux valet, sur son ancien service chez les Emmerand, et sur la mort de son fils, laissent peu à peu place à des considérations d’ordre pratique sur les conditions futures de sa détention ; « Désirez-vous d'autre linge, plus de vêtements, de l'argent de poche ? » L’interrogatoire se referme sur un aveu de faiblesse : «Je suis fatigué. »
L'Inquisitoire est centré autour d'un personnage absent : le secrétaire chargé de transcrire, et qui a disparu. L'interrogatoire se déroule sans ordre apparent et sans but clairement avoué. Les indices concernant les « faits » ne sont révélés que par ce vieil homme dont les paroles restent souvent contradictoires et incohérentes. La plupart des renseignements dont il dispose lui viennent d'une femme intoxiquée par la lecture assidue des faits-divers. Ce qui pourrait être une intrigue devient sujet à caution : et si cette histoire n'était qu'un fantasme du témoin ? Sans aucun souci de dramatisation, les questions se succèdent, les réponses s'accumulent, d'inégale longueur, au rythme des « Poursuivez ! » ou des « Abrégez ! ». Le suspense est assuré par de menaçants « Prenez garde à ce que vous allez dire » qui donnent une importance accrue à la réponse qui suivra. L'enjeu de l'interrogatoire semble alors effrayant, car chaque réponse est perçue comme une question de vie ou de mort. Faute d'intrigue, le ton péremptoire ou sarcastique du « questionneur » se charge d'orienter le récit, d'en assurer le rythme et la théâtralité. Mais le lecteur est laissé dans l'ignorance concernant l'objet réel du procès-verbal ; on ignore qui est accusé (le vieil homme sourd ?
«
Porvan.
Interrogé sur les proches de ses patrons (les invités réguliers, les amis « qui ne viennent pas avec leurs épouses chez vos patrons», les amis acteurs, le médecin de famille), le vieillard
l'est aussi sur ses rapports avec Marthe, la cuisi nière, et sur les événements qui ont ponctué
l'existence tumultueuse de ses patrons.
Les ques tions d'ordre privé sur l'emploi du temps du
vieux valet, sur son ancien service chez les Emmerand, et sur la mort de son fils, laissent peu à peu place à des considérations d'ordre pratique
sur les conditions futures de sa détention : « Désirez-vous d'autre linge, plus de vêtements,
de l'argent de poche? » L'interrogatoire se referme sur un aveu de faiblesse : «je suis fati
gué.»
L'Inquisitoire est centré autour d'un
personnage absent : le secrétaire chargé
de transcrire, et qui a disparu.
L'inter
rogatoire se déroule sans ordre appa
rent et sans but clairement avoué.
Les
indices concernant les « faits » ne sont
révélés que par ce vieil homme
dont les
paroles restent souvent contradictoires
et incohérentes.
La plupart des rensei
gnements dont il dispose lui viennent
d'une femme intoxiquée par la lecture
assidue des faits-divers.
Ce qui pourrait
être
une intrigue devient sujet à cau
tion : et si cette histoire n'était qu'un
fantasme du témoin ? Sans aucun souci
de dramatisation, les questions
se suc
cèdent, les réponses s'accumulent,
d'inégale longueur, au rythme des
«Poursuivez!» ou des« Abrégez!», Le
suspense est assuré par de menaçants
« Prenez garde à ce que vous allez dire »
qui donnent une importance accrue à
la réponse qui suivra.
L'enjeu de
l'interrogatoire semble alors effrayant,
car chaque réponse est perçue comme
une question de vie ou de mort.
Faute
d'intrigue, le
ton péremptoire ou sar
castique du « questionneur » se charge
d'orienter le récit,
d'en assurer le
rythme
et la théâtralité.
Mais le lecteur
est laissé dans l'ignorance concernant
l'objet réel du procès-verbal;
on ignore
qui est accusé (le vieil homme sourd
?
les patrons ?) ; on ne sait pas davantage
s'il s'agit
d'un trafic de drogue, de faus
ses œuvres d'art, d'une fraude fiscale,
d'une accusation de magie noire
ou
d'une sordide affaire de mœurs.
On
apprend incidemment que tous les per
sonnages familiers des patrons ont, un
jour ou l'autre, été mêlés à des affaires
peut-être criminelles.
La trame du récit
est constituée du dévoilement
progres
sif, et cependant toujours fragmen
taire, de ces diverses affaires.
Certes,
l'« interrogé » nous apprend que le
bureau des patrons supportait
urie
lampe semblable à celle utilisée pour
hâter les aveux au cours d'un interro
gatoire ; certes, la plupart des person
nages ont manipulé, et préalablement
fait circuler, toutes sortes de tableaux
et de photos pornographiques ; certes,
les antiquaires qui venaient au
châ
teau, les hommes d'affaires véreux, ont
dû trafiquer avec les deux maîtres ; cer
tes, ces derniers ont été en relation
étroite avec
un satyre meurtrier et avec
des maniaques du spiritisme.
Pourtant
nous ne saurons jamais à quel point
ces différents acteurs ont été complices
du mystérieux délit.
Mais, du docteur
Bompain au docteur Georget, de l'abbé
Quinche au curé Trochard,
nul n'est
épargné par le soupçon généralisé, et
c'est une faune inquiétante que nous
entrevoyons par les propos du sourd.
Autour du château des deux maîtres,
les bois s'étendent de tous côtés : ils
correspondent, en surface, aux souter
rains mystérieux qui relient toutes les
demeures des suspects.
À l'image de ce
labyrinthe infini, la diversité des pistes
policières, la multitude des indices
sont autant de directions qui semblent
détourner de l'enjeu central
du livre.
Car la parole du vieux domestique est
frivole, c'est
une parole vide et vaine,
qui est -lui-même est le premier à
l'admettre -de l'ordre du
«n'importe
quoi».
Non seulement sa parole n'a
aucun rapport avec la réalité, mais.
»
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