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ÎLE DES ESCLAVES (L') de Marivaux (analyse détaillée)

Publié le 24/10/2018

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marivaux
ÎLE DES ESCLAVES (L'). Comédie en un acte et en prose de Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux (16881763), créée à Paris par les comédiens-italiens le 5 mars 1725, et publiée à Paris chez Pissot la même année.
L'île des esclaves n'est pas la première incursion de Marivaux dans le genre utopique, en croissance régulière depuis Thomas More, et en passe d'exploser au xviiie siècle. Les Effets surprenants de la sympathie (1712-1713), son roman de jeunesse, conte l'histoire d'Emander, naufragé dans une île qu'il civilise. Il n'est pas non plus le premier à porter sur la scène italienne la revendication philosophique et sociale : Arlequin sauvage (1721) et Timon le Misanthrope (1722), de Delisle de La Drevetière, comptent parmi les grands succès du Théâtre-Italien, en compagnie de l'île des esclaves. Elle n'entra pourtant au répertoire de la Comédie-Française qu'en 1939.
Iphicrate et son valet Arlequin ont fait naufrage dans une île fondée il y a cent ans par des esclaves révoltés. Comme Iphicrate lui explique que la coutume dans cette île est de tuer les martres ou de les rendre esclaves. Arlequin refuse désormais de lui obéir. Trivelin désarme Iphicrate, qui menaçait son esclave de son épée, et ordonne l'échange, pour trois ans au moins, des noms et des rôles ; car on ne tue plus les maîtres, on veut les guérir. Trivelin demande à la servante Cléan-this de tracer le portrait de sa maîtresse Euphrosine - elles aussi naufragées du même vaisseau -et il promet d'abréger l'épreuve thérapeutique si Euphrosine reconnaît la vérité de ce portrait ; il soumet Iphicrate au même traitement Nouveaux maîtres, Cléanthis et Arlequin singent une scène de séduction mondaine. Arlequin entreprend la conquête d’Euphrosine, qui le désarme par sa souffrance, et il rend ses habits à un Iphicrate en larmes, avant de pousser Cléanthis au même pardon. Sans cette pitié attendrie, déclare Trivelin, « nous aurions puni vos vengeances, comme nous avons puni leurs duretés ».
 
Tempête, naufrage, île, constitution politique régie par la raison en vue de remédier aux tares des sociétés réelles, intercesseur entre indigènes et visiteurs : on reconnaît sans peine les signes du genre utopique de l'ère classique, qui appelle ici, au Théâtre-Italien, un agréable dosage d'éléments antiques (esclaves et noms propres), de traits satiriques contemporains (la coquette, le petit-maître, le traitement des domestiques), et du code comique italien (Arlequin plutôt que Trivelin). Mais il est très clair que la pièce ne se propose pas, à l’instar du récit utopique, la description émerveillée, et généralement bavarde, d'un monde idéal : Marivaux n'est pas homme à se laisser fasciner par la toute-puissance de la raison législatrice. Sa pente philosophique, en accord avec les nécessités dramaturgiques, transforme les voyageurs, de voyeurs d'un monde régénéré, en acteurs de leur propre transformation. En passant du récit au théâtre, le site utopique devient nécessairement le siège d'une expérience qui vise le visiteur (et donc le spectateur, naufragé volontaire) : le travail du voyageur n'est pas de regarder, mais de voir, non pas de se porter en rêvant vers un ailleurs idéal, mais de descendre en soi-même pour réconcilier « Athènes », notre cité divisée. C'est pourquoi peut-être l’action se déroule entre la mer et quelques maisons, au bord de la cité utopique, au bord de l'eau purificatrice. Sur cette plage entre deux mondes, qu'on appelle une scène, seule cité où nos rêves s'incarnent.

marivaux

« italien (Arlequin plutôt que Trivelin).

Mais il est très clair que la pièce ne se propose pas, à l'instar du récit utopi­ que, la description émerveillée, et généralement bavarde, d'un monde idéal: Marivaux n'est pas homme à se laisser fasciner par la tou te-puissa nce de la raison législatrice .

Sa pente philo­ sophique, en accord avec les nécessités dramaturgiques , transf orme les voya­ geurs, de voyeurs d 'un monde régé­ néré, en acteurs de leur propre trans­ formation .

En pa ssant du récit au théâtre, le site utopique devient néces­ sairement le siège d'une expérience qui vise le visiteur (et donc le spectateur, naufragé vo l ontaire) : le travail du voyageur n'est pas de regarder, mais de voir, non pas de se porter en rêvant vers un ailleurs idéal, mais de descen­ dre en soi-même pour réconcilier «Athènes,., notre cité divisée.

C'est pourquoi peut-êtr e l'action se déroule entre la mer et quelques maisons, au bord de la cité utopiq u e, au bord de l 'ea u purificatrice.

Sur cette plage entre deux mondes , qu'on appelle une scène, seule cité où nos rêves s'incar­ nent.

Le salut ne vient pas d'une réorgani­ sation iratlonnelle de l'espace et du temps social, mais de la libre expre~­ sion des cœurs, brusquem e nt sensibles, grâce à l'inversion des positions, à ~ pitié et au pardon chez l es serviteurs, à un remords un peu plus embarrassé chez les maîtres.

L'expérience inatten­ due de la servitude et de la maîtrise, en réveillant la sensibilité engourdie par l'habitude et les préjugés d'état (la fameuse "morale de cond ition ,.

du *Neveu de Rameau) permet à l'homme de parler à l'homme en dépit de l'iné­ vitable inégalité.

ll est donc vain de chercher ici un programme de réfo r­ mes, ou de s'étonner de sa timidité, quand on ne suppute pas d'insonda­ bles audaces.

L'expérience de l'humi­ liation, aussi douloure u se soit-e lle, ouvre le cœur des maître .s et leur per­ met un ret our sur soi devant le miroir qu'on le ur tend, tandis que les esclaves doiven t apprendre à ne pas s'endurcir dans leur vengeance.

Que cette guérison passe par l'échange de.s rôles n'es t pas un hasard : 11le des esclaves parle moins des devoirs de l'utopie que des pou­ voirs du théâtre.

Qu'est-ce qui s'agence dans l'île thérapeutique ? Pour les maî­ tres, une épreuve ; pour les serviteurs, une surprise (celle de la pitié) .

Pour tous (spectateur s compris), l'occasion de jouer avec les masques qui nous cachent le visage et figent le.s élans surprenants de la sympa thie.

Aussi fur­ tifs et fictifs soient-il s.. »

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