HUGO: Le Dernier Jour d'un condamné (Fiche de lecture)
Publié le 18/11/2010
Extrait du document
«Spectacle tout aussi beau et plus commode. Rien ne vous distrait ; c'est une liqueur concentrée, bien plus savoureuse.« À côté des antiphrases, le calembour cynique a aussi sa place : «Chapeaux bas ! Chapeaux bas ! criaient mille bouches ensemble — comme pour le roi. Alors j'ai ri horriblement aussi, moi, et j'ai dit au prêtre : Eux les chapeaux, moi la tête.«
«
Publié un mois après Les Orientales, Le Dernier Jour d'un condamné est le récit de l' attente de son exécution par un condamné à mort.
Ce «procès-verbal de la pensée agonisante» prend la forme d'une nouvelle de cent pages, quiest le premier plaidoyer littéraire contre la peine de mort.
1.
UN TÉMOIGNAGE
«UNE ESPÈCE D'AUTOPSIE INTELLECTUELLE»
La conception de l'oeuvre comme un roman d'analyse, d'introspection, écarte tout élément d'intrigue ou d'anecdote.En effet :
«Ce n'est pas la défense spéciale, et toujours facile, et toujours transitoire, de tel ou tel criminel choisi, de tel outel accusé d'élection ; c'est la plaidoirie générale et permanente pour tous les accusés présents et à venir.»
(Préface de 1832)
La forme choisie est le journal intime tenu par un homme dont on ne connaît ni le nom, ni l'histoire, ni le crime ; ilretrace les étapes de l'évolution mentale d'un condamné qui vit ses dernières semaines, menée en quarante-neufchapitres ou fragments de longueur inégale.
La forme est aussi originale que la conception de ce roman, qui asurpris, voire choqué les contemporains ; ainsi, pour Charles Nodier :
«C'est un être abstrait qui se creuse et s'examine en tous sens.»
Hugo, dans une lettre à son éditeur, fait référence au Voyage sentimental de l'Anglais Sterne, et au Voyage autour de ma chambre de Xavier de Maistre.
Mais ce récit a plutôt, pour le lecteur moderne, le ton du livre de Dostoïevski, Souvenirs de la maison des morts.
Au début du roman, le condamné s'interroge sur son besoin d'écrire: «Mais quoi écrire ?» Et pourtant la matière estriche, «une tempête, une lutte, une tragédie» ; le récit sera bâti sur «une idée de crime et de châtiment, demeurtre et de mort».
LA MACHINE JUDICIAIRE
Ce récit est un témoignage, tout est vrai.
Les lieux sont réels (le cachot de Bicêtre, la Conciergerie, l'itinéraire quimène à la place de Grève, l'Hôtel de Ville) ; Victor Hugo les a visités ; il a notamment assisté, à la prison de Bicêtre,au ferrement des forçats partant pour le bagne de Toulon, scène que l'on retrouve dans Les Misérables.
Le récit se déroule en six semaines, le temps qu'il fallait à la justice pour exécuter le verdict.
Le compte précis enest fait au chapitre VIII, en une succession de phrases nominales qui additionnent les jours.
Le lecteur découvre lesaspects administratifs, les formalités, les paroles convenues, tout un cérémonial scrupuleux qui aboutit à laconfession et à la toilette du condamné.
Ce récit d'introspection, d'une grande vraisemblance psychologique dans l'analyse de l'obsession du condamné,s'ouvre aussi sur l'observation des autres ; car c'est une véritable galerie de portraits que présente Victor Hugo :tout l'appareil judiciaire, les jurés aux figures de «bons bourgeois», les juges satisfaits «probablement de la joied'avoir bientôt fini», l'avocat souriant, «toute cette fantasmagorie des juges, des témoins, des avocats, desprocureurs du roi, passait et repassait devant moi, tantôt grotesque, tantôt sanglante, toujours sombre et fatale».
L' accusé assiste en «étranger» à sa condamnation, attentif aux choses de la vie, au soleil de ce mois d'août, auxrires des marchandes de fleurs, ce qui n'est pas sans évoquer le roman bref et dense qu'écrira quelque cent vingtannées plus tard Albert Camus (L'Étranger).
Dans son cachot, sa solitude est peuplée de visions, de spectres :
«Et puis il m'a paru que le cachot était plein d'hommes, d'hommes étranges qui portaient leur tête dans leur maingauche, et ils la portaient par la bouche, parce qu'il n'y avait pas de chevelure.»
Le condamné est aussi en contact avec ceux qui sont passés dans son cachot, et ont laissé leur trace, sous formede dessins, initiales, graffitis sur les murs de la «boîte de pierre».
Victor Hugo est fasciné par ces fragments depensées, «ces inscriptions mutilées», «ces phrases démembrées», «ces corps sans tête comme ceux qui les ontécrits».
L'esprit du condamné est hanté par les visages qui l'accompagneront tout au long de son supplice, la foule haineuseet curieuse que fustige Victor Hugo, «l'horrible foule buveuse de sang», «l'horrible peuple qui aboie», «l'horriblepeuple avec ses cris d'hyène».
L'ARGOT DES PRISONS
Hugo s'intéresse à l'univers des détenus, peuple à part, parlant l'argot «cette langue entée' sur la langue généralecomme une espèce d'excroissance hideuse, comme une verrue».
Il nous livre quelques éléments de ce lexique etl'une de ses productions linguistiques avec la complainte d'un brigand :.
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