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HOMME NEURONAL (l'), 1983. Jean-Pierre Changeux

Publié le 24/09/2018

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HOMME NEURONAL (l'), 1983.

Jean-Pierre Changeux, né en 1936.

 

Cet ouvrage a été écrit pour tenter d’établir que «l’homme pense avec son cerveau» ; affirmation qui peut faire l’objet d’un accord assez large, tant qu’on ne lui donne pas un sens plus précis. Pour Changeux, il s’agit de

 

montrer qu’il n’y a rien d’autre dans le

 

psychisme humain que l’activité matérielle des neurones du cerveau. «Tout comportement s’explique par la mobilisation interne d’un ensemble topologiquement défini de cellules nerveuses.» La thèse est philosophique, dans la mesure où elle implique une évacuation de l’«esprit»: 

« Jean -Pierre CHANGEUXLe cerveau et la complexitéLe neurobiologiste tente de retrouver les fonctions psychiques associées à chacun des niveaux d'organisation du cerveau, sans pourautant l'isoler de son environnement et de son histoire.Sciences Humaines : Le cerveau humain est souvent considéré comme la structure la plus complexe de l'univers.

Comment unneurobiologiste, spécialiste du cerveau, peut-il affronter cette complexité ?Jean -Pierre Changeux : Il faut d'abord se départir d'un usage de la notion de complexité qui servirait à couvrir notre ignorance.

Il nefaut pas utiliser ce terme pour justifier le fait qu'on ne saurait rien, que la complexité échappe à l'entendement parce qu'il y a trop defacteurs en jeu.Cela dit, le cerveau est effectivement une structure d'une extrême complexité.

Quelques données suffisent à le montrer.

Le nombre totalde cellules nerveuses dans l'encéphale est de l'ordre de 100 milliards - chiffre considérable pour un organe de 1,3 ou 1,4 kg.

Cesneurones se répartissent en quelques centaines de catégories.

Chaque neurone établit environ 10 000 contacts avec d'autres cellulesnerveuses.Si l'on s'intéresse maintenant au fonctionnement des neurones, on constate que chacun peut synthétiser et libérer plusieursneuromédiateurs ; de plus, l'éventail de neuromédiateurs libérés est susceptible de varier.Si l'on s'en tient aux seuls critères que sont le nombre de cellules, leur nombre de connexions, la diversité des neuromédiateurs lacombinatoire qui en résulte donne au cerveau de l'homme une organisation unique par sa complexité par rapport à tous les autres êtresvivants.SH : A-t -on une idée de la façon dont cet immense réseau de neurones s'organise et fonctionne ?J -P C : Abordons d'abord la question de l'architecture d'ensemble.

Il existe tout d'abord une architecture de fonctionnement « enparallèle » ; c'est -à-dire que l'information est traitée de manière simultanée par des aires multiples.

C'est le cas, par exemple, desnombreuses cartes engagées dans la perception visuelle qui traitent, en même temps, des informations sur les couleurs, les formes oules reliefs, des objets observés.

Mais il existe également une organisation hiérarchique.

C'est une idée importante : je défends unethèse, déjà ancienne, selon laquelle l'encéphale est structuré en niveaux d'organisation, qui sont autant de niveaux de complexité.

Cesniveaux d'organisation vont de la molécule à la cellule, de la cellule aux circuits élémentaires de neurones, puis des réseaux de circuitsà des organisations de plus en plus globales ; en quelque sorte, des réseaux de réseaux !À chaque niveau d'organisation correspondent des fonctions définies.

Une des fonctions associées à la cellule est la propagation d'influxnerveux ou la libération de neuromédiateurs, c'est donc une fonction de communication élémentaire.

Au niveau des circuits deneurones, on peut faire correspondre des comportements plus élaborés mais encore très simples, comme l'arc réflexe ou desprogrammes d'actions fixes.

Si l'on remonte maintenant vers des architectures plus complexes, se forment des « assemblées deneurones » de plus en plus complexes.

Dans le cerveau humain vont être codés les concepts, les représentations symboliques.

Certainsterritoires de notre encéphale sont plus spécialisés dans tel ou tel type de représentations.

Enfin, il existe un niveau supérieur, que l'onpeut qualifier de niveau de la raison, où s'élaborent l'organisation des conduites, la planification des comportements, les intentions.

Il ya donc plusieurs niveaux d'organisation qui engagent des ensembles de territoires distincts mais en interaction.

Les aires impliquéesdans la pensée rationnelle incluent de manière privilégiée les aires frontales et préfrontales qui sont très développées chez les primateset notamment chez l'homme.

Cette manière de voir permet de dégager une architecture d'ensemble, à la fois en parallèle et en niveauxd'organisation hiérarchique, avec une intrication profonde et une grande diversité fonctionnelle.000200000C2E00000FD4C28,La méthode que je suggère consiste donc à remonter du simple au complexe.

L'objectif est de mettre enrelation chaque niveau d'organisation cérébrale avec un ensemble de fonctions définies, sachant que des régulations entre niveauxs'établissent du bas vers le haut comme du haut vers le bas.

Cette mise en corrélation entre un réseau défini de neurones, un ensembled'activités élémentaires et un comportement a pu être réalisée par le neurobiologiste suédois Sten Grillner à propos de la nage chez lalamproie, poisson très archaïque.Les comportements complexes ne peuvent apparaître qu'à partir de réseaux organisés.

Vous ne pouvez rendre compte d'une conduiteélaborée à partir d'une seule cellule ou d'un petit réseau de neurones.

Ce sont des propriétés émergentes qui n'apparaissent qu'à unniveau d'organisation donné.SH : En remontant comme cela vers des niveaux de plus en plus complexes, la méthode scientifique traditionnelle qui consiste à isolerdes fonctions est-elle encore opérante ? Dispose -t -on d'outils pour appréhender cette complexité croissante ?J -P C : Il y a plusieurs modes d'exploration des relations entre organisation neuronale et fonctions.

Le premier est celui de laneuropsychologie, discipline médicale qui tente notamment de décrire les conséquences de lésions cérébrales définies sur le psychismeet les conduites humaines.

La neuropsychologie est née au siècle dernier avec Paul Broca qui, le premier, a mis au jour l'existenced'aires spécialisées qui interviennent dans le langage.

Cette méthode a été également utilisée plus récemment par François Lhermitte oupar Tim Shallice et leurs collègues.

Ils ont montré, par exemple, que certaines lésions du cortex frontal n'altèrent ni le langage ni lamémoire, mais affectent les capacités d'organisation des conduites.

Ainsi, une personne atteinte de tels troubles ne parviendra pas, à lacafétéria, à organiser ses plats sur le plateau alors qu'elle reconnaît parfaitement chacun de ses plats.Dans mon livre Raison et Plaisir, je cite les observations du neurologue russe Alexandre Luria qui relate le cas d'un patient atteint d'unelésion du lobe frontal.

Celui -ci a du mal à analyser le sens du tableau alors qu'il en connaît tous les éléments.

Placé devant un tableaudu baron Klodt, Le Dernier Printemps, qui représente une jeune fille mourante assise dans un fauteuil, et que ses parents regardenttristement, le sujet fixe son attention sur la robe blanche de la jeune fille et en vient à confondre la mourante avec une jeune mariéeEncore un cas qui démontre qu'il existe une zone particulière du cortex responsable de la coordination des informations.La seconde méthode d'étude consiste à utiliser les techniques d'imagerie cérébrale comme la caméra à positons.

Ces méthodespermettent d'établir des cartes fonctionnelles du système nerveux central et d'établir des liens entre territoires cérébraux et fonctions(vision, audition, réflexion, mémoire).

Cette méthode d'imagerie, avec d'autres comme la résonance magnétique nucléaire etl'électroencéphalographie, peut apporter beaucoup dans les années à venir.000200000C6200001BFCC5C,SH : Mais ce ne sont là que des techniques qui enregistrent des liaisons entre une aire cérébrale et unefonction.

A-t -on vraiment expliqué un mécanisme quand on a trouvé les bases organiques d'une fonction ?J -P C: Pour progresser dans la compréhension des fonctions cérébrales, il me paraît indispensable de construire des modèles formels.Un modèle est une architecture logique, décrite sous la forme d'un programme d'ordinateur et qui fait appel à des « neuronesformels ».

Pour rendre compte d'une fonction définie à un niveau d'organisation particulier, le modèle doit s'il est adéquat « simuler »une fonction.

C'est ainsi qu'avec Stanislas Dehaene nous avons pu construire un modèle qui réussit à passer le test de Wisconsin.

Cetest consiste à demander à une personne de comprendre la règle de réponse à une présentation de cartes à jouer en fonction del'attitude positive ou négative de l'examinateur.

Certains patients atteints de lésions frontales échouent à ce test.

Le modèle et lasimulation informatique permettent de saisir les opérations mobilisées dans le passage de ce test.

C'est l'organisation de ces opérationslogiques qui serait perturbée chez le patient.

Voilà un exemple simple de tentative de simulation des fonctions mentales supérieures quipeut être utile à la fois dans la mise en correspondance structure-fonction et sur le plan médical.. »

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