Histoire de France. Ouvrage de Jules Michelet (analyse détaillée)
Publié le 22/10/2018
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Histoire de France. Ouvrage de Jules Michelet (1798-1874), publié chez Hachette (tomes I à VI), Chamerot (VII à XV) et Chamerot et Lauwe-reyns (XVI et XVII) entre 1833 et 1867. Les dix-sept tomes, interrompus par la rédaction de l'Histoire de la Révolution française (1847-1853), se répartissent en deux groupes : des origines jusqu'à la fin du règne de Louis XI (t. I et II [1833] : des Celtes à 1270, avec, inaugurant le t. II, le « Tableau de la France » ; t. III [1835] : de 1270 à 1380; t. IV 11841] : de 1380 à 1422; t.V [1841] : de 1422 à 1461 ; t. VI [1844] : « Louis XI et Charles le Téméraire »), et de la Renaissance au règne de LouisXVI (t. VII [1855] : «Histoire de la Renaissance », avec une nouvelle Préface proposant une interprétation dévalorisante du Moyen Âge; t. VIII [1855] : «Histoire de la Réforme » ; t. IX [1856] : « Guerres de Religion » ; t. X [1856] : « la Ligue et Henri IV » ; t. XI [1857] : « Henri IV et Richelieu » ; t. XII [1858] : « Richelieu et la Fronde»; t. XIII [1860] : « Louis XIV et la Révocation de l'édit de Nantes ; t. XIV [1862] : « Louis XIV et le duc de Bourgogne » ; t. XV [1863] : « la Régence » ; t. XVI [1866] : «Louis XV. 1724-1757»; t. XVII [1867] : « Louis XV et Louis XVI »). En 1869, Michelet envoie à l'éditeur Hachette une nouvelle Préface pour la réédition de l'ensemble. Tout comme le « Tableau de la France » du tome II, les chapitres 3 et 4 du tome V (restructuré en 6 chapitres) feront l'objet d'une publication séparée en 1853 sous le titre de Jeanne d'Arc.
Après une série de manuels (18251828), une Introduction à l'histoire universelle et une Histoire romaine (1831), Michelet, nommé chef de la section historique des Archives et qui enseignera à la Sorbonne à partir de 1834, puis au Collège de France à partir de 1838, entreprend une Histoire de France, appelée à devenir son chef-d'œuvre. Initialement conçu dans l'enthousiasme du « brillant matin » de Juillet et de la vision intuitive et globale de la France que ces événements lui inspirent, le projet, véritable culte du grand peuple des morts, se modifie en 1841. Alors que Michelet prépare son volume sur le xve siècle, il visite la cathédrale de Reims, et voit dans un petit clocher « une guirlande de suppliciés » qui le décide à vouloir établir en lui « l'âme et la foi du peuple ». En 1846, après sa participation à la polémique anticléricale (Des jésuites, 1843 ; Du prêtre, de la femme, de la famille, 1845), il publie le Peuple où se trouve la célèbre formule : « L'Histoire, Thierry l'appelle narration et Guizot analyse : je l'ai nommée résurrection. » Puis c'est l’Histoire de la Révolution française pour se faire l'interprète de « l'esprit de la Révolution », en lequel « la France eut conscience d'elle-même » (Préface de 1847). Quand il reprend son Histoire de France, Michelet, qui a perdu sa chaire au Collège de France en 1852, tout en publiant coup sur coup sa tétralogie naturaliste, l’Oiseau (1856), la Mer (1861), la Sorcière (1862) et la Bible de l'humanité (1864), écrit l'« Histoire de la Renaissance » « avec des forces centuplées ». Révisant son Moyen Âge, « cette mer superbe de sottises », il entend faire apparaître les « dieux crevés » et les « rois pourris ». Autopsie d'un « gouvernement de cadavres » (Préface du tome XII),
«
que met au point une véritable contre
Histoire, la célébration de la marche
vers la Révolution.
Si elle procède à la fois d'une vision intégrale
du génie français qui se déploie dans le« Tableau
de la France», et de la conversion de 1841, nuit
de Pascal à rebours, l'histoire de France est
d'abord traitée jusqu'à 987 par tableaux succes sifs (Gaule indépendante et romaine, mérovin gienne et carolingienne).
L'événement reprend ses droits avec l'avènement des Capétiens.
Dans son récit, Michelet, qui a puisé dans les galeries des Archives son abondante documentation,
brosse d'immenses fresques.
Le Moyen Âge
forme
un tout, et la division en livres et en chapi tres obéit plus à l'inspiration et au souci de
composition littéraire qu'à la logique événemen tielle.
Toujours présent, affichant son jugement, ses émotions et ses partis pris, Michelet privilégie
autant les grands moments populaires (croisades,
mouvement communal) que les portraits des rois, l'accroissement de leur domaine et leurs vic toires.
Ces siècles de formation du génie français se déclinent en un poème épique, chargé de
traits, d'anecdotes, de récits, de peintures drama
tiques, de réflexions.
Art du détail, du portrait,
souci de l'atmosphère, de l'animation des pièces
d'archives (ainsi le procès des Templiers ou celui
de jeanne) : l'imagination poétique tend naturel lement, comme celle d'un Hugo, vers le gran diose et le symbolique.
Les leçons sur les jésuites opèrent chez le médiéviste le retournement de sa passion.
Le Moyen Âge pluriel et organique, fondé sur le christianisme originaire, laisse place au Moyen
Âge monolithique et despotique.
Au terme d'un
processus intellectuel, et après l'examen de la Révolution, Michelet revient à son Histoire.
Le récit de la Renaissance renvoie le « barbare
Moyen Âge » à l'obscurantisme, et les volumes suivants mettent à nu le cancer monarchique qui
mine la France depuis les guerres de Religion,
dont l'évocation enflammée de la Saint-Barthé lemy restitue l'horreur.
Ainsi « Louis XIV enterre un monde.
Comme son palais de Versailles, il regarde au couchant ».
Malgré les plaisirs sordi des de Louis XV, le «grand siècle>>, c'est-à-dire le XVIIIe, annonce cependant la Révolution, et tel portrait retrouve des accents enthousiastes et passionnés.
Ainsi celui de Diderot, « la Révolu tion même, son âme, son génie ».
Michelet frag mente les volumes selon les règnes, accordant toute
son importance
à ce que l'on appelle faus sement la « petite histoire », si révélatrice de
l'esprit du temps.
« Ce livre est un récit et un système.
Ce
n'est pas moins qu'une formule de
la France, considérée,
d'une part, dans
sa diversité de races
et de provinces,
dans son extension géographique, et,
d'autre part, dans
son développement
chronologique, dans
l'unité croissante
du drame national» (Préface de 1833);
ce programme se résume dans la
fameuse formule de 1869 :
''Tel le
nid, tel l'oiseau.
Telle
la.
patrie, tel
l'homme.
» Le « Tableau » du tome II
se donne comme une « vive silhouette
géographique
», mêlant souvenirs de
voyage et documentation.
L'organisa
tion d'ensemble vise à faire surgir des
correspondances symboliques entre les
provinces, composant
une patrie, que
Michelet « le premier [ ...
] vi[t] comme
une âme et une personne».
Si Michelet se situe au confluent des
Lumières (conception de
l'homme et du progrès de la sociabilité, principe de
la volonté générale sur quoi reposent
nation et institutions) et des philoso
phies de Vico et de Herder (importance
capitale des mentalités et de leurs
transcriptions mythiques),
il fait de
l'Histoire la
scienza nuova (il traduit et
commente Vico en 1827 et 1835) où
s'intègrent tous les savoirs, forme
ultime de la philosophie
de la connais
sance de l'homme social.
Encyclopédi
que, elle
doit aussi rendre compte de la
vie, son matériau :
« Ces papiers, dit-il
des archives,
n'étaient pas des papiers,
mais des vies d'hommes, de provinces,
de peuples, tous vivaient
et parlaiertt.
»
Restitution et compréhension de l'har
monie du vivant, elle accomplit un
devoir de justice : «Tous ils sont [les]
justiciables [de l'Histoire], les hommes
et les idées, les rois, les lois, les peuples,
les dogmes
et les philosophies.
» Loin
d'une froide objectivité, elle opère.
»
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