Histoire comique des États et Empires du Soleil. Roman de Savinien de Cyrano de Bergerac (analyse détaillée)
Publié le 22/10/2018
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Histoire comique des États et Empires du Soleil. Roman de Savinien de Cyrano de Bergerac (16191655), publié dans les Nouvelles Œuvres de l'auteur à Paris chez Sercy en 1662.
Second volet de l'étrange roman philosophique de Cyrano de Bergerac (Histoire comique contenant les États et Empires de la Lune), les États et Empires du Soleil ne sont connus que par l'édition posthume des Nouvelles Œuvres parues en 1662 ; contrairement à la première partie, nous ne disposons plus du manuscrit, et il ne reste que le texte en l'état connu par les contemporains.
Revenu en France après son voyage sur la Lune, Dyrtona [anagramme de Cyrano], le narrateur, est accueilli au château de M. de Cdignac Tout commence autour du débat provoqué par les États et Empires de la Lune : Dyrcona est pourchassé pour sorcellerie. Arrêté par une foule excitée par le curé, puis mis en prison, il s’évade, ce qui donne lieu à une poursuite dans les rues de Toulouse, puis se déguise en mendiant. Ayant
été repris, il est sauvé de justesse par Colignac, qui améliore ses conditions de détention. Dyrcona en profite pour construire une nouvelle machine, qui l’enlève de nouveau vers les deux. Le voyage, qui lui permet de confirmer que la Terre tourne bien autour du Soleil, dure quatre mois : il se pose alors sur une « tache » du Soleil (considérée comme un satellite de cet astre). Dyrcona y rencontre un petit homme qui lui expose un système du monde inspiré de Gassendi. Il s'envole de nouveau, et décrit les effets de l’approche du Soleil, notamment la transparence progressive de son corps et de sa machine. Au bout de vingt-deux mois, il atteint enfin le Soleil. Il y découvre un arbre en or massif, d’où se détache un fruit parlant à forme semi-humaine, qui se révèle être le roi de cet arbre, et qui est accompagné d’un rossignol. Une métamorphose étrange des petits êtres constituant l'arbre aboutit i la formation d’un beau jeune homme, dont le petit roi devient l'âme. Ayant reçu une explication des principes de cette métamorphose, Dyrcona repart en compagnie du rossignol, à la découverte de ce nouveau monde. Après trois semaines, il parvient au royaume des Oiseaux, où son étrangeté le (ait mettre aussitôt en prison. Suit un procès, où il est défendu par une pie : on lui reproche le seul fait d’être homme, être abominable et ennemi naturel des oiseaux. La pie expose à Dyrcona le fonctionnement de la république des Oiseaux Après un réquisitoire qui l'accuse de magie et de desseins néfastes à rencontre des oiseaux Dyrcona est condamné à être mangé par les mouches. Il est libéré de justesse par l'intervention de César, ancien perroquet de sa cousine qui témoigne de sa bonté, attestée par le fait qu'il l’avait libéré autrefois. Relâché, Dyrcona repart et il surprend par hasard les confidences des arbres parlants, avant d'assister au combat d'une salamandre et d'un rémora ; un vieillard rencontré à ce moment même, qui n’est autre que Thomas Campanella, lui explique l’enjeu de ce combat qui est la lutte du feu contre la glace, appelée pour protéger les arbres, Campanella expose ensuite à Dyrcona les conditions dans lesquelles les âmes des philosophes survivent sur le Soleil. Il lui montre enfin les cinq fontaines des cinq sens qui alimentent les trois fleuves de l'imagination, de la mémoire et du jugement Après avoir rencontré une jeune femme venue du royaume des Amoureux, les deux hommes accueillent l’âme de Descartes ; à ce moment s'arrête le texte, inachevé.
«
La contestation politique se dessine
ici plus nettement que dans les
États et
Empires de la Lune; l'influence de la
Cité du Soleil (1623) de Campanella y
est sans doute pour quelque chose ;
le
philosophe italien intervient d'ailleurs
« en personne » pour guider Dyrcona
sur le Soleil.
Mais cela est aussi très
sen
sible dès les premières pages, où l'on
voit le narrateur aux prises avec la jus
tice de Toulouse.
L'esquisse d'une véri
table course poursuite, mêlée d'élé
ments qui évoquent les romans de
gueuserie, nous ramènent sur terre,
avec
tout le réalisme et la violence que
cela comporte (voir notamment la
sai
sissante description de la prison) :
l'intolérance de la pensée instituée
à
l'égard des informations venues de la
Lune est sévèrement critiquée.
Cet
épi
sode liminaire, loin d'être un hors
d'œuvre, dénote l'importance de
l'enjeu d'une pensée nouvelle:
«Ayant
décousu le paquet, et au premier
volume qu'ils ouvrirent s'étant
ren
contré la Physique de M.
Descartes,
quand ils aperçurent tous les cercles
par lesquels
ce philosophe a distingué
le mouvement de chaque planète, tous
d'une voix hurlèrent que c'étaient
les
cernes que je traçais pour appeler Bel
zébuth.» La fuite qui s'ensuivra donne
lieu
à une expérience particulière du
voyage, à la façon d'un picaro, que Dyr
cona commente en ces termes : « Enfin
j'appris que la gueuserie est
un grand
livre qui nous enseigne les mœurs des
peuples à meilleur marché que tous
ces
grands voyages de Colomb et de
Magellan.
>>
Cela dure le temps de traverser Tou
louse, mais on ne manque pas d'être
frappé par cette allusion aux grands
voyages : Dyrcona est,
à sa manière, un
picaro de l'espace, et ses malheurs
continueront sur
le Soleil, où une autre
justice le mettra
en prison et le jugera.
Il sera «gueux>>, par son humanité
même, aux yeux de la république des Oiseaux.
Il lui
faut surtout se garder
d'avouer qu'il est
homme pour avoir la
vie sauve.
Comme sur terre,
il est
accusé de sorcellerie :
« Or, vous savez,
Messieurs [c'est la perdrix qui parle aux
juges], que de tous les animaux
il n'y a
que l'homme seul
dont l'âme est assez
noire pour s'adonner
à la magie, et par
conséquent celui-ci
f!St homme.
»
Cette insistance sur la justice et ses
aberrations, sa relativité et son aveu
glement, fait de ces .
épisodes, sur la
Terre comme dans le Soleil,
une part
significative du roman.
Les imperfec
tions propres à la république des
Oiseaux renvoient à celles du monde
terrestre; en cela,
l'Autre Monde, pas
plus sur
le Soleil que sur la Lune, n'est
une utopie traditionnelle.
Les sources philosophiques demeu
rent pourtant celles qui nourrissaient
la première partie : Gassendi et Lucrèce
sont paraphrasés, particulièrement
lorsqu'un petit homme, sur la
« tache »
du Soleil, expose les principes de son
univers
à Dyrcona.
On retiendra par
exemple l'idée que la mer est la sueur
de la terre, et que les
« coctions >>
successives de la boue qui en résulte,
par
le mélange de chaleur et d'humi
dité, aboutissent à l'enfantement de
l'homme par des matrices terrestres
(Lucrèce,
De rerum natura, V).
Dans le
même passage apparaît l'idée des trois
âmes (âme végétative, puissance vitale,
puissance de raisonner), que défendait
Gassendi.
La transparence progressive
du héros et de sa machine
à l'approche
du Soleil reflètent aussi une conviction
de Lucrèce, pour qui la matière est plus
subtile et plus éthérée
à proximité de
cet astre.
L'étonnant combat de la
sala
mandre [le feu] et du rémora [la glace],
que commente Campanella, confirme
cette conception élémentaire des
prin
cipes de l'univers.
L'exposé final sur la
venue des âmes dans
le Soleil renvoie
à une hiérarchie toute matérielle des
atomes : les âmes des philosophes, plus.
»
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