HESSE: Le Loup des steppes
Publié le 02/03/2011
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Bâti comme une sonate dont le Traité du Loup des steppes figurerait « l'intermezzo « et le point central, Le Loup des steppes est construit autour d'un système d'annonces, de signes prémonitoires et d'échos perçus par le personnage principal et dont le sens, si l'essentiel en est déjà contenu en germe dans le Traité, lui est révélé au fil du texte. Quant à la structure même du récit, on note que les diverses instances narratives y occupent successivement les mêmes positions : tandis que l'auteur Hermann Hesse nous livre l'ensemble intitulé Le Loup des steppes, le préfacier nous présente le manuscrit de Harry Haller, et ce dernier remplit à son tour la même fonction en introduisant le Traité. L'œuvre débute par une « Préface de l'éditeur «, artifice de présentation qui permet à Hesse d'établir une distance salutaire entre lui-même et les cahiers de Harry Haller, dont la tonalité autobiographique était suffisamment manifeste. De manière plus significative, on notera la démarche à laquelle cet ajout, postérieur à la composition du manuscrit et du Traité, contraint le lecteur. Ce dernier se voit, en effet, lui aussi conduit à franchir un seuil, la page qui sépare la préface du manuscrit proprement dit, et à pénétrer ainsi dans le texte tout comme Harry Haller lui-même pénètre dans le théâtre magique. L'épigraphe « Seulement pour les fous «, empruntée à l'enseigne du théâtre, confirme cette mise en parallèle du lecteur et du personnage, tous deux invités par là même à suivre un parcours initiatique. L'expérience du lecteur est donc censée refléter celle du personnage, tandis que l'auteur joue vis-à-vis de lui successivement le rôle du porteur d'affiche en lui remettant le Traité du Loup des steppes, et celui de Pablo, en le faisant entrer à son insu dans le théâtre magique.
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en le faisant entrer à son insu dans le théâtre magique.
2.
La dialectique du roman
L'évolution du personnage et la progression du roman sont fondées sur un certain nombre de dichotomies et deconfrontations successives qui forment les étapes de cet itinéraire initiatique.
a/ Les dichotomies
C'est, tout d'abord, l'opposition élémentaire homme-loup mise en lumière par le Traité, cette double aspiration versles hauteurs et vers le précipice dont il est question dans les deux premières sections.
C'est aussi l'oppositionbourgeois-loup qui aboutit, selon les cas, à la victoire de la bête sauvage (épisode du repas chez le jeuneprofesseur) ou à celle du bourgeois (puisque, après tout, le Loup des steppes critique la société, mais se garde biende rompre avec elle).
C'est également la dichotomie sérieux/rire qui elle-même se subdivise : le jazz de Pablo faitpendant au concerto de Haendel et à toute la musique dite classique dont Harry Haller chante les vertus ; à l'amour« tragique » et intellectuel cultivé jadis par Harry vient répondre la sensualité libre de Maria et d'Hermine ; à sagravité professorale, c'est la danse et la fréquentation des boîtes de nuit qui s'opposent ; contre son rapport guindéà la culture et aux œuvres immortelles, c'est enfin le rire énigmatique des immortels qui fait irruption.
b/ Les confrontations
Cette série d'oppositions se traduit au fil du texte par diverses confrontations du héros avec d'autres personnageset, de manière non moins décisive, avec lui-même' Le dîner chez le jeune professeur proclame ainsi le triomphemomentané du Loup sur le bourgeois Harry Haller.
La rencontre avec Hermine, quant à elle, lui fait découvrir lanécessité de mener une existence plus légère et superficielle, lui apprend aussi que sa vision de Goethe, si elle necorrespondait pas à celle du jeune professeur, n'en était pas nécessairement plus respectable ; de même laconfrontation avec Pablo l'amène à réviser les catégories esthétiques qu'il appliquait jusque-là aux diverses formesde musique et à comprendre qu'il n'y a pas deux manières, l'une noble, l'autre vile, de percevoir et d'interpréterVearning ou une œuvre classique.
Enfin l'apparition en rêve de Goethe et l'intervention de Mozart au théâtremagique l'invitent à abandonner sa vision quelque peu professorale des immortels et à imiter leur rire.
Toutefois, la confrontation essentielle qui structure l'œuvre est bien celle de Harry avec lui-même, depuis le Traitédu Loup des steppes où il se voit décrit jusqu'au Harry qui apparaît, morcelé, puis vieilli, dans le miroir du théâtremagique, en passant par le « Loup des steppes », ce poème qui succède immédiatement au Traité et qui nousprésente, après un texte dont l'auteur reste anonyme, la perspective du Loup des steppes sur lui-même.
3.
Les personnages
a/ Harry Haller
Vivant dans l'isolement le plus extrême, fasciné par la vie bourgeoise tout en en rejetant les valeurs, il est au débutdu roman l'outsider en porte à faux avec son temps, tout entier habité par les grands chefs-d'œuvre du passé, dontil se convainc qu'ils vivent toujours en lui, même s'il s'interroge parfois sur cette culture peut-être peuplée defantômes.
Doté des mêmes initiales que Hermann Hesse, ayant eu pour ami d'adolescence un certain Hermann qu'ildécrit comme « l'enthousiaste, le poète, le compagnon ardent des travaux et des excès de mon esprit », le Loupdes steppes doit manifestement beaucoup à son auteur, et l'on ne s'étonnera pas qu'il soit parfois difficile dedistinguer certains passages de la correspondance de Hesse, notamment quand il parle du suicide, des propos deson personnage Harry Haller.
b( Hermine
Hermine est le double féminin de Harry/Hermann : il n'est, pour s'en convaincre, que de citer les propos de Harry (p.97) : « Ce visage me rappela ma propre adolescence », le même Harry qui reconnaît aussi chez Hermine « cetteonde de ressemblance virile, de magie hermaphrodite » qui la rapproche encore de lui, tandis qu'Hermine expliqueainsi l'attirance du héros pour elle : « C'est que je suis une sorte de miroir » (p.
98).
Image narcissique dupersonnage principal, c'est, à vrai dire, tout juste si Hermine parvient à conserver son individualité : « Peut-être, mesemblait-il, n'étaient-ce pas ses propres pensées, mais les miennes, que cette voyante avait lues et respirées etqu'elle me rendait moulées dans une autre forme, se dressant, nouvelles, devant moi.
» Ailleurs, à l'inverse, elle offrele mystérieux paradoxe d'un reflet qui l'emporterait en plénitude d'être sur ce qu'il reflète, lorsque Harry s'exclame :« Tu es mon contraire : tu as tout ce qui me manque » (p.
98).
c/ Maria et Pablo
Harry Haller a toujours privilégié les femmes cultivées qui, dit-il, ne donnaient «jamais de réponse au logos » en lui(p.
138).
Maria y parvient précisément parce qu'elle n'est que sensuelle, qu'elle n'a pas besoin « de ces détours etde ces ersatz » que sont la lecture et l'instruction.
A la fois vicieuse et innocente, elle permet une nuit à Harry dedécouvrir « le destin dans le hasard, le fragment divin dans les ruines de [son] existence...
» Grâce à elle, ilentrevoit « que je n'aurais qu'à rassembler les visions dispersées, à élever et à totaliser en image ma vie de HarryHaller, Loup des steppes, pour entrer moi-même dans le monde des images et devenir immortel ».
Quant à Pablo,.
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