GOLIARDS (les) : Fiche de lecture
Publié le 13/12/2018
Extrait du document


«
liturgiques
déformées ou utilisées dans un contexte pro
fane.
C'est ainsi que, dans le Carmen de Rosa, une stro
phe s'ouvre sur un Pange lingua qui invite à la célébra
tion de la femme aimée.
Ce poème commence par une
formule paulinienne (Si lo q ua r angel ic is linguis et huma
nis) détournée de son sens initial (l'éloge de la charité)
au profit d'un hommage amoureux devenu profanateur
(la beauté de l'arnica est posée comme indicible).
Le
même poème salue la Rose dans des termes qui fleurent
la dévotion mariale (Ave formosissima) pour s'achever
dans l'apologie d'une sorte de viol, puisque l'œuvre se
clôt sur le chant triomphal de l'amant parvenu par la
force à ses fins.
Ou encore -que 1' on pense à la célèbre
«confession >> de l' Archipoète, il est vrai suivie d'une
palinodie qui exprime le retour à 1' ordre moral -, le
goliard prend le contrepied de l'enseignement évangéli
que avec une extraordinaire volonté de défi :
Via lata gradior more juventutis;
lmplicor et vitiis immemor virtutis;
Voluptatis avidus magis quam salutis,
Mortuus in >, J'espace privilégié de ses loisirs,
voués aussi au vin et à la séduction facile.
Le poète est
un buveur impénitent et un « dragueur >> avoué, qui se
justifie en démontrant la puissance d'Amour jusque sur
les dieux et en passant en revue toutes les catégories
sociales qui sacrifient à Bacchus (cf.
ln tabema quando
sumus).
C'est faire avec une fausse ingénuité l'apologie
de la luxuria et de la gula, de la luxure et de la gourman
dise, et réhabiliter le charnel au nom d'un épicurisme
hérité d'Horace, qui saisit la jouissance immédiate avec
d'autant plus de ferveur que Je poète est incertain de son
proche avenir.
La fragilité des biens d'ici-bas, thème
omniprésent des sermons invitant au co ntem ptu s mundi,
au mépris du monde qui précède et accompagne la péni
tence, est à son tour subvertie au profit d'un hédonisme
à fleur de peau qui est celui, tout spontané, du juvenis,
du jeune homme peu pressé de venir à résipiscence.
La poésie goliardique est, au sein du milieu clérical,
l'expression d'une classe d'âge, comme la poésie dite
courtoise est 1' expression des jeunes chevaliers.
Elle
affiche.
l'immoralisme du clerc urbain avant qu'il soit
pourvu d'un office et consente à se ranger.
De cet immo
ralisme, le fabliau [voir FABLIAU) nous donne par ailleurs
maint exemple (cf.
1' histoire de « Gombert et les deux
clercs >> de Jean Bodel) :dans le fabliau, le clerc bache/er
est un personnage actif �t déluré, tandis que le prêtre est
au contraire ridiculisé.
Eternelle opposition du marginal
et de J'homme en place! Mais le goliard s'autorise de sa
marginalité pour dire ce que les autres taisent.
A cet
égard, il cultive une licence salutaire, celle-là même qui
se déchaîne dans ces festivités libératrices que sont la
fête des fous ou le carnaval (autres manifestations urbai
nes où fleurit la parodie liturgique).
D'où, d'ailleurs, les
limites de cette contestation, qui s'inscrit souvent dans
des topai : ainsi de la satire contre la, vénalité romaine,
qui ne déplaisait point aux prélats des Eglises nationales;
cette satire se fonde sur des jeux de mots éculés (sur
Roma et sur rode re, « ronger » ...
) et ne met jamais vérita
blement en cause 1' autorité romaine, puisqu'elle ne vise,
la plupart du temps, que la curie et l'entourage pontifical.
Mais le fait que cette critique porte surtout su.r l'argent
nous semble un nouvel indice corroborant l'appartenance
urbaine de cette poétique : c'est en ville, et non dans les
châteaux et les abbayes, que J'on a appris, au xu• et au
xnre siècle, à calculer Je prix des choses et à substituer le
commerce à J'échange et le contrat au don.
Les go liards
ont beau chanter la nature et s'inspirer des rondes de
mai : ils s'éloignent peu des faubourgs, et leur mépris du
vilain n'est pas celui du seigneur qui s'enorgueillit de sa
naissance et de son sang, mais celui du citadin pour le
« croquant >> qui vit dans son trou.
Sa fierté, le goliard
ne la doit pas à son lignage, mais à son savoir.
D'origine
souvent plébéienne, il ne connaît pas le raffinement des
cours.
Son érotique, nous l'avons vu, n'est point fondée.
»
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