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Gargantua de Rabelais

Publié le 28/11/2018

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gargantua
De là toute une série de chapitres qui opposent systématiquement l’ancienne et la nouvelle éducation et, notamment, racontent deux journées de Gargantua, l’une « selon la discipline de ses précepteurs sophistes » (chap. xxi-xxii), l’autre selon Ponocrates, pédagogue nourri des idéaux humanistes (chap. xxiii-xxiv). De même, à la peinture de l’embarras de Gargantua devant le jeune page Eudémon et son impeccable éloquence (chap. xv), s’oppose la harangue de maître Janotus de Bragmardo, vieux sophiste tousseux et rassoté, misérable produit de l’ancienne culture (chap. xix).
 
Cette sorte d’« institution du prince » ne serait pas complète si celui-ci n’était conduit à faire l’essai de l’éducation qu’il a reçue. Cette proposition — qui ne rend que partiellement compte de la large séquence de la guerre picrocholine — est nettement affirmée dans la lettre du père au fils (chap. xxix) : « Vaine est l’estude et le conseil inutile qui en temps oportun par vertus n’est exécuté et à son effect rcduict ». A travers l’accession de Gargantua aux responsabilités qui l’attendent, le récit de la guerre picrocholine, par un autre tableau antithétique, oppose deux grandes figures du monarque : celle de Picrochole, dominé par ses passions, sensible aux flatteries des mauvais conseillers et tenté par la guerre de conquête; celle de Grandgousier, souverain féodal, soucieux de protéger ses sujets et ennemi de la guerre. A ce monarque débonnaire succède son fils Gargantua, qui s’affirme comme un prince selon le cœur des humanistes : sévère par raison, volontaire, juste sans faiblesse. Deux harangues parallèles résument ces deux politiques du père et du fils : celle d’Ulrich Gallet, dépêché par Grandgousier à Picrochole (chap. xxx), et la célèbre « contion » aux vaincus par laquelle Gargantua se déclare à la fois libéral et adversaire de toute facilité.
Gargantua
 
Plusieurs de ces traits du Pantagruel se retrouvent dans le Gargantua. S’il est vrai que le Gargantua ne refuse pas de s’inspirer de divers épisodes des Grandes et Inestimables Cronicques (ainsi l’épisode de la jument, celui des cloches de Notre-Dame ou celui de la livrée), Rabelais continue à afficher sa liberté de conteur; ainsi l’étonnante naissance de Gargantua est l’occasion de malmener le lecteur : « Je me doubte que ne croyez asseurement ceste estrange nativité. Si ne la croyez, je ne m’en soucye pas » (chap. vi).
 
Pourtant, cette désinvolture est ici le prétexte d’un développement sur la nature de la foi, qui doit être non point une vulgaire crédulité, mais confiance en Dieu et en ses promesses. C’est dire que le propos du livre se déclare plus nettement et tend à l’informer tout entier. On peut, à coup sûr, y retrouver le schéma des romans de chevalerie — et cette fois au complet, puisque aux Enfances et aux Prouesses le Gargantua ajoute, avec l’épisode de Thélème, un moniage. Mais ce plan est ici aménagé avec une netteté du dessin qui en exhibe l'intention. L’enfance du héros, si détaillée soit-elle, n’est pas seulement un temps d’heureuse irresponsabilité, où l’on s’attarde à plaisir; c’est déjà le début d'une éducation, d’une institution, puisque le chapitre xi, qui raconte avec tant de verve les ébats du petit Gargantua, s’ouvre par ces mots : « Gargantua, dcpuys les troys jus-ques à cinq ans, feut nourry et institué en toute discipline convenente, par le commandement de son pere »; et c’est après avoir observé « l’esperit merveilleux » de son fils que Grandgousier décide de lui donner un précepteur (chap. xiv).

gargantua

« De là toute une série de cha pit res qui opposent systé­ matiquement l'ancienne et la nouvelle éducation et, notamment, racontent deux journ ées de Gargantua, 1' un e « selon la disc ip lin e de ses precepteurs sophistes>> (chap.

XXI-XXll), 1' autre selon Ponocrates, pédagogue nourri des i d éau x humanistes (chap .

XXIII-XXIV).

De même, à la peinture de l'embarras de Gargantua devant le jeune page Eudémon et son impeccable éloquence (chap.

xv), s'oppose la harangue de maître Janotus de Bragmardo, vieux sophiste tousseux et rassoté, misérable produit de l 'a ncie nne culture (chap.

XIX).

Cette sorte d'« institution du prince>> ne serait pas complète si celui-ci n'était co ndu it à faire l'essai de l'éducation qu'il a reçue.

Cette prop ositio n - qui ne rend que partiellement compte de la large séquence de la guerre picrocholine -est nettement affirmée dans la lettre du père au fils (chap.

XXIX) : «Vaine est l'estude et le conseil inutile qui en temps oportun par vertus n'est executé et à so n effect rcduict >>.

A travers l'accession de Gargantua aux responsabilités qui l'attendent, le récit de la guerre picrocholine, par un autre tableau antithétique, oppose deux grandes figures du monarque : celle de Picrochole, dominé par ses pass io ns , sensible aux flatte­ ries des mauvais conseillers et tenté par la guerre de conquête; celle de Grandgousier, souverain féodal, sou­ cieux de protéger ses sujets et ennemi de la guerre.

A ce monarque débonnaire succède son fils Gargantua, qui s'affirme comme un prince selon le cœur des humanis­ tes : sévère par raison, volon tai re, juste sans faiblesse.

D eu x harangues parallèles résument ces deux politiques du père et du fils: celle d'Ulrich Gallet, dépêché par Grandgousier à Picrochole (chap.

xxx), et la célèbre « contion >> aux vaincus par laquelle Gargantua se déclare à la fois libéral et adversaire de toute facilité.

Si, jusqu'à ce point, le tracé du Gargantua est très net, la séquence suivante-la fondation de l'abbaye de Thélème -est d'interprétation pl us délicate.

Certains critiques ont même été tentés d'y voir un morceau rap­ porté.

Il est vrai que plusieurs traits singuliers, l'impor­ tance de la description, le sérieux continu du ton, distin­ guent cette séquence.

Même si elle reproduit, dans le Gargantua, la perspec ti v e du renversement q�i, dans le Pantagruel, inspirait l'épisode de la visite d'E pis tém on aux Enfers, il reste qu'ici c'est sur terre que prend place ce monde redressé.

S'a git -il d'une utopie? On pou rrait le soutenir en observant que, tout en étant située « jouste la riviere de Loyre »,el le se désigne par son nom comme une cité philoso phi qu e à l'image de celle de Thomas More, et que , comme celle-ci.

elle n'est ouverte qu'à ceux qui en épousent profondément les idéaux : la célè­ bre inscription de la porte (chap.

uv) définit nettement ceux qui en sont exclus et ceux qui sont invités à y e n tr er.

Comme, d'autre part, ja m ais plus l'itinéraire des personnages du roma n de Rab ela is ne les reconduira à Thélème, ce lieu pourrait apparaître comme une tenta­ tion : celle du repos, loin des agit a tion s et des tensions de notre monde, dans un univers lumineusement ordonné et apaisé.

Pourtant ce serait négliger cette phrase capitale du cha pitr e LVll : «Quand le temps venu estoit que aul­ cun d'icelle abbaye, ou à la requ este de ses parens, ou pour aultres causes, voulust issir hors » ...

; ainsi Thélème n'est pas le lieu d'un e retraite définitive, mais une étape dans une vie: on vient s'y former, et J'on en remporte, pour la durée entière de l'existence, des man ières de faire et des exigences morales qui, en somme, définissent Thélème comme un collège.

De là viennent les préten­ dues omissions dont certains critiques se sont étonnés.

En réalité, l'épisode de Thélème achève le propos péda­ gogique qui est fondamentalement celui du Gargalltua.

Mai s sans doute aussi l'achève-t-il sans perdre de vue que l'expérience du monde re ste une épreuve et que l'idéal, pour s'i n ca rner, doit affronter la dure vérité des choses.

L'ouvrage s'ouvrait sur une énigme (chap.

11) q u i, associée à la généalogie de Gargantua, restituait autour de ses origines l'épaisseur du mythe; il s'achève par une énigme (chap.

LVIII) qui, associée à la fo n da tion de Thélème, recrée autour de ce monde pacifié 1' obscu­ rité laborieuse du co mb at de la vie.

Voilà peut-être ce qui explique le Prologue, où la figure de Socrate, ce Silène, annonce que le livre contient une leçon accessible seulement à ceux qui savent lire, c' est- à -di re «rompre l'o s >>.

On ne les y invite pas à découvrir on ne sait quelle signification ésotérique, mais seulement- c'est beaucoup! - à se disposer de cœur à apercevoir que « les matieres icy traitées ne sont pas tant folastres comme le tiltre au-dessus pre tend oit >>.

C'est dire que le livre élit ses lecteurs : appelés désormais pant ag rué listes, ils savent, comme l'annonce le dizain liminaire, que« rire est Je propre de l'homme >>.

Mais ce rire n'est pas simple éb auci issem en t, pas plus qu'il n'est le rire, toujours un peu grinçant, de la moqu eri e ou de la satire.

Tl est profo ndém en t joie et espoir, et « fo i pro­ fonde>> .

Contre Picrochole, qui ne sait pas rire, il est le rire des « bien yvres >> (chap.

Xli), celui de frère Jean, à qui revient le dernier mot du livre, «et grand chiere >>, mais aussi bien celui des Thélémites, qui, contre les tristes hypocrites, les « poiltrons à ch ich eface >> et les « vieux chagrins >>, sont Frisques, gualliers, joyeux, plaisans, mignons, En general tous gantilz compaignons.

En ces temps où « les gentz reduictz à la creance Evangelicque sont persecutez>>, «bien heureux est cel­ tuy, dit Gargantua à la fin du livre, qui ne sera scandalizé et qui tousjours tendra au but, au blanc que Dieu, par son cher Enfant, nous a prefix, sans par ses affections charnelles estre distraict ny diverty >>.

Ces mots précè­ dent l'interprétation de l'Énigme en Prophétie : peut-être ne faut-il pas opposer celle que propose Gargantua et celle que développe frère Jean; si Gargantua rompt l'os, frère Jean sait déjà -comme le chien philosophe du Prologue -l'examiner, le flairer et en tirer une leçon recevable.

Tou t le livre l' a montré sur les marches de l'ordre nouveau que Je monarque institue, en rupture avec l'ancien monde mais arrêté à l' e nt ré e de Thélème; cependant il est sur la bonne voie, puisqu'il a parié pour la joie et l' esp oir, qu'il est déjà un de ces joueu rs dont il sait qu'« après avoir bien travaillé, ilz s'en vont repais­ Ire; et grand chiere! >> [voir aussi UTOPIE].. »

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