Fruits D'Or (les) de Nathalie Sarraute (analyse détaillée)
Publié le 21/10/2018
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Fruits D'Or (les). Roman de Nathalie Sarraute (née en 1902), publié à Paris chez Gallimard en 1963.
Dès les premières pages du livre, les Fruits d'Or ne sont qu’un prétexte ; prétexte à une conversation sans intérêt prétexte surtout à un rapprochement, par le truchement du langage, de trois personnages. Et puis ce livre, «de Bréhier» nous précise-t-on, prend une importance croissante. Il est au centre de toutes les conversations, de tous les débats d’idées, de tous les articles de presse. Chacun se doit d’avoir une opinion à son sujet : chacun, du critique littéraire en vue au provincial naïf en passant par le grand professeur, l’écrivain ou le peintre connus, ou n’importe quel lecteur anonyme, critique, commente, sanctionne et tranche d’une sentence pénemptoine : « C’est un livre admirable », « Une pure œuvre d’art », « Ce qu’on a écrit de plus beau depuis Stendhal... depuis Benjamin Constant », « C’est un très beau livre ». « Un vrai petit joyau », « Cest le meilleur livre qu’on a écrit depuis quinze ans », « Cest quelque chose de tout à fait à part Une sorte de miracle». «Je trouve ça assommant Cest obscur, c’est abscons », « Cest si fabnqué », « Moi, les Fruits d'Or, j’ai trouvé ça d’un drôle », « Un humour féroce [_] Macabre et candide », « Moi je trouve ça faible [.~] Ce navet... Nul. Prétentieux » Autour de ce livre dont le contenu n’est pas, ou si peu abordé (on en évoque une ou deux scènes, ou le style, au moyen de formules creuses), un consensus s'établit qui crée un malaise chez celui qui n'y adhère pas tout à fait ou pas du tout Puis, comme une baudruche se dégonfle, l’enthousiasme fait place au dédain, puis à l'indifférence commune qui annonce l'oubli : « La fosse commune... évidemment., c'est tout juste assez bon.. Les bouquins de ce genre n’ont droit qu’à l'oubli. » « Vous en êtes encore- aux Fruits d'Or. »
Nathalie Sarraute se livre ici à une critique distante, ironique mais mordante, des milieux journalistiques (voir l'article de Brûlé, qu'il écrit parce qu'il a lancé un adjectif en public, « Admirable »), universitaires (voir les deux pédants au vocabulaire hermétique, ou le Maître qui change d'opinion en fonction de ses interlocuteurs), intellectuels et artistiques. Ce qu'elle critique surtout, ce sont les manifestations d'engouement collectif non fondé (aucune preuve ne saurait être apportée par les défenseurs des Fruits d'Or)t c'est la notion même de chef-d'œuvre, fragile, aisément usurpée (après en avoir vanté l'originalité, on qualifie l'œuvre de pastiche, de copie, de puzzle empruntant sa valeur à d'autres œuvres), forcément dérisoire : « À tort ? À raison ? Qu'en savons-nous ? Durera-t-il ? Et entre nous, quelle importance ? »
Ce que met en évidence Nathalie Sarraute, c'est que, au sein de tous ces débats, les Fruits d'Or n'existent pas : l'œuvre n'est qu'un prétexte aux exhibitions personnelles de personnages qui s'en servent pour se mettre en valeur ou confirmer un certain rôle social ; un prétexte à des combats, des affrontements, c'est-à-dire à des rapprochements d'individus en clans rivaux qui s'opposent sur une opinion (c'est un navet / c'est une réussite), qui vainquent d'une formule : « Et puis, comme un coup de revolver dans leur nuque, ce bref claquement : \"Mais tout cela, voyons, c'est fait exprès\" [...] Miracle. En un instant, la situation se renverse. L'agresseur chancelle, il s'écroule, assommé. »
«
Nathalie Sarraute se livre ici à une
critique distante, ironique mais mor
dante, des milieux journalistiques (voir
l'article de Brulé, qu'il écrit parce qu'il
a lancé
un adjectif en public, «Ad-mi
rable ••), universitaires (voir les deux
pédants au vocabulaire hermétique, ou
le Maître qui change
d'opinion en
fonction de ses interlocuteurs), intel
lectuels
et artistiques.
Ce qu'elle criti
que surtout,
ce sont les manifestations
d'engouement collectif non fondé
(aucune preuve
ne saurait être appor
tée
par les défenseurs des Fruits d'Or),
c'est la notion même de chef-d'œuvre,
fragile, aisément usurpée (après
en
avoir vanté l'originalité, on qualifie
l'œuvre de pastiche, de copie, de
puzzle
empruntant sa valeur à d'autres
œuvres), forcément dérisoire :
«À
tort? À raison? Qu'en savons-nous?
Durera-t-il?
Et entre nous, quelle
importance ?
»
Ce que met en évidence Nathalie
Sarraute, c'est que, au sein de tous ces
débats,
les Fruits d'Or n'existent pas :
l'œuvre n'est
qu'un prétexte aux exhi
bitions personnelles de personnages
qui
s'en servent pour se mettre en
valeur ou confirmer un certain rôle
social ;
un prétexte à des combats, des
affrontements, c'est-à-dire à des rap
prochements d'individus
en clans
rivaux qui s'opposent sur
une opinion
(c'est
un navet 1 c'est une réussite), qui
vainquent d'une formule : « Et puis,
comme
un coup de revolver dans leur
nuque,
ce bref claquement : "Mais tout
cela, voyons, c'est fait exprès" [ ...
]
Miracle.
En un instant, la situation se
renverse.
L'agresseur chancelle, il
s'écroule, assommé.
••
Fidèle à son projet, Nathalie Sarraute
montre donc que les conversations, les
relations entre les êtres
ont une sur
face,
une apparence de réalité (ici les
débats d'idées) qui cachent autre
chose,
un monde de mouvements secrets,
informes, d'incertitudes, de
courants fluctuants, qui constituent la
réalité, l'authenticité des rapports
humains, leur trame secrète.
On remar
quera à
ce propos l'importance dans le
texte des
moments où abondent les
formules indéfinies;
, etc.
De plus, c'est par un
vaste champ métaphorique qui privilé
gie les thèmes de la palpitation, de
l'étouffement, de l'enlisement,
du
combat corps à corps, que l'écriture
tente de cerner ces mouvements
secrets ; les deux métaphores les plus
remarquables, parce que fortes
et réité
rées,
étant d'une part celle de l'hysté
rie, qui tire le phénomène
de mode du
côté de la folie, et d'autre part celle de
l'illumination ou de la possession, qui
le tire
du côté de la religion, du prêche,
de l'exorcisme, de l'acte
d'une foi exa
cerbée.
Et si c'est entre ces deux extrêmes
qu'oscille la prise de parole critique,
c'est que Nathalie
Sarraute ne fait rien
d'autre que mettre en scène le débat de
son époque, qui implique étroitement
ses propres œuvres ainsi que celles de
quelques autres
(A.
Robbe-Grillet ou
M.
Butor).
Ainsi le débat soulevé par la
langue elle-même qui,
pour être
«belle>> ou «littéraire ••, doit pour cer
tains être celle qui
« tamise, raffine,
épure, resserre entre ses contours fer
mes,
un peu rigides, ordonne, struc
ture, durcit
ce qui doit durer>> et non
celle qui, à l'image de celle de Nathalie
Sarraute elle-même, «laisse [ ...
] passer
ce qui est mou, flou, baveux, gluant » ;
ainsi le débat sur le rapport qu'entre
tient la littérature avec le réel (ou avec
quel réel?), qu'entretiennent les mots
avec la réalité (qui peuvent recréer la
sensation ou bien la susciter véritable
ment); et surtout le débat sur l'essence
de l'œuvre d'art,
de l'œuvre littéraire
(juge-t-on
une œuvre sur une page ou.
»
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