Fiche de lecture - Stratégies de la rue, les manifestations en France d'Olivier Fillieule
Publié le 31/08/2012
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L’intérêt des analyses de Tilly est notamment de mettre en relief ce qu’il nomme la « structure des opportnités «, soit l’ensemble des facteurs favorables ou défavorable à l’action, ici collective. C’est cette structure faite de soutiens externes, d’alliances, de mobilité qui constitue l’incitation majeure des acteurs à s’engager. Pour Tilly, les individus choisissent au sein de « répertoires d’action collective « ces formes d’action collective. Ces répertoires sont caractéristiques d’une époque, d’une population, localisées géographiquement et des attitudes des autorités vis-à-vis de ces formes d’action. Dans le modèle général qu’il constitue, Tilly s’attache à analyser d’abord les déterminants internes de la mobilisation d’un groupe, soulignant l’importance de son organisation ; puis il étudie les relations du groupe avec son environnement, c’est-à-dire le « gouvernement « ( qui contrôle les moyens de coercition) et les autres acteurs du conflit. L’intérêt des analyses de Tilly est aussi de mettre en cause les théories de frustration relative, en soulignant le caractère non mécanique du déclenchement de la violence. D’ailleurs, la violence ne doit pas être étudiées en soi mais au regard des déterminants de l’action collective et de ses résultats potentiels violents. L’approche d’Olivier Fillieule peut de ce point de vue être comparée à celle de Tilly, notamment par la méthode choisie, même si les deux auteurs divergent cependant ensuite ; en effet pour Fillieule la conquête du pouvoir n’est pas l’élément central des groupes mobilisés.
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n'est alors pas l'arsenal juridique ou répressif mais plutôt l'art de négocier avec les organisateurs, en les amenant sur un terrain qui leur est propre.
Toutefois, lorsquel'évènement est lancé, le problème central devient alors le même, aussi bien pour les manifestants que pour les forces de l'ordre, le contrôle des troupes.
L'auteur enconclue qu'à la vue de la relative indétermination dans les rapports de commandement, il y a bien des marges d'autonomie entre les consignes du politique et ladoctrine policière, et également entre les directives de la hiérarchie et leurs mises en œuvre pratiques.
En effet l'auteur montre ensuite l'importance des processus decommunication dans l'interaction manifestante : il s'agirait en fait plus d'« un jeu d'assurance » où les manifestants modulent leur action en fonction de ce qu'ilscroient pouvoir être accepté par les forces de l'ordre, en même temps que l'autorité civile fixe, explicitement ou implicitement, des seuils de tolérance en fonction dela nature des protagonistes.
Les diverses forces de l'ordre partagent une vision différenciée de ce qu'est un manifestant, ce qui débouche sur un classement explicitedes évènements en « bonnes » ou en « mauvaises » manifestations.
Ainsi telle manifestations appellera tel service d'ordre, et l'auteur définit alors quatre types deservices d'ordre idéaux typiques.
Au-delà des perceptions policières, l'intervention du pouvoir politique joue aussi un rôle important dans la définition du critère delégitimité.
L'intransigeance manifestée quelque fois par celle-ci rend hautement probable l'apparition de violences, notamment par ces consignes, qui, étant de troistypes, constituent alors trois niveaux d'analyse du maintien de l'ordre pour l'auteur.
Cependant le but essentiel de Olivier Fillieule reste avant tout d'insister sur deuxpoints : le traitement des manifestants par les forces de l'ordre et l'autorité civile n'est à l'évidence pas homogène, et de montrer la richesse des interactions entre lesmouvements et leur environnement.
L'Etat peut par exemple faire preuve d'une « gestion patrimonialiste », c'est-à-dire d'une grande tolérance face à l'illégalisme,dans certaines circonstances des actions entreprises par les manifestants, notamment lors des manifestations d'agriculteurs.L'auteur dresse alors, au contraire, une sorte de liste des facteurs de violence les plus souvent responsables des incidents, et qui expliquerait l'éventuel recours à laviolence lors des manifestations : premièrement les déterminants structurels, deuxièmement les interactions entre les manifestants, l'autorité politiques et les forces depolice (déterminées par des variables culturelles, contextuelles et conjoncturelles), et troisièmement les déterminants morphologiques.
Alors, la tournure desévènements , la dynamique d'une manifestation , les chances de succès ou d'échec, d'un mouvement dépendent autant d'un système d'alliances et de conflit, que lastructure sociale du monde propre à chacun des protagonistes, et de la communication persuasive mise en œuvre par les acteurs.
En conclusion, en montrant l'ampleur actuelle de l'activité manifestante, le développement des micro-mobilisations et l'interpellation directe du politique qu'ellessuscitent, l'existence de régularités saisonnières et, surtout la rareté du recours à la violence par les manifestant comme par les forces de l'ordre, Olivier Fillieule aessentiellement voulu démentir une vision souvent répandu de la manifestation, et au contraire démontrer que tout semble indiquer un processus déjà bien engagé,sinon achevé d'institutionnalisation, voire de normalisation pour être plus précis, du phénomène.Par ailleurs, partant du constat que ces dernières années, l'idée s'est diffusée dans les médias et le discours savant, que les partis politiques et les syndicats ne jouaientplus autant qu'avant leur rôle de médiateurs des intérêts, l'auteur a au contraire voulu montré que l'encadrement des manifestations n'a pas changé de nature, et que laprotestation spontanée, même lorsqu'elle est très limitée en nombre, demeurent fortement minoritaire.
III / PAR RAPPORT A LA DISCIPLINE
Depuis une quinzaine d'années, nombre d'observateurs ont diagnostiqué une crise de la participation politique, ou au moins un « malaise de la représentativité »politique ( Pierre Rosanvallon).
Cette crise apparaît d'autant plus grave qu'elle dépasse le cadre étroit de le conjoncture et semble révéler une remise cause du systèmereprésentatif lui-même.
Olivier Fillieule montre à travers son livre une autre lecture de ce phénomène.
En montrant le caractère récurrent de ses manifestations s'il metau grand jour des tensions qui ne sauraient être sous-estimées, l'auteur cherche à nous mous montrer que celui-ci témoigne peut être plus des capacités d'adaptationdu système qui est sans doute plus en train de se transformer que de périr.
En effet les organisations qui concurrencent aujourd'hui les institutions représentativestraditionnelles contestent autant leurs dysfonctionnement que le principe de la représentativité lui-même.
Mais l'auteur a voulu renouveler une lecture ancienne duphénomène manifestant et monter que les symptômes actuels de la crise de la participation politique, liée à celle représentation semble moins menacer l'existencemême du système représentatif que de bouleverser les formes de représentation instituées depuis le XIXème siècle.
Ils rappellent en fait qu'il n'existe pas une seuleforme d'organisation possible du système représentatif.
Selon l'analyse de Bernard Manin, la France à d'ailleurs connu trois types d'organisation : la « démocratie departis » a succédé au « parlementarisme », et pourrait être remplacée aujourd'hui par une « démocratie du public ».
Il ne s'agirait donc pas tant d'une crise que d'unemétamorphose de la représentation.
Des revendications aux valeurs post-matérialistes chez les manifestants ?Dans les années soixante-dix, l'analyse du phénomène des mouvements sociaux a surtout mis en avant par les thèses post-matérialistes d'Inglehart.
Il montre quel'homme, une fois ses besoins matériels immédiats satisfaits, découvre d'autres besoins non-matériels, intellectuels, esthétique ou identitaires.
L'évolution des sociétésindustrielles modernes serait ainsi marquée par le passage des valeurs « exclusivement matérielles de bien-être et de sécurité de vie» à la « qualité de vie » sous l'effetde la croissance économique, de l'innovation technologique, du développement de l'éducation, de l'absence de conflit armé dans le monde occidental depuis laseconde depuis la Seconde guerre mondiale, mais aussi de la société auparavant stratifié en classes.
Par ailleurs, la confiance dans les organisations traditionnelles demédiation entre le pouvoir et les citoyens aurait tendance à diminuer sensiblement.Olivier Fillieule a au contraire voulu nous montrer que les revendications portées au grand jour par les manifestants sont essentiellement matérialistes.
Mais l'auteursait cependant que tout modèle n'est pas transposable en dehors de son modèle d'étude.
Ainsi ce dernier ne cherche pas tant à découvrir une loi générale, mais bienplus à nous défaire de nos possibles préjugé et visions préconstruites et simplistes des manifestations.
Enfin donc, contrairement à une idée largement répandue,celles-ci ne sont pas dénuées de toute organisation, et surtout elles ne jouent pas le politique ou les moyens conventionnels de participation, au contraire.
Une approche comparable à celle de Tilly ?L'intérêt des analyses de Tilly est notamment de mettre en relief ce qu'il nomme la « structure des opportnités », soit l'ensemble des facteurs favorables ou défavorableà l'action, ici collective.
C'est cette structure faite de soutiens externes, d'alliances, de mobilité qui constitue l'incitation majeure des acteurs à s'engager.
Pour Tilly, lesindividus choisissent au sein de « répertoires d'action collective » ces formes d'action collective.
Ces répertoires sont caractéristiques d'une époque, d'une population,localisées géographiquement et des attitudes des autorités vis-à-vis de ces formes d'action.
Dans le modèle général qu'il constitue, Tilly s'attache à analyser d'abordles déterminants internes de la mobilisation d'un groupe, soulignant l'importance de son organisation ; puis il étudie les relations du groupe avec son environnement,c'est-à-dire le « gouvernement » ( qui contrôle les moyens de coercition) et les autres acteurs du conflit.
L'intérêt des analyses de Tilly est aussi de mettre en cause lesthéories de frustration relative, en soulignant le caractère non mécanique du déclenchement de la violence.
D'ailleurs, la violence ne doit pas être étudiées en soi maisau regard des déterminants de l'action collective et de ses résultats potentiels violents.L'approche d'Olivier Fillieule peut de ce point de vue être comparée à celle de Tilly, notamment par la méthode choisie, même si les deux auteurs divergent cependantensuite ; en effet pour Fillieule la conquête du pouvoir n'est pas l'élément central des groupes mobilisés.
En cela il innove en proposant une lecture du phénomène également à travers la vision des forces de l'ordre, peu étudiée jusque là.
En cela il propose alors une visionrenouvelée, mais surtout plus exhaustive du phénomène.
En effet cette approche permet de bien mettre en avant que le succès des mobilisations dépend, en premierlieu, du contexte politique immédiat, et que les caractéristiques structurelles du système du politique jouent aussi un rôle important.
De plus, Olivier Fillieule éviteégalement un des reproches majeurs qui peut être fait à la sociologie : ne s'intéresser qu'à la vision des « pauvres manifestants », qui sont de surcroît souvent malreprésentés par les médias.
Enfin, l'ouvrage montre d'autre part une vision plus juste des forces de l'ordre que ces mêmes médias occultent, et l'importance despolitiques lors de tels évènements..
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