Fiche de lecture : PAYSAN DE PARIS (Le) de Louis Aragon

PAYSAN DE PARIS (Le)

Louis Aragon. Récit poétique, 1926.

Tissu de rêves et de désirs, Paris est un lieu métaphysique, receleur de toute une mythologie: syncrétique, ouverte à tous et à tous les temps, passé, présent et à venir, la ville moderne figure, en effet, les profondeurs de la conscience humaine et, poème, en révèle les forces créatrices et irrationnelles. Le «paysan de Paris» est celui qui, tel le poète, au fil de sa flânerie, sent poindre en lui le sentiment d’une cohérence inexpliquée et troublante: parcours initiatique au terme duquel, interrogeant les sphinx méconnus qui peuplent la cité, le promeneur devine soudain la profondeur de ses propres abîmes. C’est ce vivant secret qui, par exemple, dans l’extravagant jardin des Buttes-Chaumont, une fois partagé, n’en finit pas d’exercer sur le passant son tragique envoûtement. Partout en effet, en tous lieux et dans les moindres objets, la « matière mentale » s’épanche et s’investit, suscitant ainsi un nouveau sacré tout à la fois banal et mystérieux. En ce sens, Paris est un microcosme dont le passage de l’Opéra, «véritable aquarium humain», pourrait constituer l'emblème: lieu singulier et multiple, dérobé à la lumière du jour, il contient et résume toute la complexité de l’activité humaine et, perpétuant dans ses bordels et ses boutiques obscures les mystères les moins purs, il est de toute évidence le moderne sanctuaire d’un mystique équivoque et insolite. Ville de toutes les métamorphoses et de tous les artifices, le Paris d’Aragon est un lieu baroque que hante la figure de Don Juan. Tout en courbes et en sinuosités, luxuriant et protéiforme, Paris incarne la toute-puissance du désir: telle est la mythologie moderne que, au lieu de brider les instincts, elle réconcilie enfin l’homme avec sa sensibilité la plus profonde.